Language: French
30.5.1941 (Friday)
CONSEIL FÉDÉRAL Procès-verbal de la séance du 30.5.1941
Minutes of the Federal Council (PVCF)
Le Gouvernement français est disposé à fournir à la Suisse de l’or fin jusqu’à concurrence de 100 millions de francs. Cet or doit permettre notamment d’assurer à nouveau le service des emprunts émis en Suisse par le Gouvernement français ou sous sa garantie, ainsi que le règlement des commandes d’armements effectués par la France avant l’armistice. Le Conseil fédéral donne son approbation et autorise le Chef du DFEP, Stampfli, à procéder à l’échange de lettres qui précisent les conditions de l’opération.

Également: Lettre du Chef du DFEP à l’Ambassadeur de France, avec les dispositions de l’accord mentionné dans le document principal. Annexe de 30.5.1941
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Antoine Fleury et a. (ed.)

Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 14, doc. 46

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Bern 1997

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dodis.ch/47232
CONSEIL FÉDÉRAL
Procès-verbal de la séance du 30 mai 19411

852. France - Service des paiements

Le Département de l’Economie publique expose ce qui suit:

«Alors que le modus vivendi commercial provisoire conclu à Vichy le 23 octobre 19402 règle d’une façon satisfaisante le service des paiements commerciaux entre la Suisse et la France les paiements financiers, en particulier, n’ont pu être repris jusqu’ici. En effet, assujettis, en Suisse, aux dispositions de l’Arrêté du Conseil fédéral du 6 juillet 19403 instituant des mesures provisoires pour le règlement des paiements entre la Suisse et différents pays, dont la France, et, dans ce dernier pays, aux dispositions générales du contrôle des changes et, en particulier, à celles que le Gouvernement français a prises au mois de juillet 1940 dans le but de bloquer les dépôts et les titres existant dans les banques en France au nom de personnes domiciliées en Suisse, les paiements financiers n’ont plus pu être effectués entre les deux pays, si ce n’est dans la limite de tolérance ou d’autorisations spéciales accordées de part et d’autre à titre exceptionnel.

Afin de mettre un terme, si possible, à cet état de choses qui ne concerne, par ailleurs, pas seulement les paiements financiers proprement dits, mais également le trafic des assurances, le commerce de transit, le tourisme, le paiement des commandes dites d’armements passées par l’Etat français, etc., des propositions diverses furent faites. Tenant compte du fait que les restrictions apportées par l’Arrêté du 6 juillet 1940 aux paiements financiers à effectuer de Suisse en France n’étaient pas destinées à constituer un état définitif, mais avaient bien plutôt pour but - outre de sauvegarder les intérêts des créanciers suisses - de permettre à plus ou moins brève échéance l’ouverture de pourparlers avec les différents pays en cause, et plus particulièrement avec la France qui a de tout temps entretenu des relations financières serrées avec notre pays, nous avons estimé indiqué de suggérer en novembre 1940 au Gouvernement français par entremise de notre Ministre en France, la libération réciproque des revenus et la compensation périodique de certains capitaux bloqués dans l’un et l’autre pays. Nous nous sommes, en revanche, abstenus de soumettre un projet bien établi ou de proposer la conclusion d’un véritable clearing financier dont les chances de réalisation ne nous paraissaient guère être grandes, préférant laisser à la France de nous indiquer la solution à laquelle, eu égard aux circonstances, elle donnerait sa préférence.

Au mois de janvier de cette année, notre représentation diplomatique en France, ainsi que les grandes banques suisses, nous apprirent l’intention du Gouvernement français - qui n’estimait pas opportune la conclusion, dans les circonstances actuelles, d’un accord général de clearing avec la Suisse, accord qui devrait obligatoirement être soumis à l’examen et à l’approbation des Autorités d’occupation4 - de nous proposer le déblocage partiel des avoirs français en Suisse pour leur utilisation en Suisse, la reprise du service des emprunts français en Suisse et le paiement des commandes dites d’armements, le Gouvernement français envisageant de se procurer les devises nécessaires à ces paiements par l’envoi d’or fin en Suisse pour l’achat de francs suisses, dont la plus grande partie serait utilisée pour les paiements en Suisse et une petite partie pour des paiements dans des pays tiers. Un mémorandum5 de l’Ambassade de France à Berne vînt confirmer ces nouvelles, documentant l'intention du Gouvernement français de reprendre le service des emprunts qu’il avait émis en Suisse ou pourvus de sa garantie et de payer les dettes contractées avant l’armistice, principalement par sa Mission d’Achats à Genève.

La Banque nationale suisse s’étant déclarée d’accord en principe d’acheter, cas échéant, l’or que la France offrait de lui vendre et les Autorités françaises ayant manifesté le désir de voir les pourparlers se dérouler à Berne, des échanges de vues eurent lieu avec l’Attaché financier près l’Ambassade de France en cette ville, d’entente et avec le concours des instances suisses intéressées, l’Associationsuisse des banquiers et l’Association des compagnies d’assurance suisses concessionnées en particulier. Le projet d’échange de lettres et ses annexes que nous avons l’honneur de soumettre aujourd’hui à votre approbation est le résultat de ces échanges de vues. Par rapport au projet initial français, le projet actuel présente des compléments importants, intéressant entre autres le règlement partiel par la France des frais d’internement en Suisse de militaires, le trafic des assurances, l’application du contrôle des changes aux avoirs et aux rapatriés suisses, etc.

Dans son essence même, le projet actuel est resté conforme à la proposition française du mois de janvier de cette année et prévoit (chiffre I)6que la Suisse reprendra, jusqu’à concurrence d’un montant maximum de 100 millions de francs, de l’or fin français. Cette obligation ne jouera toutefois que si et dans la mesure où la France offrira de vendre à notre pays tout ou partie de la quantité de métal jaune prévue. La France disposera jusqu’à concurrence du 70% de la contre-valeur du métal pour des paiements à effectuer en Suisse, les 30% restants pouvant servir à des paiements dans d’autres pays. Elle s’engage, en retour, (chiffre II) à reprendre en Suisse, dans les conditions contractuelles, le service des emprunts émis en Suisse par le Gouvernement français ou avec sa garantie, pour autant que la propriété suisse des titres est établie, et à assurer le paiement des commandes dites d’armements (chiffre III).

Enfin, les mesures nécessaires seront prises en Suisse et en France en vue d’atténuer de part et d’autre le blocage des avoirs et des titres de chaque pays sur le territoire de l’autre (chiffre IV). A ce propos, il est prévu que les avoirs et les titres suisses bloqués en France pourront être cédés à l’intérieur de la France à des personnes domiciliées en Suisse et les dépôts utilisés à des paiements quelconques en faveur de personnes domiciliées en France. D’une façon analogue, les avoirs et titres français bloqués en Suisse pourront être cédés en Suisse à des personnes domiciliées en France ou utilisés au paiement de dettes françaises quelconques à l’égard de personnes domiciliées en Suisse. La Banque nationale suisse et la Banque de France pourront, au surplus, faire virer à un compte spécial ouvert auprès de l’autre banque d’émission des avoirs appartenant à des ressortissants de leur pays et les utiliser à des paiements quelconques en France ou en Suisse respectivement.

Dans une lettre annexe7 il est stipulé (chiffre I) que la France paierait provisoirement un acompte de 10 millions de francs sur les frais d’internement de militaires en Suisse8.Il n’a pas été possible d’obtenir que ces paiements ne se fassent pas par le débit des 70% prévus au chiffre I de l’échange de lettres, mais par le débit des 30% laissés à la libre disposition de la Banque de France.

La question des assurances et des réassurances, pour autant qu’elle concerne la qualité de créanciers suisses des assureurs et réassureurs, n’a pas été mentionnée expressément dans l’échange de lettres lui-même. Elle fait l’objet d’un accord spécial qui a été discuté récemment à Vichy entre le représentant de la Direction des finances extérieures et les représentants des assurances suisses. Pour mémoire, il est rappelé dans l’Annexe9 à l’échange de lettres (chiffre II) qu’en ce qui concerne les intérêts des Compagnies d’assurance suisses, les conditions d’application des dispositions de l’échange de lettres seront définies dans le cadre d’un accord spécial. La délégation suisse a essayé en vain d’inclure ces dispositions d’application dans l’échange de lettres lui-même. Une lettre annexe séparée précisera le point de vue de la délégation suisse à cet égard et marquera notre désir de voir le Gouvernement français nous confirmer encore que les assureurs suisses seront admis à participer, pour leurs titres déposés en France en vertu de la législation de contrôle des assurances privées, à la reprise du service contractuel des emprunts en Suisse, dès l’instant où les dits titres ne seraient plus astreints à figurer au bilan de leurs établissements français.

Les mesures françaises de la réglementation des changes ont donné lieu à trois déclarations de la part du Gouvernement français. C’est ainsi qu’aucune mesure de blocage ne sera prise, aussi longtemps que l’échange de lettres sera en vigueur, à l’égard d’avoirs et de titres, constituant la propriété de personnes domiciliées en Suisse, auprès d’établissements ou de particuliers en France autres que des banques (chiffre IV). Pour les rapatriés suisses, le transfert en Suisse d'une partie de leur fortune sera autorisé. Ce transfert s’opérera, sous le contrôle de l’Office suisse de compensation, dans le cadre d’un montant total de 1 million de francs, à prélever sur la quote-part de 70%, déjà citée, et servant aux paiements à effectuer en Suisse (chiffre Y). Il va sans dire que cette possibilité sera accueillie avec la plus grande satisfaction par tous les Suisses qui sont revenus au pays et qui, au moment de leur départ, ont dû laisser en France tous leurs biens.

En ce qui concerne enfin l’obligation de transférer en France les avoirs que des citoyens suisses établis en France possèdent en Suisse, obligation qui n’existe pas à l’heure qu’il est, la Délégation suisse a dûment pris acte, dans une lettre annexe séparée10, des déclarations faites à ce sujet par l’Attaché financier près l’Ambassade de France à Berne, aux termes desquelles le Gouvernement français n’a pas, pour le moment, l’intention de soumettre les étrangers établis en France à une semblable obligation et que, s’il devait la décréter plus tard, il ne manquerait pas de prendre contact avec le Gouvernement suisse, avant de l’appliquer aux citoyens suisses domiciliés en France.

Les dispositions de l’échange de lettres et de l’Annexe entreront en vigueur dès la signature. Elles pourront être dénoncées, moyennant préavis d’un mois, par chacune des deux Parties (chiffre VI de l’échange de lettres). Il est entendu, pour le surplus, que ledit échange de lettres n'invalide en rien les dispositions du modus vivendi commercial provisoire du 23 octobre 1940, qui continuent à régir seules le règlement des paiements dits commerciaux (chiffre V). A la demande des délégués suisses, il sera finalement examiné en commun, dès que les circonstances le permettront, s’il existe la possibilité de conclure un règlement plus général, comprenant notamment le paiement des engagements français à l’égard de la Suisse qui ne font pas l’objet de l’échange de lettres présent (chiffre VII).

Au vu de ce qui précède et conformément à la proposition du Département de l’Economie publique, il est décidé:

1) d’approuver les démarches entreprises jusqu’ici, dans le but de permettre une certaine reprise des relations financières avec la France, et, en particulier, la teneur de l’échange de lettres ci-joint et de ses annexes,

2) d’autoriser M. le Conseiller fédéral Stämpfli, Chef du Département fédéral de l’Economie publique, à procéder à l’échange de ces lettres,

3) les lettres ci-annexées ne sont pas destinées à être publiées dans le Recueil officiel des lois fédérales.

1
E 1004.1 1/409.
2
RO, 1940, vol. 56, II, pp. 1837-1840. Cf. DDS, vol. 13, doc. 359, dodis.ch/47116, doc. 390, dodis.ch/47147.
3
RO, 1940, vol. 56, II, pp. 1232-1235. Cf. DDS, vol. 13, doc. 336, dodis.ch/47093.
4
Cf. lettre de la Légation de Suisse à Vichy à la Division du Commerce du DEP, dull janvier: Un accord de ce genre devrait obligatoirement être soumis à l’examen et à l’approbation des Autorités allemandes, vu que son champ d’application comprendrait également le territoire de la France occupée, où réside la plus grande partie des propriétaires des avoirs français en Suisse. Pour des raisons faciles à comprendre, le Gouvernement français ne désire pas que les Autorités allemandes soient renseignées à ce sujet (E 2001 (E) 2/607).
5
Du 7 avril (E 2001 (D) 2/230). Sur la Mission d’Achats à Genève, cf. DDS, vol. 13, doc. 247, dodis.ch/47004, doc. 287, dodis.ch/47044.
6
Cf. annexe au présent document.
7
Non reproduit.
8
Sur cette question, cf. No 3 et annexes.
9
Cf. note 6 ci-dessus.
10
Non reproduit.