Language: French
9.2.1943 (Tuesday)
Le Chef de la Division des Affaires étrangères du Département politique, P. Bonna, au Ministre de Suisse à Vichy, W. Stucki
Letter (L)
Après l’occupation par la Wehrmacht de la zone sud, les autorités françaises seraient prêtes à autoriser le rapatriement des Juifs suisses. Le DPF estime que les mesures adoptées jusqu’à présent par Vichy à l’égard des Juifs ne semblent pas justifier un rapatriement général des Juifs suisses, d’autant plus que leur retour compliquerait la situation du marché du travail. Le Ministre Stucki est chargé de nouvelles démarches en faveur des Juifs suisses.

Classement thématique série 1848–1945:
7. ATTITUDE DE LA SUISSE À L’ÉGARD DES JUIFS
7.1. ATTITUDE DES AUTORITÉS FÉDÉRALES FACE AUX JUIFS SUISSES
7.1.2. RAPATRIEMENT DES JUIFS SUISSES DE FRANCE

Également: Devant le danger que les mesures adoptées par les Allemands en zone occupée soient étendues à l’ancienne zone libre, le Ministre Stucki a fait avertir les Juifs suisses qu’ils avaient la possibilité d’obtenir un visa de sortie pour regagner la Suisse. Annexe de 10.3.1943
How to cite: Copy

Printed in

Antoine Fleury et a. (ed.)

Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 14, doc. 301

volume link

Bern 1997

more… |
How to cite: Copy
Cover of DDS, 14

Repository

dodis.ch/47487
Le Chef de la Division des A ffaires étrangères du Département politique, P. Bonna, au Ministre de Suisse à Vichy, W. Stucki1

Nous avons bien reçu votre lettre du 18 janvier2 relative à la situation des Israélites suisses dans l’ancienne zone libre. A ce propos, vous avez bien voulu nous remettre copie d’une note3 du Ministère des Affaires étrangères de laquelle il ressort que les autorités françaises seraient disposées à examiner favorablement le rapatriement éventuel de nos compatriotes désireux de quitter le pays pour éviter de tomber sous le coup des nouvelles mesures prises à l’égard des juifs étrangers, et vous nous demandez de vous faire part de nos observations en l’espèce.

D’entente avec la Division de Police du Département fédéral de Justice et Police, nous avons l’honneur de vous faire savoir ce qui suit:

Il est évident que nous ne pouvons, en principe, nous opposer au retour dans notre pays des ressortissants suisses qui, pour une raison ou pour une autre, décident d’y revenir. Toutefois, étant donné notamment les conditions actuelles du marché du travail en Suisse, les autorités fédérales compétentes ont pour règle de ne pas encourager, d’une manière générale, le rapatriement de nos compatriotes établis à l’étranger, pour autant qu’une telle mesure ne paraisse pas absolument nécessaire. A cet égard, il convient d’attirer l’attention des intéressés sur l’intérêt qu’ils peuvent avoir à ne pas abandonner leur situation dans leur pays d’adoption, même si, comme c’est le cas en l’occurrence, ils ont momentanément à faire face à des difficultés anormales.

Ainsi que vous aurez pu le voir à la lecture des copies de nos lettres au Consulat de Suisse à Paris, que nous vous avons envoyées ces dernières semaines pour information, tous les israélites suisses de la zone dite occupée ont été rapatriés, il y a quelques jours, par les soins du Consulat précité4. Cette mesure nous avait paru inévitable, eu égard au fait que, selon une décision des autorités allemandes, ces compatriotes auraient été soumis, depuis le 1er de ce mois, à l’instar des autres juifs ressortissants de pays neutres, aux dispositions déjà appliquées à l’égard de leurs coreligionnaires français, par conséquent aussi à l’internement et à la déportation.

Pour ce qui est des juifs résidant dans l’ancienne zone libre, il ne s’agirait pour l’instant, si nous comprenons bien, que de l’assignation à résidence forcée en application de la loi du 9 novembre 1942, d’une part, et, d’autre part, de l’obligation, conformément à la loi du 11 décembre de la même année, de faire apposer la mention «juif» sur les titres d’identité et sur les cartes d’alimentation. Or, à première vue, ces deux mesures ne semblent nullement justifier, à elles seules, un rapatriement général. Il est à remarquer, à ce sujet, que des dispositions d’ordre public interdisant à tous les étrangers de se déplacer sans autorisation en dehors de leur commune de résidence sont en vigueur dans d’autres pays en guerre et applicables, dans certains cas, même au personnel consulaire étranger.

Il en est tout autrement, en revanche, pour ce qui est de la décision des autorités françaises d’incorporer dans des groupes de travailleurs étrangers tous les israélites célibataires âgés de 18 à 55 ans, entrés en France après le 1er janvier 1933. Il va de soi que si l’application de cette mesure ne pouvait pas être évitée à l’égard de nos compatriotes, le rapatriement de ceux-ci devrait être envisagé, pour autant, bien entendu, qu’ils en fassent eux-mêmes la demande.

Toutefois, avant de prendre des dispositions à cet effet et notamment d’aviser les intéressés, il conviendrait peut-être d’examiner la possibilité d’intervenir encore auprès des autorités françaises pour tenter d’obtenir que les ressortissants suisses soient dispensés de l’application de cette mesure.

Nous vous saurions gré de vouloir bien soumettre la question à un examen5

. Pour le cas où une telle démarche vous paraîtrait inutile parce que vouée d’avance à l’insuccès, ou n’aurait pas abouti au résultat souhaité, vous nous obligeriez en nous faisant tenir, à l’intention de la Division de Police, un état nominatif des personnes entrant en ligne de compte pour le rapatriement. Sur cette liste devraient figurer notamment, à part les noms et prénoms des intéressés, leur date de naissance, leur commune d’origine, ainsi que l’adresse des parents en Suisse chez lesquels ils pourraient désirer se rendre.

1
Lettre: E 2200 Paris 27/1. Paraphe: MP.
2
Non retrouvé.
3
Du 13 janvier 1943 (E 2200 Paris 27/1).
4
Cf. No 290 et annexes.
5
Cf. annexe au présent document.