Également: Ruegger confie ouvertement à Rappard son amertume et ses ressentiments à l’égard de Pilet-Golaz, auquel il reproche d’avoir cédé trop facilement devant les pressions italiennes. Annexe de 1.2.1943
Également: Ruegger a refusé le poste de Rio de Janeiro que lui avait proposé le DPF et a offert ses services au CICR. Il se confie secrètement au Général Guisan sur la nécessité d’obtenir le remplacement de Pilet-Golaz à la tête du DPF. Des contacts pourraient être établis avec les responsables des fractions politiques du Conseil national. Guisan fixe un rendez-vous à l’ex-Ministre de Suisse. Annexe de 1.2.1943
Pubblicato in
Documenti Diplomatici Svizzeri, vol. 14, doc. 172
volume linkBern 1997
Dettagli… |▼▶Collocazione
Archivio | Archivio federale svizzero, Berna | |
▼ ▶ Segnatura | CH-BAR#E4001C#1000/783#2330* | |
Vecchia segnatura | CH-BAR E 4001(C)1000/783 231 | |
Titolo dossier | Akten Minister Rüegger: Persönliches Dossier (1941–1945) | |
Riferimento archivio | 0415 |
dodis.ch/47358
Au moment de quitter la Légation de Rome je tiens - en me conformant d’ailleurs à un désir exprimé par le Département - à vous donner un résumé succinct d’échos recueillis en passant au sujet des circonstances qui ont abouti à mon rappel du poste que je suis en train de laisser2.
Ces échos n’ont été, ai-je besoin de le dire, en aucun cas recherchés. Il s’agit de manifestations spontanées, venues en un nombre aussi surprenant, de milieux italiens les plus divers que je devrais en demeurer confus. Dans leur ensemble, ces témoignages sont significatifs pour l’état d’esprit qui règne dans le beau pays dans lequel j’ai représenté la Confédération pendant six ans et qui traverse, il n’est plus permis d’en douter, une sorte de crise morale dont nous verrons encore, à plus longue échéance, les effets.
Dans les quatre murs de la Légation et sans avoir, pour ma part, fait le moindre signe pour provoquer des réactions de ce genre, j’ai vu défiler, depuis mon retour de Berne, une série de membres du Grand Conseil du fascisme, de Sénateurs, d’Ambassadeurs en retraite ou en activité, dont chacun, sous une forme diverse, a bien voulu démontrer une sympathie que je reporte sur notre Pays et dont presque chacun, en même temps, m’a donné un élément me permettant peu à peu de me former une opinion sur les véritables mobiles des démarches extraordinaires et insolites ayant provoqué mon rappel. Ces éléments sont pleins d’enseignement pour le jugement que l’on peut porter sur la situation actuelle en Italie et surtout - cela nous regarde bien plus près - sur l’avenir immédiat de nos relations italo-suisses, qui doivent nous préoccuper au premier chef. Je tâche donc de concentrer, quelques heures avant mon départ de Rome, l’impression générale qui se dégage des témoignages que j’ai pu recueillir.
Tout bien pesé, je crois que le jugement suivant, qui m’a été exprimé par un Général et Sénateur, ancien Ministre, qui a représenté l’Italie au dehors, résume à peu près la situation: «Dans les circonstances actuelles, le Gouvernement fasciste, qui n’est plus libre de ses décisions, doit voir d’un mauvais œil qu’il y ait, dans un corps diplomatique extrêmement restreint et devenu conformiste (outre les neutres fort aléatoires que sont l’Argentine et le Chili et les neutres lointains que sont la Suède et le Portugal), des représentants qui, tout en étant appelés à défendre tous les jours les intérêts d’un pays voisin, ne peuvent se mouvoir sur le plan de 1’«ordre nouveau». Ce corps diplomatique ne comprend, en effet, plus que des satellites de l’Axe.
Or, l’Italie - ce sont les paroles mêmes de mon interlocuteur - n’est malheureusement plus en état de considérer uniquement l’action d’un chef de Mission diplomatique d’un pays neutre sous l’aspect des rapports directs entre le pays qu’il représente et le Gouvernement de Rome. Ou bien ce chef de Mission, s’il prétend s’occuper d’autre chose que des affaires purement consulaires, travaille constamment, dans tous les domaines, de l’économique à celui de la culture, dans le sens souhaité par l’Allemagne, et alors tout va bien. Ou bien il ne veut considérer que les intérêts du pays qu’il représente, en les soupesant avec ceux de l’Etat auprès duquel il est accrédité, et alors, presque fatalement, sous une forme plus ou moins brusque, il entre en heurt avec la situation actuelle.» Le Sénateur B.3, dont je cite les paroles, s’est entretenu, me dit-il, de mon cas avec son frère qui, tout récemment encore, a fait partie du Gouvernement fasciste. Celui-ci, de même, aurait déclaré que les décisions italiennes n’étaient que le reflet d’une situation que l’Italie subissait elle-même. Ceci abstraction faite des raisons immédiates et réelles (sans toucher naturellement aux arguments qui ne peuvent être avancés et qui ne sont que des prétextes) et qui doivent être recherchées dans le domaine économique et financier4.
Tout le monde, sans aucune exception, parmi les interlocuteurs sérieux, s’accordent d’ailleurs pour déclarer catégoriquement que ce qu’on a pu invoquer pour motiver mon rappel ne constitue que des prétextes. Je citerai ci-après quelques noms, mais en demandant absolument au haut Conseil fédéral - dans l’intérêt futur de notre représentation en Italie - de considérer ces indications comme strictement confidentielles.
L’Ambassadeur Aloisi, venu avant-hier à la Légation, et qui a été reçu le même jour, à deux reprises, par le Chef du Gouvernement, est venu manifester sa sympathie en disant que la démarche dont j’avais été l’objet «défiait évidemment tout bon sens» (sfida il buon senso). Pour sa part, l’ancien Chef de Cabinet de M. Mussolini et ancien chef des délégations italiennes à Genève, dont l’amical intérêt m’a beaucoup facilité, en 1936, des démarches extrêmement délicates et périlleuses entreprises sur instructions de M. le Conseiller fédéral Motta auprès de M. Mussolini dans la période des sanctions5, croit que la démarche doit être expliquée par le manque de technique diplomatique de l’Italie officielle d’aujourd’hui. L’Ambassadeur A. n’a pas hésité à qualifier d’enfantins les prétextes que ce pauvre M. Tamaro a apportés au Conseil fédéral pour motiver la demande de mon déplacement. Quiconque a, en effet, la moindre idée de ce qui se dit non seulement dans le corps diplomatique de Rome, mais dans toute la péninsule, ne peut que sourire de ces allégations. Mais je dois avouer que j’ai eu quand même un certain plaisir à entendre le témoignage de ce vieux diplomate italien, naguère tout puissant au Palais Chigi avant l’arrivée de Ciano, qui me disait qu’aucune Mission, même neutre, était aussi prudente, d’après ses propres constatations, dans ses expressions que la Légation de Suisse.
L’Ambassadeur Paulucci de Calboli, naguère à Bruxelles, actuellement en mission spéciale, a expliqué devant de hauts fonctionnaires de la Cour, d’une manière que je me garde de répéter, son appréciation de l’action du Palais Chigi à mon égard. Dès qu’il en a eu connaissance, il est venu m’exprimer ses sentiments, tout en ne cachant pas qu’il craignait fort que des connivences suisses (Scanziani ou autres) aient pu fournir le prétexte à une manœuvre absurde.
Ont, au surplus, défilé à la Légation, outre M. Federzoni, toujours un des hommes principaux du Régime, le Président de la Commission sénatoriale des Affaires étrangères et presque tous les Ambassadeurs d’Italie faisant partie de cette Commission. Leur jugement était unanime. Le sentiment au Sénat a même pris une telle ampleur qu’un ancien Ministre m’a dit qu’il s’agissait non plus d’une manifestation de sympathie, mais d’une démonstration politique. Cela, évidemment, ne sert pas nos intérêts immédiats, et il est donc utile que mon départ intervienne. Mais j’ai eu la profonde satisfaction, je dois dire inattendue dans cette ampleur, de voir ce qu’il y a de mieux dans l’Italie d’aujourd’hui, prendre position avec une netteté exceptionnelle. Cela veut donc dire qu’à la longue la regrettable aventure qui met fin à ma mission et a troublé le Conseil fédéral, aura servi le prestige de notre pays dans l’Italie de demain. Cette constatation très consonante est, je dois le dire, très réjouissante.
Devant ce mouvement qui s’est dessiné dans le Sénat, dans le monde romain, dans les milieux de la Cour et intellectuels, le Ministre des Affaires étrangères - et cela aussi est très significatif - a changé son fusil d’épaule. Aujourd’hui, nous sommes très loin des déclarations que Galeazzo Ciano a faites à M. Louis Micheli. Il ne cesse de répéter à ses interlocuteurs, membres du Grand Conseil du fascisme, Sénateurs, Ambassadeurs etc. «qu’il n’est pour rien dans mon départ! » Avant-hier même il a dit au Ministre Cortese, Consul Général d’Italie à Genève, qui en a informé un ancien Sous-Secrétaire d’Etat au Ministère des Affaires étrangères dont il fut le secrétaire «qu’il déplorait très vivement mon départ!» C’était évidemment pour que M. Cortese répète cette note, qui ne trompera personne, dans les milieux de la Croix-Rouge et autres, dans lesquels M. Galeazzo Ciano tient malgré tout à ne pas perdre toute considération... Que ces déclarations ne correspondent pas à la vérité est, malheureusement, absolument hors de doute. Le mois dernier, le Comte Ciano, dans une réunion de gens qu’il croyait des partisans fascistes à tout crin, avait déclaré qu’il avait réussi à faire partir ce Ministre de Suisse représentant d’un pays de 4 millions d’habitants, qui croyait pouvoir se mettre à travers des décisions découlant de r«orientamento generale», etc. D’après d’autres informations de la même source, il m’aurait reproché un manque de compréhension pour l’«ordre nouveau».
Maintenant cependant, tout cela change. On veut mettre l’accent sur des racontars dont on sait fort bien l’inanité et, cela n’est pas plus glorieux, les propagandistes du Ministère font comprendre que mon départ est dû à une influence étrangère. Que l’Allemagne n’ait pas vu d’un très bon œil la résistance de la Légation de Rome à des tentatives de «synchronisation» qui peuvent avoir réussi mieux ailleurs, cela est fort concevable. Mais il y a certes un manque d’élégance de la part de quelques membres du Gouvernement italien d’aujourd’hui de vouloir lui faire endosser la responsabilité de gestes qui ont, je crois, après tout, leur origine à Rome.
- 1
- Lettre (Copie): E 4001 (C) 1/231.↩
- 2
- Cf. No 155. Cf. aussi annexes I et II au présent document.↩
- 4
- Sur les relations économiques et financières italo-suisses, cf. aussi la lettre du Chef du DFFD, H. Wetter, au Conseiller national H. Walther: après avoir rappelé l’augmentation des deux crédits accordés à l’Italie depuis 1940, Wetter écrit: 1. Der Bundesrat ist prinzipiell mit einer gewissen Erhöhung einverstanden. Er muss aber von Italien gewisse Gegenkonzessionen verlangen. Diese bestehen zum Teil darin, dass die Gegenblockade für die Ausfuhr nach England gemildert wird. Denn eine Erhöhung der Kredite an die Achsenmächte ist für uns nur dann tragbar, wenn wir auch für die andere Seite dadurch etwas erreichen. Die Erfahrungen mit der Kreditgewährung an Deutschland sollten denn doch auch bei Deinen Gewährsleuten nicht allzu rasch vergessen werden. Unsere Politik muss eben heute die sein, dass wir mit beiden Parteien uns verständigen. Die Verhandlungen mit Italien sind übrigens nicht abgebrochen, sondern nur unterbrochen und werden voraussichtlich in Bälde weitergeführt. 2. Davon, dass diese Kreditgeschichte dem Herrn Minister Rüegger den Hals gebrochen hätte, ist keine Rede. Ein Minister darf sich bei solchen Verhandlungen ja nie so exponieren. Deswegen braucht man besondere Delegationen. 3. Die Mutmassungen über den Weggang des Herrn Rüegger sind zur Hauptsache Fantasie. Es ist eben allgemein so, dass man einen Minister wechseln muss, wenn man das Gefühl hat, er besitze im betreffenden Land nicht mehr die Stellung, dass er seiner Heimat gross nützen kann. Eine solche Abnützung eines Ministers ist in den heutigen Zeiten leichter möglich als früher. Also irgend ein bestimmter Einzelgrund besteht nicht. Ob dabei die mehr menschlichen Momente, die Du erwähnt hast, mitgewirkt haben, ist schwer zu sagen. Möglich ist es. Die Ministersfrauen sind eben nicht immer ganz ungefährlich für die Position ihrer Männer. Dass ferner Herr Minister Tamaro kein besonderer Freund des Herrn Rüegger war, ist uns bekannt. Das beruhte übrigens auf Gegenseitigkeit.[...] (E 6100 (A) 33/2763).↩
- 5
- Cf. DDS, vol. 11, table méthodique 1.4: Société des Nations. Conflit italo-éthiopien, sanctions.↩
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Italia (Altro)
Affare Ruegger (1942)