Classement thématique série 1848–1945:
I. POLITIQUE GÉNÉRALE ET PRINCIPE DE LA NEUTRALITÉ
I.1. DOCTRINE OFFICIELLE DE LA NEUTRALITÉ
Abgedruckt in
Diplomatische Dokumente der Schweiz, Bd. 15, Dok. 424
volume linkBern 1992
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Archiv | Schweizerisches Bundesarchiv, Bern | |
▼ ▶ Signatur | CH-BAR#E2001-04#1000/124#90* | |
Alte Signatur | CH-BAR E 2001-04(-)1000/124 4 | |
Dossiertitel | Généralités (1945–1945) | |
Aktenzeichen Archiv | F.14.40 |
dodis.ch/48028
Le Chef du Département politique, M. Petitpierre, aux Légations de Suisse et aux Consulats généraux1
La Suisse, étant un Etat neutre, n’a pas été invitée à se faire représenter ni à envoyer un observateur à la Conférence de San Francisco. Le Conseil fédéral a pris la décision de ne pas chercher à provoquer une invitation. Pourtant notre pays ne peut se désintéresser des décisions qui seront prises à cette conférence et qui, d’après ses organisateurs, tendent à établir «à une date aussi rapprochée que possible une organisation internationale générale basée sur le principe de l’égalité souveraine de tous les Etats épris de paix et ouverte à tous les Etats, grands et petits, pour le maintien de la paix et de la sécurité internationale».
Le peuple suisse, qui adhéra au Pacte de la Société des Nations, a donné, avant et pendant cette guerre, des preuves évidentes de sa compréhension de la solidarité internationale.
Il n’est pas possible de dire aujourd'hui à quel résultat aboutira la conference de San Francisco. Si c’est un succès, il est vraisemblable que le projet envisagé à la Conférence des Ministres des Affaires étrangères à Moscou le 9 octobre 19442, élaboré ensuite au cours des entretiens qui ont eu lieu à Dumbarton Oaks et à Yalta, sera adopté sans modifications notables. Des amendements ont été proposés par le Gouvernement français, dont un en particulier intéresse spécialement la Suisse. Il est ainsi conçu: «La participation à l’organisation implique des engagements incompatibles avec le statut de neutralité.»
Nous ignorons aujourd’hui si les Etats restés neutres pendant cette guerre seront invités à faire partie plus tard de l’organisation mondiale qui doit être créée à San Francisco et, s’ils sont invités, à quelles conditions ils seront accueillis comme membres de cette organisation. Il n’est donc pas possible d’arrêter aujourd’hui une doctrine suisse ayant un caractère définitif. En revanche, nous pouvons fixer, sur la base de la situation actuelle, une attitude que nous définissons comme suit:
1.– La pierre d’angle de la politique étrangère suisse est la neutralité perpétuelle. Celle-ci a un double caractère. Elle a été voulue par les Gouvernements des pays européens représentés à Vienne en 1815, qui l’ont considérée comme étant dans «les vrais intérêts de l’Europe entière». Mais elle n’a pas été imposée unilatéralement à la Suisse. Elle consacrait un état de fait créé par cette dernière depuis des siècles. Notre pays la considère comme un élément de sa souveraineté, mais il estime aussi être tenu à cette neutralité par les engagements qu’il a pris de l’observer et de la faire respecter. Ces engagements, le peuple suisse les tient pour sacrés. Il a toujours accepté les lourds sacrifices que lui imposait la nécessité d’être constamment prêt à défendre sa neutralité.
2.– Si la Suisse avait été attaquée par l’Allemagne en 1940 ou 1941, elle aurait résisté par les armes, comme les autres pays qui avaient la volonté de rester neutres, mais ne l’ont pu en raison de l’agression dont ils avaient été l’objet. Il y a lieu de relever que, parmi les pays de l’Europe qui font partie des Nations unies avec l’Angleterre et la France, aucun n’est entré dans la guerre de son gré, mais que tous y ont été entraînés par l’agression allemande. Cela est vrai aussi des Etats-Unis d’Amérique, attaqués par le Japon. On ne saurait donc aujourd’hui reprocher à la Suisse d’être restée neutre pendant cette guerre. Elle ne s’est pas comportée autrement que ne l’auraient fait les autres Etats qui se seraient trouvés dans la même situation qu’elle.
D’ailleurs, la nature de la neutralité suisse est - on ne saurait assez insister sur ce point - tout à fait différente de celle des Etats qui, au début d’une guerre, déclarent ne pas vouloir y participer.
3.– Les accusations portées contre la Suisse qu’elle aurait elle-même porté atteinte à sa neutralité au profit des puissances de l’Axe ne sont pas fondées. Au contraire, notre pays, même lorsqu’il était encerclé par ces puissances, a toujours observé une stricte neutralité. Il s’est, en particulier, tenu rigoureusement aux prescriptions de la Convention de La Haye concernant les droits et les devoirs des puissances et des personnes neutres en cas de guerre sur terre. Il est faux que notre pays ait à aucun moment autorisé, comme l’on fait d’autres pays neutres, le passage de militaires ou le transit d’armes sur son territoire. Même lorsqu’il était encerclé, il a entretenu des relations commerciales avec les Nations unies. Les négociateurs alliés qui sont venus à Berne en février et mars 1945 et auxquels tous les renseignements qu’ils désiraient ont été donnés ont pu se rendre compte de la correction constante et absolue de l’attitude suisse3. Ils ont fait des déclarations publiques dans ce sens en Suisse avant leur départ et dans leurs pays respectifs après leur retour.
4.– Si la Suisse a été la principale bénéficiaire de sa neutralité en ce sens qu’elle a échappé à la guerre et à ses conséquences directes, elle peut affirmer que cette neutralité lui a permis de rendre - comme puissance protectrice et grâce à l’activité de la Croix-Rouge internationale - des services aux nations alliées et que ces services sont certainement plus importants que ne l’auraient été son entrée en guerre et l’invasion de son territoire. D’autres pays neutres auraient pu, à la rigueur, défendre les intérêts des pays belligérants. Mais aucun, en revanche, ne disposait, sur son territoire, d’une institution comme la Croix-Rouge internationale, dont l’activité absolument désintéressée et fondée sur une longue expérience, justifie presque à elle seule la neutralité de la Suisse. D’autre part, la position géographique de notre pays lui a permis d’être une terre de refuge pour de nombreux malheureux. Sur le plan militaire, la neutralité suisse a été favorable aux Alliés. Elle a protégé le flanc droit de leurs armées sur le front ouest. Elle a empêché l’Axe d’utiliser les lignes de chemins de fer et les cols des Alpes pour le passage de ses troupes et le transit de ses armes. Si notre territoire avait été envahi, la présence d’armées allemandes dans les montagnes suisses constituerait une menace pour le flanc droit des armées alliées, qui peut s’appuyer sur notre frontière. En outre, il n’est pas exclu que les montagnes helvétiques auraient pu devenir une partie du réduit allemand. Enfin, l’invasion de la Suisse obligerait automatiquement la Croix-Rouge internationale à suspendre son activité.
5.– La Suisse est convaincue qu’aujourd’hui encore, en raison de sa situation géographique et de sa volonté de défendre sa neutralité par les armes en cas de besoin, cette neutralité est dans «les vrais intérêts de l’Europe».
Cette neutralité ne doit pas être considérée comme une méconnaissance de la solidarité internationale et des obligations qu’elle implique et qui ne sont pas nécessairement les mêmes pour tous les pays.
6.– La Suisse désire ardemment voir s’établir dans le monde entier un régime de droit qui garantirait à toutes les nations pacifiques les biens de la paix et de la sécurité dont elle a le privilège de jouir elle-même depuis plus d’un siècle. Elle souhaite donc la réalisation des espoirs qu’a fait naître la Conférence de San Francisco.
Toutefois, si le projet de Dumbarton Oaks était adopté, la Suisse aurait probablement à choisir entre sa neutralité et son affiliation à la nouvelle organisation en voie de création. Il est vraisemblable qu’il lui serait plus difficile qu’au moment de la constitution de la Société des Nations de faire admettre pour elle un statut spécial qui la dispenserait de participer à des sanctions militaires. La Suisse ne peut aujourd’hui songer à abandonner sa neutralité. Elle entend donc se tenir sur la réserve à l’égard du plan de Dumbarton Oaks, sans préjuger cependant l’avenir.
En revanche, notre pays se déclare d’ores et déjà prêt à examiner avec la nouvelle organisation mondiale les conditions dans lesquelles il pourrait collaborer avec elle. En outre, il s’est toujours intéressé et continuera à s’intéresser aux organisations techniques qui existent déjà (B.I.T.4, Cour permanente de Justice internationale, institutions humanitaires, etc.). Au cas où il ne lui serait pas possible d’entrer dans l’organisation politique nouvelle, elle est prête, bien plus elle a la volonté de collaborer aussi activement que possible avec les autres nations dans le cadre des organisations techniques existantes ou à créer. Elle a également le désir de conserver le siège des institutions internationales, y compris les Bureaux internationaux à Berne et à Genève, qui sont déjà établies sur son territoire5. Elle serait heureuse d’accueillir d’autres institutions, qui pourraient être créées plus tard.
7.– Les considérations qui précèdent sont destinées à permettre de répondre aux questions qui pourraient être posées sur l’attitude de la Suisse à l’égard de la Conférence de San Francisco et du projet d’organisation mondiale qui y sera discuté. Il y a lieu d’insister sur la nécessité pour la Suisse de conserver son statut de neutralité, dans son propre intérêt et dans celui de l’Europe, tel qu’il a été reconnu jusqu’à présent par la plupart des autres Etats du continent6.
- 1
- Lettre (Copie): E 2001 (D) 3/24.↩
- 2
- Annotation manuscrite dans la marge: 30 oct [obre]1943?↩
- 3
- Cf. table méthodique des documents: III.2.3. Négociations à Berne en février et mars 1945.↩
- 4
- Sur l’installation du Bureau International du Travail à Genève, cf. DDS, vol. 7.II, Nos 338, dodis.ch/44549 et 348, dodis.ch/44559.↩
- 6
- Sur la préparation de cette circulaire, cf. E 2800/1967/60/18.↩
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Neutralitätspolitik UNO – Allgemein
Fragen des Beitritts zu Internationalen Organisationen