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Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 20, doc. 14
volume linkZürich/Locarno/Genève 2004
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E7110#1967/32#8546* | |
Old classification | CH-BAR E 7110(-)1967/32 653 | |
Dossier title | Wirtschaftsberichte (1955–1955) | |
File reference archive | 811 • Additional component: Algerien |
Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2001E#1970/217#6411* | |
Old classification | CH-BAR E 2001(E)1970/217 406 | |
Dossier title | Volkswirtschaftliche Berichte (1952–1955) | |
File reference archive | C.41.100.0 • Additional component: Französisch Nordafrika |
dodis.ch/12014
Le Consulat de Suisse à Alger à la Division du Commerce du Département de l’Economie publique1
Je crois utile de compléter le rapport intitulé «Aperçu sur l’économie algérienne en 1954» que je vous ai adressé en date du 6 juin dernier2 par les lignes confidentielles que voici:
L’Algérie est engagée dans une crise telle qu’elle est aujourd’hui placée au centre des préoccupations gouvernementales françaises. Cette crise estelle sociale, démographique, économique ou politique? Elle est tout à la fois; elle est en outre confessionnelle et raciale. Le problème algérien n’est pas exclusivement algérien, pas plus qu’il n’est entièrement français. En vérité, la question algérienne, considérée d’un point de vue très général, n’est en fait que l’expression d’un phénomène en chaîne – la prise de conscience d’euxmêmes des peuples colonisés et des races de couleur – phénomène dont la naissance a pris en Asie et qui aujourd’hui se résume par un problème encore larvé: celui de la coexistence de l’Orient et de l’Occident, pour ne pas déjà parler de la résistance de l’Occident devant la formidable poussée asiaticolevantine.
Pourtant, certains éléments du problème algérien sont essentiellement inhérents aux particularités du pays et à son gouvernement central; parmi ceux-là, trois facteurs principaux: 1) la pauvreté du pays; 2) une démographie débordante; 3) l’incohérence politique des nombreux gouvernements qui se sont succédés depuis la guerre.
Analysons brièvement ces trois facteurs, en commençant par le second. La démographie – une des plus fortes qui soit au monde – est, proprement dit, inquiétante. 250 à 260’000 personnes de plus par an; ce qui correspond à un accroissement d’environ 3%. Et, il faut bien l’avouer, tout est mis en œuvre pour ne pas laisser fléchir le nombre de naissances excédentaires; hygiène, prophylaxie, allocations, etc. etc. En moins de 25 ans, l’Algérie comptera 40 millions d’âmes! Ce chiffre ne sera pas loin d’égaler celui de la population métropolitaine. Cette prolifération, à laquelle les mœurs et la métaphysique islamique ne sont pas étrangères, pourrait ne pas être le danger No 1 de l’Algérie si ce pays possédait assez de richesses pour pouvoir nourrir sa population. Mais, seule la dixième partie de ses 2,2 millions de km2 est cultivable, au stade actuel du développement agricole. Dans quelle mesure les progrès techniques pourraient permettre, d’abord de compenser les désastres causés par l’érosion des terres – 40’000 ha par an – ensuite d’accroître le rendement agricole proportionnellement à l’augmentation démographique?
Certes, il y a encore les richesses du sous-sol, celles qui gisent dans les chaînes des deux Atlas et celles que recèle le Sahara. Mais, sans doute, convient-il de ne se faire aucune illusion sur l’ensemble de ces richesses, qu’elles soient en cours d’exploitation ou encore inexplorées: dans l’état actuel de l’économie algérienne – je pense surtout au prix et à la qualité de la maind’œuvre – les productions minières ne peuvent être que déficitaires, en tant que les produits identiques peuvent être importés à meilleur compte; elles sont donc «incompétitives» sur les marchés étrangers. Mais, disent certains économistes français, l’investissement massif – M. Alfred Sauvy, dans l’«Express», parle de 400 milliards par an – pourrait provoquer le «démarrage» productif de l’économie algérienne; et ces économistes ajoutent à leur théorie un slogan, dont la portée démagogique n’est pas voilée: la guerre économique, quel que soit son prix, coûtera meilleur marché que la rébellion et la répression sous toutes ses formes.
Personne ne contestera que le régime de la force est de tous le plus mauvais, encore qu’il peut aussi ne pas être efficace, mais s’il s’agit d’investir, il convient avant toute chose de savoir quoi, combien et qui!
Or, il est clair que la politique insensée du Gouvernement français durant la dernière décade a complètement désorganisé l’économie algérienne (que l’on songe, à propos des allocations familiales, qu’on a transporté en Algérie, où il y a trop d’enfants, une législation faite pour un pays qui n’en avait pas assez!). Il est donc bien certain que ce ne sont pas les capitaux privés qui vont faire les 400 milliards annuels dont parle M. Sauvy, et d’autres avec lui. Sera-ce alors à la Métropole à faire le sacrifice d’investissements, d’autant plus problématique aujourd’hui que le séparatisme et le nationalisme sont devenus des éléments de fait de la vie politique de l’Algérie? En admettant que la France soit mise dans l’obligation de le faire (stratégie occidentale), il se pourrait fort bien qu’un jour le Français moyen n’ait plus envie de payer la «note algérienne» pour la seule satisfaction de suivre une stratégie dont il n’est, de toute façon, plus le maître (voir les constructions militaires de Mers-el-Kébir, «ordonnées» par les EU), ou encore celle de sauver un million de non-Musulmans établis dans cette partie de l’Afriquedu Nord! Déjà à Paris la réaction contre la «pègre» algérienne en Métropole se fait sentir.
Appelant l’aide de la Métropole pour résoudre la crise qui déferle sur ce pays, M. Farès, alors président de l’Assemblée algérienne, disait: «Pour notre part, nous estimons que les problèmes sociaux (chômage, logement, scolarisation, etc.) qui se posent, ne seront résolus que dans la mesure où l’économique rattrapera, puis dépassera le démographique.» M. Soustelle, l’actuel Gouverneur général de l’Algérie, vient précisément d’obtenir que les problèmes économiques et sociaux jouissent de la priorité – baisse du prix du sucre; distribution de pain et de semoule pour un milliard. Il a été en outre décidé de procéder à des réformes administratives – création de nouveaux départements – et d’accélérer l’intégration de l’Algérie et de ses habitants, c’est-à-dire de faire du Musulman un Français, du moins par la couleur de sa carte d’identité.
Le mal va-t-il être enfin enrayé? Personnellement, je ne le pense pas, parce que dans un pays dont la structure est en fait coloniale, le social contredit l’économique! On ne peut pas produire à bon marché et chercher à vendre, en versant des prébendes à chacun sous la forme d’allocations, de nourriture, d’écoles, de places de sport et de camions-cinéma ambulants!
Je pense, au contraire, que le démographique triomphera de l’économique et l’augmentation démographique entraînera avec elle un paupérisme accru. Or, rien n’étant plus favorable que le paupérisme pour faire éclore le fanatisme, qu’il soit confessionnel, racial ou politique, nous constaterons alors que les problèmes algériens ne peuvent être résolus par la seule obstination qu’a l’Occident à vouloir lui-même construire le bonheur d’autrui, et le Français à faire celui des Musulmans, en particulier.
Vu sous un angle différent, il est évident que, si les peuples de Tunisie, d’Algérie et du Maroc sont racialement à peu près identiques (Arabes et Berbères) et confessionnellement tous musulmans, il n’y a pas de raison pour que les aspirations tunisiennes et marocaines à l’autonomie administrative ou même politique – partiellement satisfaites – ne provoquent pas des envies identiques chez les Algériens. Or, ces envies existent, elles sont vivaces, elles sont surtout celles de la génération montante. Je ne vois pas comment ces aspirations pourraient être endiguées de façon durable. Peut-être, dans un avenir pas si lointain, Messali Hadj reviendra-t-il en Algérie, tout comme Bourguiba est revenu de son exil en Tunisie!
Notre politique commerciale et financière se doit de tenir compte des aspects multiples des problèmes nord-africains. J’ai donc cru utile de vous en donner un aperçu, encore qu’il s’agisse d’opinions personnelles.Secret.
P. S. Les événements sont tels – les sabotages se chiffrent déjà par milliards – et les perspectives de voir la France triompher du problème algérien si peu sûres, qu’il est question, aujourd’hui, de liquider en totalité la Cie genevoise de Sétif (15’000 ha. de culture)3. Le Gouvernement général aurait déjà été pressenti, en vue de racheter les terres en corrélation avec l’application éventuelle d’une réforme de la propriété agricole.
- 1
- Rapport: E 7100(-)1967/32/653. Ce rapport est rédigé par le Vice-consul, R. Godet. Une copie est envoyée à la Division des Affaires politiques du DPF ainsi qu’à la Légation de Suisse à Paris. En tête du document, une note manuscrite probablement d’E. Moser: Ce rapport donne une idée très intéressante du problème algérien. Une autre annotation manuscrite précise qu’une copie de ce rapport est adressée au Vorort, à Zurich, ainsi qu’au Secrétariat de l’Union Suisse des Paysans, à Brougg.↩
- 2
- Non reproduit.↩
- 3
- Sur la question de la nationalisation de la Compagnie genevoise de Sétif, cf. la copie de la lettre du Vice-consul de Suisse à Alger, R. Godet, au Secrétaire général du DPF, A. Zehnder, du 10 octobre 1956 ainsi que le dossier intitulé Réforme agraire en Algérie, E 2200.4(-) 1970/245/136 (dodis.ch/12897).↩
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