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Documents Diplomatiques Suisses, vol. 13, doc. 426
volume linkBern 1991
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Archives | Archives fédérales suisses, Berne | |
▼ ▶ Cote d'archives | CH-BAR#E2001D#1000/1553#6353* | |
Ancienne cote | CH-BAR E 2001(D)1000/1553 316 | |
Titre du dossier | Heimschaffung der franz. Internierten (1940–1945) | |
Référence archives | B.51.13.53.0 • Composant complémentaire: Frankreich |
dodis.ch/47183
Je suis en mesure aujourd’hui de compléter les informations que je vous ai données, le 16 décembre2, au sujet du rapatriement des internés.
Ainsi que je vous 1’écrivais il y a deux j ours, les négociations ont été entamées le 22 novembre avec l’Ambassade de France et le 11 décembre avec la Légation d’Allemagne. Les pourparlers, tant avec la France qu’avec l’Allemagne, ont porté notamment sur les points ci-après:
garantie de non-utilisation à des buts de guerre des hommes qui seraient restitués;
question de l’unité militaire du 45e Corps d’armée;
le problème du matériel;
celui des Alsaciens-Lorrains;
celui des frais.
Le Conseil fédéral a estimé que des assurances devaient être demandées à la France si l’internement, ainsi que nous le souhaitons tous, prend fin avant la conclusion de la paix. Cette condition se justifie d’autant plus que la France, dans l’accord qui a été conclu le 16 novembre entre les Ambassadeurs Albrecht et Scapini, a donné une garantie de ce genre au Reich. En effet, l’article 2 du protocole Albrecht-Scapini dispose que les soldats français seront démobilisés dès qu’ils auront franchi la frontière de leur pays. La convention d’armistice pouvant toutefois être dénoncée d’une heure à l’autre, et la Suisse devant observer une véritable attitude de neutralité, j’ai demandé à l’Ambassadeur de France de me donner des assurances allant un peu au-delà de celles qui avaient été faites au Reich et de prendre vis-à-vis de la Suisse l’engagement que les soldats, leur démobilisation une fois effectuée, ne seraient pas remobilisés.
Le texte qui a été accepté par le Gouvernement de Vichy a la teneur suivante:
«Les internés qui seront restitués à la France seront, en attendant la conclusion de la paix, placés en position de démobilisation.»
C’est par une lettre en date du 15 décembre que l’Ambassadeur de France m’a informé du consentement de son Gouvernement3.
Je me propose de porter à la connaissance du Ministre d’Allemagne les termes de l’engagement pris par la France, et j’ai lieu de penser que ce texte aura son approbation.
Dans la question de l’unité militaire du 45e Corps d’armée, je me suis heurté à des difficultés assez considérables, car, d’une part, l’Ambassadeur de France m’a donné à entendre que l’on se préoccupait peu, à Vichy, de ces anciens alliés et, d’autre part, l’Allemagne fait une vive opposition au départ de ces hommes, car on paraît redouter, à Berlin et à Wiesbaden, que, sitôt la frontière suisse franchie, les soldats polonais ne cherchent à passer en Angleterre et à y poursuivre la lutte.
Bien que le Département Politique ait pris soin d’emblée de soutenir la thèse de l’unité militaire du Corps Daille, je me suis rendu compte qu’une application absolue de ce principe risquait de faire échouer la négociation. Aussi ai-je fini par considérer avec l’Ambassadeur de France une solution consistant à séparer dans le temps le problème des Français proprement dits de celui des soldats d’autre nationalité faisant partie du 45e Corps.
Le texte qui a été adopté sur ce point par le Gouvernement français a la teneur que voici:
«Lorsque les accords à prendre entre la France et l’Allemagne envisageront la restitution du solde du 45e Corps d’Armée - quitte à distinguer, dans le temps, entre les régions de la France occupée, la zone libre et celle qui est interdite - le Gouvernement français devra, à la demande du Gouvernement suisse, recevoir ceux d’entre les internés qui ne sont pas de nationalité française, mais qui avaient leurs occupations en France avant le mois de septembre 1939, le problème des frais demeurant, d’ailleurs, réservé.»
De même que je compte informer le Ministre d’Allemagne des termes de la garantie donnée par la France, j’ai l’intention de le mettre au courant de l’accord intervenu au sujet des éléments non français du Corps Daille. Je ne suis, toutefois, pas en mesure de vous dire dès à présent si la solution qui est intervenue rencontrera l’approbation de la Légation d’Allemagne, qui doit naturellement en référer à Wiesbaden, l’arrangement sommaire pris entre la France et l’Allemagne paraissant former aux yeux des parties un tout.
La question de la restitution du matériel est, elle aussi, épineuse. Il semble que le protocole Albrecht-Scapini soit à interpréter dans ce sens que la totalité du matériel qui est entré en Suisse avec le 45e Corps doive être livrée directement par la Suisse à l’Allemagne. Sur ce point, les difficultés sont nombreuses. Je dois examiner tout d’abord très attentivement la question de savoir si un acte de ce genre est compatible avec le principe fondamental qui régit la politique extérieure de la Suisse. Je me suis entouré, dans cette intention, des avis juridiques du Colonel Paul Logoz et du Lieutenant-Colonel Dietrich Schindler4. Les consultations qu’ils m’ont données laissent entendre que la remise du matériel à l’Allemagne peut être considérée comme un moindre mal et que la Suisse pourrait, à la rigueur, l’admettre. De même que la campagne de Pologne a pris fin, la guerre en France s’est terminée et une convention d’armistice a pu être conclue le 25 juin 1940. Par ailleurs, la valeur militaire du matériel ne semble pas considérable. Enfin, une opposition absolue à la livraison de cet armement ferait sans doute échouer la négociation, ce qui aurait pour effet, au point de vue politique, d’indisposer et l’Allemagne et la France, au point de vue financier, de faire supporter à la Suisse les frais de l’internement prolongé et, au point de vue humain, de priver la France d’hommes et de chevaux dont elle a grand besoin.
La totalité du matériel devant être remise au Reich, c’est avec le Ministre d’Allemagne qu’il faudra sans doute reprendre les négociations concernant les achats souhaités par le Service de Santé et par l’Etat-Major général. Je me suis rendu compte d’emblée que les désirs de l’Armée se heurteraient à une certaine opposition. Je compte cependant les faire valoir et vous serais obligé de me renseigner de façon précise sur les besoins en ce qui concerne les voitures sanitaires et certaines autres catégories de véhicules.
Les chevaux devant être rendus à la France, les pourparlers peuvent être continués sur ce point avec le Colonel Chauvin, sous réserve, bien entendu, du consentement de toutes les parties.
Dans la question des Alsaciens et des Lorrains, l’entente n’est pas encore faite entre les Allemands et les Français eux-mêmes5. Du côté allemand, on me laisse entendre que les décisions ont déjà été entérinées par la Commission d’armistice, mais cette thèse n’est pas formellement reconnue par l’Ambassade de France. Je suis donc obligé d’attendre que l’accord franco-allemand soit acquis. Il n’est pas exclu du tout que, du côté allemand, on ne s’oppose au retour des Français aussi longtemps qu’un doute subsiste sur le sort des Alsaciens et des Lorrains.
Dans la question des frais, j’ai obtenu du Gouvernement français qu’il reconnaisse le principe de sa dette. L’Ambassadeur conteste toutefois que les obligations de son Gouvernement s’étendent au-delà des éléments strictement français du 45e Corps. Je m’oppose, cela va sans dire, à cette manière de voir, mais n’ai pas encore obtenu de déclaration formelle6.
Ainsi que vous le voyez, Monsieur le Général, si l’on est en droit d’affirmer que les pourparlers ont réalisé des progrès, il faut cependant reconnaître que des difficultés subsistent.
La négociation n’en continue pas moins et, comme je vous l’ai toujours dit et écrit, je suis résolu à faire tout mon possible pour lui permettre d’aboutir à bref délai7.
- 1
- Lettre (Copie): E 2001 (D) 3/316.↩
- 2
- Dans cette lettre (non reproduite), Pilet-Golaz écrit notamment: Là aussi, les choses ont avancé, mais il ne faut pas se dissimuler que la négociation est, dans son ensemble, extrêmement délicate. Quel que soit le désir du Conseil fédéral de liquider l’internement le plus rapidement possible, il est malaisé d’y mettre un terme alors que la guerre continue. Il est d’usage que l’internement prenne fin à la paix. Vouloir l’interrompre dans les circonstances actuelles et alors que les hostilités se poursuivent rend la négociation particulièrement difficile, d’autant plus que nous ne pouvons partir d’une base précise, comme la convention conclue en 1870/71 avec le Général Clinchant. Soyez assuré que je m’emploie activement à la faire aboutir, car je me rends parfaitement compte des inconvénients qu’il y a, du point de vue militaire, à assurer la surveillance d’un corps d’armée. Mais nous devons aussi veiller à ce que notre attitude de neutralité ne puisse être sérieusement mise en doute, tout formalisme écarté. (Sur la convention signée le 1er février 1871, cf. DDS, vol. 2, doc. 321, dodis.ch/41854.)↩
- 3
- Non reproduite.↩
- 4
- Non reproduites.↩
- 5
- Sur le problème des Alsaciens-Lorrains, cf. E 2001 (D) 3/317.↩
- 6
- Sur les problèmes matériels et économiques posés par l’internement, cf. E2001 (D) 3/318 et E 5795/528.↩
- 7
- Le 17 janvier 1941, le Maréchal Pétain fera remettre par l’Ambassade de France à Berne au Président de la Confédération un message de gratitude du Chef de l’Etat français: «Grâce à la généreuse décision prise par le Conseil fédéral de s’associer à l’exécution de l’accord inter- venu le 16 novembre 1940 entre le Gouvernement français et le Gouvernement allemand, les premiers convois transportant nos soldats internés se préparent à quitter la Suisse pour la France, et près de 30000 Français vont être rendus à leur pays. (...) Dans les heures présentes et par ces témoignages de sympathie agissante, la Suisse a su, une fois de plus, toucher le cœur de la France.» Cf. la lettre (non reproduite) du major Barbey, Chef de l’Etat-Major particulier du Général, du 17 janvier 1941. De son côté, le Ministre de Grande-Bretagne à Berne, D. Kelly, adresse à ce sujet deux aidemémoires (du 26 et du 30 décembre 1940, non reproduits) au Chef du Département politique, M. Pilet-Golaz, afin d’obtenir des précisions sur l’attitude de la Suisse.↩
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Internés et prisonniers de guerre (1939–1946)