Classement thématique série 1848–1945:
2. RELATIONS BILATÈRALES
2.10. GRANDE BRETAGNE
2.10.1. NÉGOCIATIONS ÉCONOMIQUES ET FINANCIÈRES À LONDRES
Également: Sans vouloir sous-estimer les résultats obtenus par les négociateurs suisses à Berlin, le Ministre Sulzer rappelle à Rappard que le problème essentiel aux yeux des Alliés réside toujours dans les livraisons de matériel de guerre suisse au Reich. Il avoue que sa mission à Londres est la plus difficile de sa vie, bien plus difficile que celle dont il avait été chargé à Washington lors de la Première Guerre mondiale. Annexe de 12.10.1942
Imprimé dans
Documents Diplomatiques Suisses, vol. 14, doc. 244
volume linkBern 1997
Plus… |▼▶Emplacement
Archives | Archives fédérales suisses, Berne | |
▼ ▶ Cote d'archives | CH-BAR#J1.149#1977/135#200* | |
Ancienne cote | CH-BAR J 1.149(-)1977/135 118 | |
Titre du dossier | Mission à Londres (1942–1942) | |
Référence archives | 3 |
dodis.ch/47430
Après quelques jours à Berne et en particulier une bonne soirée passée en compagnie de MM. Hornberger et Hotz, je viens, en quelques mots, vous rendre compte, à vous et à M. Keller, des informations et impressions recueillies.
Mon entretien avec ces deux messieurs de la Division du Commerce a naturellement porté sur deux points principaux: le succès de leurs pourparlers à Berlin2 et l’état des vôtres à Londres.
Voici, au sujet de la mission à Berlin, ce qui m’a paru le plus intéressant: qu’il y ait eu un réel succès, c’est-à-dire des promesses arrachées à une administration qui, tout d’abord, s’y refusait absolument, paraît indéniable. Mais que ces succès soient conditionnels, c’est-à-dire dépendants de circonstances incertaines et notamment des résultats de vos efforts à Londres, me paraît tout aussi évident. Quant au sens qu’il convient de donner à l’attitude, d’abord intransigeante et finalement assez conciliante des autorités allemandes, c’est ce qui semble plus conjectural.
Le succès lui-même, tout d’abord. A leur arrivée à Berlin, nos négociateurs, qui venaient essentiellement pour obtenir des concessions destinées à vous faciliter la besogne à Londres, se sont heurtés à des refus absolus et au désir mal dissimulé de les voir retourner aussitôt à Berne. Ce désir s’est manifesté d’une façon assez comique, semble-t-il, par la multiplication des banquets d’adieu organisés au cours de la première semaine d’un séjour qui s’est prolongé pendant plus d’un mois!
Pour expliquer et pour justifier leur venue et leur désir de ne pas repartir les mains vides, nos délégués ont insisté sur le fait qu’il était impossible à la Suisse comme pays neutre de continuer à dépendre d’une façon si prépondérante d’un des belligérants. Ils ajoutèrent que, tenant fidèlement ses propres engagements, la Suisse ne pouvait pas continuer à assister en témoin passif à la carence de l’Allemagne, notamment en fait de livraisons de charbon. Cette attitude très résolue et qui, selon M. Hotz, a dû être de sa part soulignée par plusieurs coups de poing vigoureux sur la table, a tout d’abord étonné ses hôtes. Ils auraient répondu que la Suisse devait se rendre compte des exigences de la guerre et notamment des grands services que l’Allemagne lui rendait en versant le sang de ses enfants pour protéger la libre Helvétie des menaces soviétiques. Cette déclaration aurait suggéré à M. Hornberger l’observation spirituelle qu’à force de s’entendre dire, à Londres comme à Berlin, que les grandes puissances se battaient toutes pour la Suisse, on finirait par croire que la guerre mondiale n’avait, pour les uns comme pour les autres, d’autre sens que d’assurer la prospérité de notre pays.
Au refus persistant des Allemands d’entrer en matière, nos délégués opposèrent une volonté non moins farouche. Ils demandèrent à leurs partenaires si vraiment les expériences que l’Allemagne faisait avec ses innombrables territoires occupés étaient de nature à leur faire sousestimer la collaboration d’un des seuls pays relativement libres qu’ils avaient laissé subsister sur le continent. Cet appel paraît avoir beaucoup frappé la délégation allemande et notamment ses membres militaires. Nos délégués s’accordent, en effet, à attribuer à une énergique intervention du grand état-major général la conciliation relative dont leurs interlocuteurs ont fait preuve à la fin de leurs débats. Ils avaient le sentiment que, de très haut, un mot d’ordre avait été transmis aux services compétents allemands, selon lequel il ne fallait à aucun prix se brouiller avec nous.
Quant à la nature et à la portée des concessions obtenues, elles paraissent incontestablement importantes. Les Allemands auraient de bonne foi, et malgré de puissantes répugnances, consenti à l’exportation à destination de leurs ennemis d’objets de la plus haute importance militaire et dont la Suisse partagerait, avec l’Allemagne, le quasi-monopole industriel. Naturellement ces concessions ne seraient en fait acquises que si les Nations-Unies atténuaient la pression qu’elles tendent à exercer sur notre pays et notamment s’il n’y avait pas de notre part de réduction de nos exportations à destination de l’Allemagne. La volonté de ne tolérer aucune infraction aux contrats de livraison se serait manifestée avec une vivacité particulière dans le cas de la Tavannes Watch Co3
. Cette puissante maison d’horlogerie aurait, sous la pression des autorités anglo-saxonnes qui la menaçaient de la fermeture de leur marché après-guerre, renoncé à l’exécution de certains contrats conclus avec Tavaro, ici, au service de l’administration militaire italienne. La réaction de Berlin aurait été immédiate et très énergique. Toute importation et toute exportation auraient été suspendues pour la firme en question en attendant un retour à ses anciennes activités.
Comment, enfin, faut-il interpréter les concessions faites par l’Allemagne? Ne s’agit-il, comme nos négociateurs sont portés à le croire, que de l’effet salutaire de leurs menaces et du désir de l’autorité militaire allemande de ne pas trop nous irriter? S’agit-il, au contraire, en première ligne d’une concession de forme, faite dans l’attente et dans l’espoir que les conditions nécessaires à son entrée en application ne seraient pas réalisées à Londres et qu’ainsi l’Allemagne aurait à la fois l’avantage d’avoir rejeté sur ses adversaires l’odieux d’un refus et celui de s’être montrée généreuse à très bon compte?
Je ne suis pas en mesure d’en juger. Je m’en suis entretenu avec le Ministre de Grande-Bretagne4 et avec deux membres de la Légation des Etats-Unis, rencontrés les uns et l’autre au cours d’une réception chez Paravicini. Je les ai trouvés également intrigués au sujet des mobiles allemands.
Je n’ai pas eu l’occasion de m’entretenir longuement avec M. Stämpfli luimême de l’état de vos pourparlers. Le peu de paroles que nous avons échangées à ce propos me l’a montré assez peu surpris des difficultés rencontrées, mais je n’ai pas pu me rendre compte s’il était disposé à vous faire tenir des instructions conformes aux vœux manifestés dans vos rapports. Chez nos deux délégués, et notamment chez M. Hotz, j’ai cru découvrir une intransigeance plus nette. Leurs propres succès remportés à Berlin ont tendu, me semble-t-il, à atténuer leur indulgence à l’égard des exigences anglo-saxonnes et de vos dispositions conciliantes à l’endroit de celles-ci. J’ai naturellement fait ce qui dépendait de moi pour leur faire comprendre l’attitude anglo-américaine et l’opportunité d’entrer dans la voie indiquée dans votre dernier rapport5. D’après tout ce que j’ai recueilli à Berne, je ne puis pas m’imaginer qu’on ne vous autorise pas à conclure à Londres, surtout si vous et les Anglais vous deviez vous contenter d’espoirs plus que d’assurances au sujet de la réduction de nos livraisons outre-Rhin. [...]
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