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Documenti Diplomatici Svizzeri, vol. 14, doc. 140
volume linkBern 1997
Dettagli… |▼▶Collocazione
Archivio | Archivio federale svizzero, Berna | |
▼ ▶ Segnatura | CH-BAR#E2809#1000/723#37* | |
Vecchia segnatura | CH-BAR E 2809(-)1000/723 2 | |
Titolo dossier | France (1941–1944) | |
Riferimento archivio | 3.1 |
dodis.ch/47326 CONFÉRENCE AVEC L’AMBASSADEUR DE FRANCE2
L’Ambassadeur vient auprès de moi à 17 heures. Il est rentré de Vichy la veille au soir3. Il m’apporte, de la part du Maréchal, le recueil des allocutions de celui-ci. Je lui demande, cela va sans dire, des nouvelles. Il me les donne bonnés, physiques et intellectuelles. Mais le Maréchal sent le poids de sa tâche, les difficultés auxquelles il se heurte, et il est quelquefois douloureux.
M. de La Baume me déclare qu’il a eu deux audiences du Maréchal et qu’il a déjeuné ou dîné plusieurs fois avec lui. Le Maréchal l’a mis au courant de l’entretien Goering4. Il lui a remis un «papier» qui correspond à ses idées et qu’il a lu, en le commentant, à l’Ambassadeur. «Depuis un an, la collaboration est décidée, mais elle ne se réalise pas. Ce n’est pas au Maréchal à faire de la propagande auprès des Français. C’est à l’Allemagne; non par des mots, mais par des actes. Ceux-ci seraient plus éloquents que tout le reste. Ces actes consisteraient à faciliter l’unification de la France, actuellement divisée, en ne laissant sous le contrôle et l’occupation que les côtes, aussi longtemps que la guerre continue contre l’Angleterre. Ce serait aussi de ne pas exiger 300 millions par jour de frais d’entretien qui ne servent, en réalité, pas à l’armée, mais bien davantage à acheter tout ce que l’on peut et à contribuer ainsi indirectement à la famine de la France. Ce serait enfin de rendre les prisonniers. Le pays du Maréchal est un des plus fertiles d’Europe. Il pourrait fournir sa part au bienêtre général ou à la lutte contre la misère; mais, pour cela, il faudrait qu’il soit travaillé. Il a besoin de bras.»
Ce serait, dans ses grandes lignes, le contenu du document. Le Maréchal l’aurait remis à Goering, qui aurait répondu: «Mais est-ce vous le vainqueur ou nous? C’est un texte de vainqueur que vous me présentez, avec des conditions.» «Non, aurait répondu le Maréchal, le vainqueur c’est vous, et je ne conteste pas la victoire. Je constate, par contre, les contingences et les conditions d’une collaboration possible et utile. Le reste ne me regarde pas. C’est votre affaire.»
Sur quoi, Goering aurait ajouté: «Ce ne serait pas facile de le montrer à Hitler. Il le déchirerait en petits morceaux, me le jetterait au visage et m’expédierait avec un coup de pied au c...» (c’est ainsi, du moins, que l’Ambassadeur fait sa relation). C’est à cela que se serait borné l’entretien, par ailleurs cordial, entre deux soldats qui se connaissent et qui s’estiment.
J’oubliais qu’un quatrième point du document visait les groupements soutenus par les Allemands et qui combattent le gouvernement du Maréchal.
M. de La Baume a vu également Darlan, qui l’a reçu 1 heure lU. Il avait préparé son petit discours. Il a pu le placer, en deux tranches d’ailleurs. L’Amiral l’a interrompu pour lui exposer les grandes lignes de sa politique, assez diffuses d’après l’Ambassadeur. Sur la nécessité de garder le contact avec l’Amérique pour servir un jour la cause de la paix, Darlan aurait répondu: «C’est facile à dire! Mais les Allemands pourraient m’ennuyer. Si vous croyez qu’ils vont me laisser faire! Ils ont comme arme le séparatisme breton, la possibilité de provoquer des plébiscites dans certaines régions de la France pour la diviser.» Darlan aurait même fait une allusion à sa conversation avec Hitler en rappelant à celuici qu’il y avait beaucoup de catholiques en France. Pourquoi cette observation? L’Ambassadeur n’en sait rien.
L’impression de son entretien n’a pas été bonne. Elle se résume dans cette confidence: «Ce n’est pas un homme d’Etat. Il est petit, petit, et maintenant sa passion de marin embrasse et embrase la flotte américaine autant que la flotte anglaise.»
L’Ambassadeur va jusqu’à me dire: «Cela vous étonnera peut-être, mais Laval est bien supérieur. C’est un véritable homme d’Etat. Bien entendu, il a ses faiblesses. C’est un homme d’argent, comme Mazarin, comme d’autres, mais il sait s’élever à la hauteur des circonstances.» Il m’a rappelé à cette occasion un mot de Laval parlant de Darlan: «Cet imbécile, qui donne pour rien ce que j’aurais vendu très cher aux Allemands!»
Ceci pourrait expliquer pourquoi, d’après les renseignements qui me sont parvenus, les Allemands auraient pris quelque distance à l’égard de Laval et miseraient aujourd’hui sur Darlan.
L’Ambassadeur n’a guère d’espoir que la France comprenne actuellement sa mission de songer à la paix en conservant intact son empire et en se refaisant.
Elle manque des hommes qu’il faudrait. Le Maréchal se sent isolé. Il n’a pas d’équipe près de lui.
Par contre, les Français, maintenant, semblent se ressaisir un peu. Ils tâchent de travailler, de vaquer à leurs affaires. Ils sont moins anglophiles. Ils réunissent dans un même sentiment d’hostilité au moins latente Anglais et Allemands et redeviennent ainsi Français. C’est peut-être, d’après l’Ambassadeur, le gage de l’avenir, quoique M. de La Baume soit très noir.
Il a vu Pucheu: «homme redoutable», qui a sa police maintenant, de grands diables habillés de noir avec galons d’argent, dont on se demande ce qu’il fera un jour.
En ce qui concerne l’entrevue de Turin5, l’Ambassadeur affirme qu’elle était destinée à consoler les Italiens de l’entrevue Pétain-Goering. C’était une simple carte de visite. Pas de conversation de principe: de la politesse, de l’apparence, mais au fond beaucoup de réserve.
Quant à la Tunisie, il ne semble pas que la France ait accordé quoi que ce soit, sauf ce qui suit:
On lui aurait demandé de ravitailler, mais avec les ressources dont elle dispose, l’armée Rommel. Pas de transit, pas de mouvement de flotte, pas de points d’appui. Une livraison de ce qui est nécessaire et de ce qui se trouverait en Afrique.
Après, nous parlons de choses moins intéressantes; de la Maréchale, qui n’est d’ailleurs pas la Maréchale en ce sens que le Maréchal ne connaît que Madame Pétain et ne lui permet que de jouer le rôle de Madame Pétain et non pas de la Maréchale de France.
Nous parlons de Stucki, auquel il a donné le conseil de voir le Maréchal. Si je peux lui en faciliter l’occasion d’une manière ou d’une autre, il croit que cela pourrait être utile.
L’Ambassadeur ne connaissait pas nos difficultés de presse6. Il ne les a même pas soupçonnées, parce qu’il a acheté comme il a voulu des journaux suisses. Mais, bien entendu, il ne s’est intéressé qu’aux journaux en langue française.
Le Maréchal lui aurait même demandé s’il lisait la Gazette7. Très bon journal, d’après lui. Il est fort reconnaissant à la Suisse de ce qu’elle a fait déjà pour la France, mais il lui demandera d’autres services encore, dit-il.
L’Ambassadeur aurait voulu savoir si quelque chose de nouveau s’était passé à Vichy depuis son départ dimanche, en ce qui concerne l’Amérique. Je lui réponds que je ne crois pas, mais qu’on ne doit pas être optimiste, parce que certaines éventualités évoquées pour un avenir plus ou moins problématique ou certain, lointain ou proche me laissent supposer qu’on ne tient pas une rupture pour exclue.
C’est l’essentiel de notre conversation, qui prend fin à 18 heures 40.
- 1
- E 2809 1/2. Remarque manuscrite de Pilet-Golaz: A M. Bonna pour son orientat//o«7 person [nelle], puis retour à P [ilet]G [olaz]■ 17.12.41.↩
- 3
- Le 10 décembre, Pilet-Golaz a déjà eu un entretien avec l’Ambassadeur de France, juste avant le départ de ce dernier pour Vichy. Cf. la notice de Pilet-Golaz, datée du même jour: [...] l’Ambassadeur me demande si j’ai quelque communication pour Vichy. Il serait disposé à prendre même certains documents non confidentiels. Je l’en remercie. Je le prie de saluer Stucki. J’ajoute que si, dans sa conversation avec le Maréchal, il croit ne pas être désagréable à ce dernier et ne pas l’importuner en lui rappelant les sentiments d’estime et d’admiration que je lui porte, je lui en saurais gré. Il me déclare qu’il ne manquera pas de le faire. Pour Darlan, ce sera son premier entretien. Je n’ai pas l’honneur moi-même de connaître ce ministre des Affaires étrangères. La conversation, semble-t-il, sera générale. Comme l’Ambassadeur fait allusion à l’opinion qui règne ici, je dis que je pense que, si je n’ai pas à me prononcer sur les intérêts de la France, je crois pouvoir exprimer ma conviction qu’une France ressaisie et équilibrée serait utile à l’Axe d’abord, à l’Europe ensuite et en définitive peut-être à l’humanité; que pour moi, il faut songer aux œuvres de solidarité confiante et de reconstruction sur la base de la compréhension mutuelle, rien de ce qui est fondé sur la violence ne durant bien longtemps.↩
- 4
- La rencontre a eu lieu le 1er décembre à Saint-Florentin, en Bourgogne.↩
- 6
- Cf. Nos 43, 207 et 288.↩
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Francia (Politica)
Governo di Vichy