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Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 15, doc. 418
volume linkBern 1992
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E7001B#1000/1060#415* | |
Old classification | CH-BAR E 7001(B)1000/1060 346 | |
Dossier title | 1945 (1945–1945) | |
File reference archive | 3.0 |
dodis.ch/48022 Le Chef du Département politique, M. Petitpierre, aux membres du Conseil fédéral1
Au cours de la dernière séance du Conseil fédéral, j’ai été chargé de prendre contact avec les représentants diplomatiques de France, de Grande-Bretagne et des Etats-Unis d’Amérique, puis de vous faire des propositions sur les questions que j’ai soulevées verbalement à différentes reprises concernant les ressortissants des pays alliés, prisonniers, déportés et autres, retenus jusqu’à présent en Allemagne et qui chercheraient, soit à se réfugier sur notre territoire, soit à passer à travers notre pays pour retourner dans leur patrie2.
J’ai eu des entretiens avec l’Ambassadeur de France et le Ministre de Grande-Bretagne, de même qu’avec M. Cari Burckhardt, Président de la Croix-Rouge internationale. D’autre part, un fait nouveau s’est produit. J’ai, en effet, reçu hier de M. Frölicher, notre Ministre en Allemagne, une lettre datée du 15 avril3, dont je vous remets ci-joint une copie.
D’après les indications que nous a données Monsieur le Président de la Confédération, toutes les questions techniques soulevées par l’arrivée en Suisse de fugitifs ayant été examinées et résolues par les services compétents des différents Départements dont les représentants se réunissent chaque semaine, je n’ai pas de proposition à faire à cet égard. J’admets sans autre que nous sommes prêts à toute éventualité et que les mesures convenables ont été prises pour le cas d’un afflux massif.
En revanche, le Conseil fédéral me paraît devoir se prononcer sur les points suivants:
1) M. Frölicher propose qu’une démarche soit faite immédiatement auprès des autorités allemandes dans le sens de sa lettre, ce qui impliquerait pour la Suisse l’obligation de recueillir, au moins passagèrement, ou de laisser passer sur son territoire un nombre de réfugiés qui ne peut être précisé, mais qui s’élèverait vraisemblablement à des centaines de mille. J’estime que cette démarche doit être faite. C’est également l’avis de M. Burckhardt. Pour les motifs d’ordre non seulement humanitaire mais aussi politique que j’ai déjà exposés à différentes reprises au Conseil fédéral, il est indispensable que la Suisse contribue à sauver, dans une mesure aussi large que possible et même au prix pour elle de sacrifices appréciables et de graves inconvénients, les malheureux qui se trouvent encore en Allemagne et sont dénués de tout.
D’après des indications qui m’ont été données hier par M. Burckhardt, le Général Eisenhower se serait montré surpris de l’état déplorable dans lequel se trouvaient les prisonniers de guerre anglais et américains libérés par les armées alliées. Cet état s’explique par le fait que, pendant les jours qui ont précédé leur libération, il n’a plus été possible de s’occuper d’eux et de les ravitailler normalement. Néanmoins, il semble qu’on soit prêt à reprocher à la Suisse en tant que puissance protectrice et à la Croix-Rouge internationale de ne pas avoir fait tout ce qui était possible.
2) Si, en principe, le Conseil fédéral est d’accord avec la démarche prévue sous chiffre 1, il y aurait lieu de chercher à obtenir des Alliés (Français, Anglais et Américains) qu’ils s’engagent à accueillir en France tous les fugitifs qui se seraient présentés en Suisse en se déclarant ressortissants d’un quelconque des pays alliés, y compris les pays autres que la France, l’Angleterre et les Etats-Unis. D’après les renseignements qui m’ont été fournis par l’Ambassadeur de France, les centres d’accueil français déjà créés ou en voie de création ne pourraient recevoir plus de 6000 à 7000 fugitifs par jour.
Ce point soulève une question essentielle, celle du contrôle et de l’examen sanitaire des fugitifs.
Sauf erreur, il a été prévu que le contrôle se ferait à l’entrée en Suisse, avec le concours de représentants de la police française pour le contrôle des ressortissants français. Cela peut donner lieu, en cas d’afflux massif, à de grosses difficultés et à une lourde responsabilité à notre charge. Il serait préférable, à mon avis, de chercher à obtenir des Alliés qu’ils admettent que nous nous bornions à organiser le transit en Suisse de tous les fugitifs présumés ressortissants d’une des Nations unies, le triage devant se faire en France à la décharge des autorités suisses. Sinon, nous courons le risque d’admettre en Suisse des fugitifs que nous transporterons à la frontière française mais dont l’entrée en France ne serait pas admise. Nous serions alors en présence d’un résidu qui se traduirait en Suisse par une saturation nous obligeant à suspendre l’accueil de nouveaux fugitifs.
A ce problème du contrôle est lié celui de l’examen sanitaire. En cas d’afflux massif, il me paraît difficile de faire procéder à cet examen, qui serait, bien entendu, indispensable si les fugitifs devaient séjourner en Suisse si peu de temps que ce soit.
Si le contrôle peut se faire en France après le passage de la frontière française, les Alliés devraient s’engager à ne pas refouler chez nous des fugitifs qu’ils considéreraient comme indésirables.
3) Tout le problème est dominé par le fait que les fugitifs qui se présenteraient à nos frontières sont en général épuisés, affamés et dénués de tout, par conséquent en danger de mort. Cela pose le problème de leur ravitaillement. Des mesures devraient donc être prises pour leur donner à manger au moment de leur arrivée en Suisse. Il s’agit là d’un problème technique qui a sans doute déjà été examiné, comme celui de l’organisation des transports, du convoiement des trains, de l’hospitalisation des intransportables, etc.
4) J’ai demandé à l’Ambassadeur de France et au Ministre de Grande-Bretagne s’ils avaient des vœux à formuler au sujet de ces fugitifs.
M. Hoppenot m’a dit qu’il aimerait que quelques Français et Françaises puissent venir en Suisse pour recevoir leurs compatriotes, les réconforter et, d’une manière générale, collaborer avec nous.
De son côté, M. Norton m’a déclaré que quelques officiers anglais étaient à disposition à Londres pour collaborer avec l’administration suisse lors de l’arrivée des réfugiés. Quatre à cinq officiers pourraient venir de suite dans notre pays.
Je ne vois pas d’inconvénients à donner suite à ces vœux, sous réserve que notre souveraineté soit entièrement respectée, ce qui serait le cas si ces personnes étrangères n’avaient aucune compétence pour se prononcer sur l’accueil en Suisse ou le refoulement de fugitifs.
A ce propos, il me paraît aussi que les fonctionnaires de la police française qui seraient admis chez nous ne devraient pas avoir un droit de décision.
Aucune difficulté ne se produirait à cet égard si l’on admettait la solution du passage en Suisse de tous les fugitifs présumés ressortissants des pays alliés et leur triage après leur passage de la frontière française.
- 1
- Lettre (Copie): E 7001 (B) 1/346.↩
- 2
- Le 18 avril, le Délégué du Conseil fédéral aux Œuvres d’Entraide internationale, Ed. de Haller, adresse la notice suivante au Chef du DPF: Je crois qu’il importerait, lorsque nous approcherons les Gouvernements alliés pour leur soumettre le problème découlant du rapport de M. Frölicher, de ne pas créer l’impression que nous voulons à tout prix éviter d’être encombrés, même momentanément, d’un nombre relativement élevé de fugitifs. Il faudrait sans doute expliquer très clairement que si nous insistons pour régler le volume de l’admission à la mesure de celui de l’évacuation, c’est pour pouvoir contribuer d’une façon plus efficace à la solution du problème. On ne devrait pas exclure l’éventualité de l’accueil en Suisse de plusieurs dizaines, voire même plusieurs centaines de milliers de fugitifs. Cette sorte de «réservoir» faciliterait l’amorçage de l’accueil en France et permettrait ultérieurement de parer à des à-coups. Si je me permets d’insister sur ce point, c’est que fort naturellement du côté allié on considère que notre population est loin d’avoir fait tous les sacrifices que l’on peut attendre d’elle, notamment dans le domaine du confort et des privations. Si, pour ne citer qu’un exemple, l’on songe que dans la région du nord de la France des villages de quelques centaines d’habitants doivent, d’une heure à l’autre, souvent en pleine nuit, accueillir des convois d’un millier de prisonniers et déportés libérés, qui arrivent affamés et en loques, on trouve tout naturel, dans les sphères du Commandement suprême inter-allié, de nous abandonner le soin de résoudre par nos propres moyens le problème soulevé par le rapport de M. Frölicher (E 2001 (D) 3/474).↩
- 3
- Publié ci-dessus en annexe au No 417.↩