Classement thématique série 1848–1945:
II. RELATIONS BILATÉRALES
B. AVEC LES ÉTATS EUROPÉENS NON LIMITROPHES
6. Grande-Bretagne
6.1. Affaires politiques et militaires
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 13, doc. 10
volume linkBern 1991
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2300#1000/716#485* | |
Old classification | CH-BAR E 2300(-)1000/716 232 | |
Dossier title | London, Politische Berichte und Briefe, Militärberichte, Band 33 (1939–1939) |
dodis.ch/46767
J’ai eu ce matin un entretien avec Sir AlexanderCadogan, au Foreign Office, au cours duquel j’ai amené la conversation sur la Suisse et sur l’opinion qu’on avait, à Downing Street, de la situation dans laquelle pourrait se trouver notre pays suivant la marche des événements et la tournure que prendront éventuellement les affaires de l’Europe.
Sans insister ici sur les commentaires de nature plus générale au sujet de l’aspect politique du moment, je me bornerai à vous rapporter les observations de mon interlocuteur nous intéressant directement.
La façon dont Sir Alexander, à la mention de la Suisse, s’est tout de suite enquis du degré, dans les milieux officiels de chez nous et dans la population, de notre inquiétude par rapport aux dangers auxquels nous pourrions avoir à faire face, n’a pas manqué de me frapper. J’ai cru pouvoir constater qu’il s’agissait là d’une question qui n’est pas pour lui un sujet inattendu et auquel il n’avait jamais voué d’attention, mais plutôt d’une chose qui semble préoccuper en ce moment même sa Chancellerie.
J’ai touché à la controverse existant entre Berne et Berlin par rapport à la définition de notre neutralité, et il ne m’a pas caché que, selon lui, le fait même que la Wilhelmstrasse semblait vouloir maintenir la discussion, montrait qu’on avait l’intention, à Berlin, d’attacher du prix à ce qu’il y ait un sujet en cours sur lequel l’Allemagne n’était pas d’accord avec la Suisse. Le sujet même, a-t-il relevé, est d’ailleurs d’une nature qui pourrait facilement, en cas de nécessité, être un prétexte à des mesures inquiétantes! J’ai répondu, en ce qui concerne l’objet même, que nous nous basions strictement sur les thèses reconnues du droit international et que nous n’admettions naturellement pas que ce soit un Gouvernement individuel étranger qui établisse, selon des principes de son propre choix, les obligations que nous impose notre neutralité. Dans cette conception, qui est celle de Sir Alexander autant que la nôtre, gît, selon lui, précisément la raison pour laquelle on doit réfléchir sur le but que peut poursuivre la Wilhelmstrasse en insistant sur cette différence d’interprétation2.
Sir Alexander sait qu’en Pologne on est, après l’entrevue Hitler-Beck, décidément soulagé. Le fait que le sentiment de satisfaction à Varsovie ne fait aucun doute, incline à conclure que le Führer a donné certaines assurances au Colonel Beck, assurances qui ne pourraient guère être autre chose que la sécurité pour la Pologne en vue des opérations à venir. Cela fait penser que, s’il y a des projets qui peuvent être menaçants, les menaces ne seraient pas dans la direction de l’Europe orientale. Il faut ajouter que jusqu’ici, il n’a pas été possible à mon interlocuteur d’avoir des informations exactes sur ce qui s’est passé entre MM. Hitler et Beck.
Or, au Foreign Office, on admet que M. Hitler est en train de préparer, disons pour après la mi-février ou mars, l’exécution d’un de ses projets. Si ce n’est pas vers l’Est, cela sera vers l’Ouest, soit directement, soit à la suite d’une opération qui aurait commencé dans d’autres régions, par exemple en Méditerranée. Les pays en danger seraient alors la Hollande et la Suisse.
En effet, on paraît avoir voué, ces temps-ci à Downing Street, une très grande attention à la situation de ces deux pays; on y suit avec attention la propagande naziste et ses effets. On parle à peine de la Belgique, on la considère bien moins exposée au danger, du moins pendant la période initiale d’un conflit. Ceci pour différentes raisons, entre autres celle des réserves d’or.
La situation économique de l’Allemagne, ajoute Sir Alexander, demandera nécessairement bientôt une nouvelle provision de richesses, bien que les levées et les confiscations à l’intérieur du Reich soient portées jusqu’à l’extrême limite. Le Führer trouverait les richesses qu’il cherche en Hollande et en Suisse, s’il arrive, ce qui ne lui sera pas très difficile, à créer un prétexte quelconque pour attaquer ces deux pays.
Lord Halifax s’est adressé hier à l’Ambassadeur de France aux fins de savoir si l’on possédait également, au Quai d’Orsay, des informations inquiétantes au sujet des desseins nazistes visant les Pays-Bas et la Suisse. Il semblerait que les informations à Paris et à Londres seraient à peu près de même nature3. Ce qui inquiète surtout, ce sont les mouvements de troupes et de matériel qu’on aurait constaté en Autriche et on affirme que la semaine dernière, une trentaine de trains plombés auraient passé de Silésie en Autriche à travers la Tchécoslovaquie.
On ne peut se tromper sur l’inquiétude qui règne tant en France qu’ici et qui est entre autres causée par le renforcement éclatant de la force militaire du Reich moyennant le récent décret. On croit être dans le vrai en admettant qu’à aucun moment dans le passé M. Hitler n’a concentré à un tel point l’organisation de toute la population et de toutes les ressources de la nation dans le seul but de la «Kriegsbereitschaft». Cette organisation comprend définitivement, outre les forces armées, l’économie totale, le training de toutes les classes, hommes, femmes et enfants; elle s’étend aux habitudes de vie, publique et privée, à chaque ménage individuellement, aux devoirs de tout citoyen, tant matériels que moraux.
Et, dans cette connexion, je me souviens d’un propos de Sir Alexander; il ne faut pas oublier, dit-il, la rapidité avec laquelle le matériel de guerre devient démodé de nos jours; il demande, pour être à la hauteur, un renouvellement presque continu, spécialement l’arme aérienne. Ainsi, lorsqu’on a créé une armée «moderne» en tous points, il faut s’en servir vite, pour empêcher l’adversaire de la dépasser. Ceci surtout dans le cas d’un pays qui est sans argent.
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