Classement thématique série 1848–1945:
IV. POLITIQUE HUMANITAIRE
IV.5. ACTIVITÉS D’ENTRAIDE INTERNATIONALE
Également: L’action de la Suisse en faveur des victimes de la guerre doit être rigoureusement désintéressée et apparaître comme un sacrifice national. Toutefois, il faut éviter des malentendus dans l’opinion publique. Annexe de 12.6.1944 (CH-BAR#E2001E#1000/1571#1682*).
Abgedruckt in
Diplomatische Dokumente der Schweiz, Bd. 15, Dok. 82
volume linkBern 1992
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Archiv | Schweizerisches Bundesarchiv, Bern | |
▼ ▶ Signatur | CH-BAR#E2001D#1000/1553#7808* | |
Alte Signatur | CH-BAR E 2001(D)1000/1553 485 | |
Dossiertitel | Beteiligung der Schweiz am Wiederaufbau Europas. Projet «S» (1943–1945) | |
Aktenzeichen Archiv | B.55.48.05.Uch |
dodis.ch/47686
A Londres et à Washington, la question du secours d’après-guerre aux régions de l’Europe qui ont souffert de l’occupation ennemie est à l’ordre du jour depuis près de deux ans. Les diverses études consacrées à ce problème dans le camp des Nations unies ont abouti, comme on le sait, à la signature, à Washington, le 9 novembre dernier, d’un accord entre elles instituant 1’«United Nations Relief and Rehabilitation Administration» (l’Administration interalliée de secours et de reconstruction), que l’on désigne par ses initiales: l’«UNRRA».
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Avant la conférence d’AtlanticCity déjà, on a annoncé que la Suède portait un grand intérêt à l’UNRRA et cherchait à assurer une participation de son industrie aux commandes qui seront passées et de sa marine marchande aux transports dirigés sur les pays dévastés. En même temps, on se préparait à Stockholm à consacrer un montant de cent millions de couronnes à des secours aux pays nordiques et à leur restauration.
Il n’est pas inutile de relever à ce propos que la situation de la Suède est assez différente de celle de la Suisse; elle résulte de sa position géographique et du fait que ses secours seront distribués à un groupe de petites puissances dont elle fait partie et qu’unissent des liens de parenté ethnographiques et politiques très étroits.
Comme le lui dictait sa stricte neutralité, la Suisse devait se montrer plus réservée. Elle n’en a pas moins fait en sorte d’être exactement renseignée. On semble d’ailleurs avoir compris, dans les milieux de PUNRRA, qu’une adhésion de la Confédération à une association de gouvernements d’un des groupes de belligérants actuellement aux prises ne pouvait être envisagée tant que dure la guerre. On s’y est également rendu compte que notre Gouvernement ne songeait nullement à rester à l’écart lorsque les circonstances lui permettraient de prendre part à une vaste action de solidarité collective quasi universelle pour la restauration de la civilisation, au lendemain de la plus grande tragédie qu’elle ait connue. On sait d’ailleurs que, le voudrions-nous, nous ne pourrions pas, le moment venu, nous cantonner dans l’abstention. Nous avons un intérêt majeur à la prompte reconstruction de l’Europe, indépendamment du fait qu’une attitude passive apparaîtrait égoïste, pour ne pas dire odieuse, et compromettrait gravement notre crédit moral et politique.
Il est inévitable que la création de l’UNRRA et la diffusion des comptes rendus de ses travaux exercent une certaine séduction sur les esprits dans notre pays. Rapidement, des initiatives plus ou moins étudiées ont vu le jour. Qu’il s’agisse de projets individuels ou collectifs, on peut les classer en deux catégories, suivant qu’ils sont inspirés par la générosité, la solidarité humaine, ou qu’ils traduisent le souci de faire profiter notre industrie, notre commerce et notre finance d’une occasion favorable.
Il y a, dans chacun de ces deux courants, un projet qui mérite de retenir l’attention de l’autorité fédérale.
C’est tout d’abord l’initiative ouvertement intéressée de la S.A. Motor Columbus. Un comité d’étude, présidé par M. Niesz, est déjà au travail et s’est donné pour tâche de mettre au point les dispositions qui doivent permettre à l’industrie suisse de produits d’exportation de se voir adjuger, lorsque la guerre prendra fin, sa part des commandes qui seront passées pour la restauration des régions dévastées. Le comité s’est, avec raison, interdit d’entrer en contact avec des autorités étrangères, notamment avec l’UNRRA.
L’autre courant a donné naissance à la proposition que M, le Conseiller national Speiser a soumise au Conseil fédéral par lettre du 12 décembre 1943 [publiée ci-dessus, cf. No 55]. Très justement, M. Speiser part de l’idée qu’il ne faut pas mêler l’intérêt à la générosité. Il préconise que la Suisse se porte au secours plus spécialement de ses voisins appauvris dans un élan spontané et désintéressé, aussitôt que les hostilités auront pris fin. Cette «aide éclair» serait une action purement suisse, préparée, financée et exécutée en toute indépendance, sans lien immédiat et apparent avec les initiatives étrangères et notamment sans rapport avec l’UNRRA. Pour le financement, on consacrerait un montant de l’ordre de 200 millions de francs, dont une moitié serait versée par la Confédération et l’autre moitié par la population, principalement par le monde des affaires. Les secours seraient distribués en nature et à titre rigoureusement gratuit. Ils pourraient sembler insignifiants, comparés aux besoins, mais on espère qu’ils auraient au moins le mérite d’exercer leur effet sans délai, grâce à notre position géographique et aux préparatifs que nous aurions faits. Or, dans l’état actuel de notre approvisionnement, il se trouve que, d’après les renseignements sommairement recueillis, notre commerce et notre industrie auraient un avantage réel à ce que l’on passe aux grossistes et aux détaillants des commandes importantes à ne livrer qu’au moment de la cessation des hostilités. En fait, certaines branches de notre production apporteraient leur contribution sous forme de don de marchandises.
Le projet esquissé par M. Speiser est, dans son principe, à la fois généreux, opportun, pratique et compatible avec nos devoirs politiques. Nous estimons qu’il mérite d’être sérieusement examiné et encouragé. Le Conseil fédéral devrait, croyons-nous, en adopter les grandes lignes et le prendre sous son patronage. Il est évident que, si la Suisse veut jouer le rôle qui lui revient dans le domaine des secours d’après-guerre, les énergies et les ressources doivent d’emblée être groupées. L’effort ne peut être fractionné. Un éparpillement de nos ressources, déjà comparativement limitées, serait cause d’impuissance et d’inefficacité. Le but serait manqué. La Suisse doit ici apparaître unie et solidaire, au risque d’échouer.
M. Speiser a énoncé certaines idées excellentes. Reste à poser des principes fondamentaux et à élaborer un plan d’action.
Le premier des principes découle de notre neutralité. Tant que la guerre n’est pas terminée, nous ne pouvons nous engager dans une action reposant sur la présomption de la victoire d’un des groupes de belligérants. Il faut donc agir indépendamment de toute attache avec les préparatifs poussés dans l’un ou l’autre camp. Ceux qui mettraient sur pied notre programme devraient faire en sorte qu’il puisse indifféremment être réalisé suivant que l’une ou l’autre hypothèse, quant à l’issue du conflit, se vérifierait. Mais, selon toute vraisemblance, il s’établira, au moment d’intervenir, un contact avec les organisations étrangères, par exemple avec l’UNRRA. Notre action de secours commencera par précéder, si elle le peut, celle des armées victorieuses. Ensuite, elle se fondra tout naturellement dans l’institution internationale. Dans l’hypothèse de la victoire des Nations unies, notamment, ce développement est de toute évidence. C’est pourquoi nous devons le prévoir et admettre même que, le moment venu, il se pourrait qu’on ne nous autorise pas à devancer l’UNRRA et qu’on attende de nous l’apport de nos ressources au profit du «pool» de l’institution. Si nous y sommes amenés, comme c’est possible, nous aurons au moins l’avantage de posséder un dispositif déjà mis au point qui nous épargne des pressions inopportunes.
Le deuxième principe devrait être celui de la participation du pays dans son ensemble, sans distinction de partis, de classes, d’intérêts et de convictions religieuses. En bref, on mobiliserait les ressources disponibles du peuple suisse en faisant appel à sa générosité. Le pays, dans son élan charitable, devrait faire, bien entendu, abstraction de ses sympathies vis-à-vis des populations à secourir. Si l’on veut atteindre le chiffre articulé par M. Speiser ou même seulement le montant de ce que serait la contribution de la Suisse à l’UNRRA, une très large participation de notre peuple sera nécessaire. Pourra-t-on obtenir des sommes aussi élevées au moyen de dons volontaires? Certes le public répond généreusement aux collectes. On doit cependant se demander si et dans quelle mesure une partie au moins des fonds à constituer ne fera pas l’objet de versements officiels. Cette participation trouverait sa justification dans le caractère exceptionnel de l’entreprise à financer, puisqu’il s’agirait de préparer pour notre compte ce que ferait l’UNRRA si nous y étions affiliés; or, comme membre de l’UNRRA, nous nous acquitterions d’une contribution à laquelle seraient consacrés également des fonds publics. Il y a, d’ailleurs, des précédents.
Le troisième principe serait celui du désintéressement. Par là, nous entendons, non seulement écarter l’apparence d’une opération lucrative, mais également toute exploitation directe, toute propagande sur le thème de notre philanthropie. L’action devrait apparaître comme l’accomplissement d’un devoir, l’acquittement d’une dette, et non comme une occasion de susciter, de la part des bénéficiaires ou de tiers l’exaltation de nos vertus.
Enfin, dernier principe fondamental, on éviterait toute jonction entre les objectifs poursuivis par le «Comité Niesz» et ceux du plan issu de l’initiative Speiser. Ce qui n’empêche pas que le succès du «Comité Niesz», c’est-à-dire l’avenir immédiat de notre industrie d’exportation, est peut-être subordonné dans une large mesure à celui de l’action humanitaire envisagée par le présent rapport. En effet, l’idée du «Comité Niesz» ne vise à rien moins qu’à obtenir des commandes pour la reconstruction des régions dévastées, commandes qui seront vraisemblablement passées par une institution internationale, à laquelle il est donc souhaitable que nous soyons virtuellement associés. Il n’en reste pas moins que, bien qu’empruntant des voies parallèles, ces deux entreprises doivent demeurer rigoureusement indépendantes l’une de l’autre, non seulement pendant la période d’étude, de préparation, mais aussi probablement lors de la réalisation. Il faudra s’efforcer, toutefois, d’établir en fait une collaboration étroite entre les organes des deux entreprises.
L’élaboration du plan d’exécution serait abordée sans retard, mais sans hâte. Elle comportera, semble-t-il, deux étapes. Tout d’abord une étude préliminaire dont le résultat serait sanctionné puis publié par le Conseil fédéral; ensuite viendrait l’appel de fonds et l’inventaire des stocks.
Nous avons consulté le Délégué aux œuvres d’entr’aide internationale, qui, de par la nature même de ses fonctions, devrait être la cheville ouvrière de cette action. D’accord avec lui, nous songeons à un comité constitué ad hoc. Quelle en serait la composition? Problème délicat. En effet, il lui faut beaucoup d’autorité pour s’imposer, à l’intérieur de nos frontières tout d’abord, puis éventuellement au-delà. S’agissant d’une œuvre humanitaire, on songera tout naturellement à la Croix-Rouge, qui est dotée d’organes déjà éprouvés. Cette idée mérite qu’on s’y arrête. Car il convient de distinguer entre Comité international de la Croix-Rouge et Croix-Rouge suisse. Bien qu’il soit une création suisse, qu’il siège sur notre territoire et soit composé exclusivement de citoyens suisses, le Comité de Genève est une institution internationale, envers laquelle notre pays a davantage de devoirs, mais pas plus de droits que n’importe quel autre Etat. Une entreprise suisse comme celle qui est envisagée ici ne saurait donc être confiée au Comité international. Celui-ci peut, par contre, être mis à contribution comme il l’est par d’autres que nous pour la communication de sa documentation et, probablement, le moment venu, pour bénéficier des services de ses agents sur place.
Quant à la Croix-Rouge suisse, il sied de lui faire appel et confiance. Elle nous a informés qu’elle n’entreprendrait rien dans le domaine des secours d’après-guerre sans en avoir reçu le mandat formel du Conseil fédéral. Doit-on purement et simplement laisser à son Comité central le soin d’étudier le projet dont traite le présent rapport? Nous ne le croyons pas, car ce collège n’a pas été composé en vue de tâches de cette nature. Si on l’en chargeait, on l’obligerait à entreprendre une multitude de consultations ou à s’adjoindre un nombre tel de collaborateurs que le noyau initial de croix-rouge finirait en définitive par être submergé. La solution devrait, semble-t-il, plutôt être recherchée dans une étroite collaboration, assurée notamment par un ou plusieurs sièges réservés à la Croix-Rouge suisse au sein du comité ad hoc qui serait constitué.
Si le Conseil fédéral veut bien adopter en principe les idées énoncées dans ce rapport, nous lui soumettrons, dès que possible, nos propositions concernant la composition du Comité d’étude et le mandat qui lui serait confié. En attendant, un bref communiqué serait publié, ce qui aurait l’avantage de prévenir en quelque mesure les initiatives sporadiques ou intempestives.
Le Département politiqueLe Conseil fédéral prend acte avec approbation du présent rapport concernant la préparation de la participation de la Suisse aux œuvres de secours et de reconstruction d’après-guerre.
- 1
- E 2001 (D) 3/485. Préparation de l’après-guerre Secours et reconstruction Attitude de la Suisse. Ce texte a été rédigé par Ed. de Haller, puis légèrement modifié par M. Pilet-Golaz.↩
- 2
- Le Conseil fédéral, lors de sa séance du 25 février, prend acte avec approbation du présent rapport. (PVCF ° 358, E 1004.1 1/442).↩
- 3
- Suit une présentation générale de l’UNRRA.↩
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Planung der Nachkriegsordnung (Zweiter Weltkrieg) (1943–1944)