Classement thématique série 1848–1945:
III. RELATIONS ÉCONOMIQUES INTERNATIONALES
III.2. LES ALLIÉS
III.2.2. NÉGOCIATIONS FINANCIÈRES AVEC LES ALLIÉS
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 15, doc. 75
volume linkBern 1992
more… |▼▶Repository
Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2001E#1000/1571#1485* | |
Old classification | CH-BAR E 2001(E)1000/1571 131 | |
Dossier title | Schweiz. Banken auf schwarzen Listen (1940–1947) | |
File reference archive | B.51.322.04 |
dodis.ch/47679 Procès-verbal de la conférence tenue à la Banque nationale le 27 janvier 1944 pour préparer les négociations financières avec les Alliés1 Présents: MM. Weber, Rossy, Hirs et Gautier, Banque Nationale, M. le Prof. Keller, Division du Commerce, MM. Rezzonico, Kohli, Reichenau et Junod, Département Politique.
Cette conférence a pour but d’orienter les membres de la délégation, qui va partir pour Londres, sur la politique de la Banque Nationale.
M. Keller résume la situation et relève que les prochaines négociations de Londres seront difficiles étant donné que la Suisse a beaucoup à demander et fort peu à offrir. En ce qui concerne plus particulièrement la question des banques, la délégation devra d’emblée insister sur le fait que la Suisse ne saurait prendre aucun engagement contractuel. Dans ce domaine, les négociations seront une prise de contact et auront pour but d’amener les Alliés à préciser leur point de vue. M. Keller aimerait à apprendre de la Banque Nationale:
a) Si elle estime nécessaire que la délégation éclaircisse encore certains points de 1’Agreement;
b) Quelle attitude notre Institut d’émission adopte à l’égard des ventes d’or que lui font les banques centrales étrangères;
c) Dans quelle mesure le maintien de la liberté du commerce des changes influe sur l’activité des banques privées suisses;I. Agreement financier.
M. Weber constate que la Banque Nationale est extrêmement satisfaite des résultats obtenus par M. Keller et de la signature de l’Agreement2. Il est d’avis que la délégation n’a plus à s’en occuper à Londres, les questions de détail concernant l’exécution de l’accord pouvant faire l’objet de discussions directes entre M. Gautier et les représentants de la Banque d’Angleterre. M. Weber estime même qu’il serait inopportun, une fois l’Agreement signé, de reprendre les discussions officielles à cet égard.
M. Rossy relève que la seule question qui se pose encore est celle de la mesure dans laquelle l’or mis à la disposition de la Banque Nationale à Londres est libre non seulement vis-à-vis de celle-ci mais également vis-à-vis des autres banques centrales auxquelles notre Institut pourrait être amené à le céder.
M. Gautier relève qu’il s’agit là d’une question interne qu’il se chargera de discuter lui-même sur place.
M. Kohli croit que, outre les deux arguments développés par M. Keller, il y en a un troisième qui est pour beaucoup dans le revirement d’attitude des autorités britanniques. Il a l’impression que les Alliés ont voulu prévenir un argument de la B.N. dont ils attendent qu’elle justifie ses achats d’or à l’Axe en invoquant l’impossibilité dans laquelle elle se trouvait de disposer de l’or qui lui était remis à Ottawa.
M. Keller pose ensuite la question de savoir si la B.N. entend revenir sur les propositions britanniques d’alléger leur contrôle des changes en ce qui concerne certains transferts de capitaux.
M. Weber ne désire pas revenir sur cette question car la B.N. entend maintenir la circulation monétaire dans les limites les plus modestes possibles.
M. Kohli intervient pour insister sur le fait qu’une reprise des transferts de capitaux venant d’Angleterre concerne avant tout l’intérêt général et que les autorités fédérales ont aussi leur mot à dire sur cette question. Il reste aussi le problème de la transformation des «old accounts» en «registered accounts» proposée naguère par la Grande-Bretagne. Pour l’instant, toutefois, il n’est pas nécessaire d’y revenir.
M. Kohli voudrait savoir si la B.N. désirerait qu’au cours des négociations qui se déroulent avec l’Allemagne, la Suisse aborde la question du transport par avion dans notre pays de l’or envoyé de Londres à Lisbonne.
M. Hirs est d’avis qu’il vaudrait mieux que la Banque Nationale se chargeât elle-même d’examiner la chose. Il croit qu’en intervenant auprès de la Reichsbank, il serait possible d’amener les autorités allemandes à consentir certaines facilités dans ce sens. Enfin, la discussion de ce premier item aboutit à la constatation qu’il est inutile que la délégation cherche à conclure un accord financier entre les Etats-Unis et la Suisse. Cette affaire pourra éventuellement être reprise à Washington.II. Problème de l’or.
M. Weber reprenant les arguments de la Banque Nationale développés dans son mémoire du 9 octobre3 à l’intention du Conseil fédéral explique que la B.N. ne peut, pour des raisons de neutralité, refuser d’acheter à la Reichsbank l’or que celle-ci lui offre contre des francs suisses. Il ajoute que si elle adoptait une attitude négative à l’égard de cette banque, cet or lui parviendrait par une autre source. La B.N. s’efforce toutefois de limiter ces reprises d’or et les achats des derniers mois de 1943 attestent une tendance à la baisse. Il conviendrait de relever d’ailleurs qu’une révision de la politique de la B.N. n’arrêterait nullement les transactions commerciales que les Allemands font avec les Espagnols et les Portugais. Tant qu’il y a des marchandises en Europe, les Allemands trouveront un moyen de les acheter si ce n’est par des remises d’or, par tout autre moyen. (M. Weber reprend ici l’idée développée au cours de la conférence avec les banquiers que si les Alliés veulent arrêter les transactions commerciales avec l’Allemagne, ils doivent agir sur le côté concret de ces transactions, à savoir en empêchant les pays qui disposent de marchandises de les livrer à l’Allemagne.)
M. Kohli, après avoir relevé que la seule façon de justifier, aux yeux des Alliés, l’activité internationale des banques suisses est de plaider la nécessité du maintien d’un courant normal des affaires, s’étonne toutefois du rythme auquel ont progressé les ventes d’or de la Reichsbank depuis 1940. Après avoir cité des chiffres (1940: 126270000 - 1943: 589128000), M. Kohli insiste sur le fait que la délégation aura à répondre devant les Alliés de cette augmentation. Il ne faut pas oublier en effet que l’espionnage économique est fort bien mené par les Alliés dans notre pays et qu’ils connaissent probablement aussi bien que nous le montant de nos importations d’or.
M. Gautier estime que la délégation devrait avoir des arguments pour répondre aux affirmations alliées qui voient dans l’or allemand le produit de larcins opérés dans les pays occupés.
M. Kohli rétorque que nous ne pouvons entrer en matière sur cette question étant donné qu’il faudrait remonter jusqu’à la guerre des Boers pour chercher à savoir jusqu’à quel point l’or que nous fournissent les Anglais n’est pas lui aussi le fruit de réquisitions opérées à l’époque. Il estime que les deux arguments à faire valoir pour justifier la politique de l’or de la B.N. sont les suivants:
a) Notre neutralité nous fait un devoir d’acheter de l’or à quiconque nous en offre et notre situation géographique a permis à l’Allemagne de profiter de cette situation plus que d’autres;
b) C’était une question de vie pour notre pays puisque grâce aux services que nous avons pu rendre à l’Allemagne, nous avons échappé à la guerre. Il serait intéressant d’ailleurs d’examiner dans quelle mesure l’Amérique a maintenu un actif commerce d’or avec le Japon jusqu’à la veille des hostilités, menant à l’époque la politique même qu’elle reproche maintenant à la Suisse.
M. Weber, revenant sur la question de l’or volé, relève que les Allemands disposaient avant la guerre d’énormes stocks de métal jaune. Il ne semble pas d’après les renseignements dont dispose la Banque Nationale que les Allemands aient réquisitionné l’or dans les pays occupés. III. Maintien de la liberté dans le commerce des changes.
M. Weber constate que le contrôle des changes auquel ont recouru presque tous les pays étrangers est dû à la pénurie de devises dont ils disposaient. La Suisse, qui possède d’énormes réserves de devises, n’a aucune raison de recourir à cette mesure. D’ailleurs, même si elle introduisait un contrôle des changes, la Banque Nationale ne cesserait pas pour autant d’entretenir des relations avec les banques centrales étrangères puisqu’aussi bien le contrôle des devises n’affecterait nullement l’activité de notre institut d’émission. Le seul moyen d’arrêter toute opération avec l’étranger consisterait à décréter un blocage des avoirs étrangers comme l’ont fait les Etats-Unis. Il s’agit là d’une mesure plus politique que financière dont les conséquences seraient pour notre pays la mort de son économie.
M. Weber combat l’argumentation de M. Nussbaumer qui voit dans la politique de la B.N. une excuse à celle que mènent les Banques privées suisses. Rien n’empêche en effet une banque privée de refuser son entremise à une opération qui risque de lui amener des difficultés du côté allié.
M. Keller prend acte de cette déclaration avec satisfaction.
M. Hirs relève qu’autant que la B.N. puisse avoir un contrôle sur les opérations des banques suisses, celles-ci n’ouvrent plus de crédits en francs suisses à l’Allemagne, ce qu’elles font en revanche aux Américains. Si l’on introduisait un contrôle des changes, ces derniers seraient donc les premiers à pâtir d’une telle mesure. La B.N. a introduit un système selon lequel les banques suisses doivent annoncer les opérations de devises auxquelles elles prêtent leur assistance. Or, ces annonces permettent de constater que ces opérations sont pour l’instant à peu près inexistantes. Les seules monnaies étrangères qui présentent encore un certain intérêt sont l’escudos, le pesetas et la couronne suédoise. Reste la question des accréditifs ouverts par les banques suisses à des commerçants espagnols ou portugais qui livrent des marchandises à l’Allemagne.
M. Hirs insiste sur le fait que ces transactions sont de simples opérations de transit. Voici comment elles se passent:
Les Allemands achètent des marchandises en Espagne. Les Espagnols exigent d’être payés en francs suisses. Mais les Allemands ne payant que contre présentation des documents d’exportation, les Espagnols prient une banque suisse de leur ouvrir un accréditif sur la base de la transaction conclue avec les Allemands. Or, actuellement, une banque suisse n’ouvre un tel accréditif que si l’acheteur allemand dispose chez elle d’un avoir en francs suisses. Pour constituer cet avoir, la Reichsbank est obligée de livrer de l’or à la B.N. De ce qui précède, il ressort donc que la Suisse joue un rôle de simple intermédiaire et qu’à aucun moment, elle n’ouvre de crédits en blanc à l’Allemagne.
M. Weber insiste sur le fait que les banques suisses jouent ce rôle d’intermédiaire depuis des années déjà et que les empêcher de continuer comme par le passé supposerait une forte diminution de l’activité des banques suisses.IV. Trafic des billets étrangers.
M. Rossy relève l’intérêt qu’il y aurait à interdire le commerce des billets étrangers en Suisse.
M. Hirs remarque à ce propos que les Anglais en profitent cependant un peu puisque c’est apparemment dans notre pays qu’ils se procurent les billets dont ils remplissent les poches de leurs aviateurs pour le cas où ceux-ci tomberaient en pays étranger.V. Undertaking des banques.
M. Weber s’élève contre les déclarations de M. Nussbaumer à la page 12 de son exposé concernant la signature par la B.N. d’un «general undertaking». Il insiste sur le fait qu’une telle signature est absolument incompatible avec la position officielle de la B.N., ce à quoi les assistants opinent unanimement.
M. Keller est en effet d’avis qu’il ne saurait être question que la B.N. prît quelque engagement que ce soit envers les Gouvernements alliés. Il croit d’ailleurs savoir que les banques suisses entendent se refuser à ce que le «standard undertaking» proposé par les Alliés constitue un cahier des charges pour elles.
M. Keller prend enfin acte avec plaisir du projet qu’a la B.N. d’envoyer M. Hirs à Londres et relève que ce geste serait probablement très favorable à une heureuse évolution des rapports entre la Banque d’Angleterre et notre institut.
- 1
- E 2001 (E) 1/131. Ce procès-verbal, daté du 28 janvier, a été rédigé par E. Junod. Cf. aussi E 7110/1973/134/7.↩
- 2
- Accord financier entre la Banque d’Angleterre et la Banque nationale suisse, 18 décembre 1943; cf. No 57, annexe 1.↩
- 3
- Cf. No 15.↩
Tags