Classement thématique série 1848–1945:
II. LES RELATION BILATÉRALES ET LA VIE DES ÉTATS
II.14. ITALIE
II.14.3. ITALIE. AFFAIRES DE PRESSE
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 12, doc. 242
volume linkBern 1994
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2001D#1000/1553#185* | |
Old classification | CH-BAR E 2001(D)1000/1553 16 | |
Dossier title | Casagrande, Alex, Rom; Keppler Alfred (1943–1945) | |
File reference archive | A.15.48.11 |
dodis.ch/46502
Plus d’une fois déjà, nous avons eu à correspondre à propos du collaborateur du «Bund» à Rome, M. Casagrande. L’organe bernois est d’ailleurs pour le moment interdit en Italie.
Comme vous le savez et depuis de nombreuses années, on a fait périodiquement comprendre que M. Casagrande n’était point «persona grata» ici. L’ancien Directeur général de la Presse, le Ministre Grazzi, s’était déjà exprimé d’une manière très vive à son encontre. A la Direction générale de la Presse, moi-même et le Conseiller entendions des doléances sur ce compatriote.
Dans la suite, après diverses observations et également après des conversations à la Légation, M. Casagrande, - qui d’ailleurs vint très rarement nous voir cette dernière année, - donna moins lieu à des plaintes du côté italien. On se plut même quelquefois à reconnaître qu’il avait fait un effort d’objectivité et de modération; ce fut surtout le cas depuis l’été dernier.
Cependant, depuis plusieurs mois, le «Bund» a eu fréquemment des articles qui ont, semble-t-il, déplu ici et créé peu à peu l’idée que, après avoir été plutôt amical et compréhensif après l’affaire éthiopienne, il avait décidément tourné dans un sens inamical à l’égard de l’Italie.
En ce qui concerne aussi M. Casagrande, les reproches ont repris consistance et il s’est attiré une très vive observation à la suite d’articles parus dans le «St. Galler Tagblatt» et dans le «Bund» de la dernière décade de février. On aurait songé même à ce moment à l’expulser.
Ces jours derniers, M. Casagrande est venu nous signaler que, d’après ce qui aurait été communiqué à un de ses collègues suisses, les Autorités préféreraient le voir quitter le Royaume. Nous lui avons aussitôt conseillé d’aller lui-même parler avec le Directeur général de la Presse pour tirer la situation au clair. M. Casagrande reçut confirmation de ce qu’il avait entendu et a immédiatement fait rapport à son journal pour savoir quelle attitude il devait observer, c’est-à-dire partir de son propre chef, ou bien attendre qu’un décret d’expulsion en toute forme vienne le frapper, avec les conséquences qui s’en suivent, c’est-à-dire interdiction d’entrer en Italie et inscription de son nom sur la liste des Autorités de police et de frontière. Je me suis abstenu jusqu’ici de donner à cet égard à M. Casagrande un conseil précis, préférant laisser aux intéressés toute responsabilité.
Ce matin, nous nous sommes enquis à notre tour auprès de M. le Ministre Rocco, Directeur général de la Presse. Celui-ci nous a confirmé que, selon les ordres qu’il avait reçus de ses supérieurs, on désirerait que M. Casagrande quitte l’Italie de son propre gré pour éviter une mesure de police à son égard. Interrogé sur les motifs de l’attitude des Autorités italiennes, après que nous ayons pu constater un effort de M. Casagrande pour ne pas envoyer des correspondances de nature à contenir des phrases offensantes pour notre pays voisin, M. Rocco a indiqué les faits suivants.
Il semblerait que M. Casagrande, dans la semaine allant du 23 février au 1er mars, aurait envoyé au «St. Galler Tagblatt» et au «Bund» des articles contenant des indications ayant fortement déplu ici au sujet de la politique de l’axe, des affirmations dépréciatives faites par des officiers allemands sur l’armée italienne et relatifs à l’attitude de l’Italie dans la question autrichienne. Il aurait en effet été question de l’expulser à ce moment. Mais, à la place, un sérieux avertissement lui fut donné, dont M. Casagrande ne nous avait d’ailleurs pas parlé à l’époque. L’affaire paraissait être considérée comme réglée à la suite de cet avertissement; mais on a constaté que, depuis lors, la seule chronique qu’il ait envoyée a eu pour but de prendre à la loupe, d’une manière critique, l’attitude du Gouvernement italien pendant les journées de l’Anschluss. M. Rocco nous a dit qu’après avoir à diverses reprises demandé à M. Casagrande de suivre les rapports italo-suisses dans un sens amical et de s’abstenir de relever toujours d’une manière souvent caustique et malveillante les contradictions apparentes de la politique italienne et ce qui pouvait prêter le flanc à la critique, on avait vu qu’il était toujours animé du même esprit et qu’il n’y avait en somme rien à faire. Donc, on fait grief à M. Casagrande de remplir son rôle d’une manière peu en harmonie avec les rapports amicaux entre la Suisse et l’Italie. Le fait qu’il s’abstienne de phrases directement offensantes ou de fausses nouvelles, comme les lancent quelquefois certaines agences peu favorables, n’est guère relevé comme un élément en sa faveur. On dit que M. Casagrande, comme M. Klein autrefois, évite assez habilement de se faire prendre directement en faute, mais que tout l’esprit des correspondances dénote une tendance antifasciste jugeant les événements et la politique italienne de façon acrimonieuse. A part cela, il y a contre lui des rapports relevant des propos tenus par lui au café ou ailleurs. Il aurait dit en public, par exemple, l’été dernier: «Schade, dass England auch diesesmal nicht Italien einen Schlag auf die freche Schnautze hat geben können.» Il a, en outre, été question d’un rapport de police de l’été dernier, mais sur lequel les Autorités italiennes n’insistent pas et n’ont pas fait de communication à Casagrande.
Notre démarche avait un caractère informatif et nous n’avons pas préjugé de notre attitude ultérieure, tout en disant d’emblée que nous trouvions regrettable que le correspondant d’un grand journal suisse, qui a passé, sauf erreur, 13 ans à Rome, doive partir et qu’en tous cas il s’agissait là d’un événement auquel nous devions attacher de l’importance.
Il est évident que, dans ces conditions, l’activité ultérieure de M. Casagrande ne serait pas facile, même si par une intervention officielle - si vous nous en chargez - il était possible d’obtenir encore une mesure de clémence, ce qui n’est pas certain et pas nécessairement à conseiller. Depuis trop longtemps, nous recevons des réclamations à son sujet pour qu’on puisse admettre qu’il changera de manière à donner satisfaction à la Direction générale de la Presse et à être placé dans le groupe des correspondants «bien vus» que sont MM. Hodel, Vaucher et Gentizon. Il n’y a pas de doute que les conceptions du Ministère de la Culture Populaire à l’égard du rôle des correspondants s’accentuent dans un sens qui ne cadre pas exactement avec nos notions de la liberté de la presse. On voudrait, en somme, que les correspondants réfèrent dans un sens amical, soulignent ce qui va bien et s’abstiennent de passer au crible de la critique ou de l’ironie les imperfections ou obscurités de la politique italienne. Surtout, qu’on ne touche pas à l’armée et à l’axe. M. Rocco nous a dit que c’est avant tout l’esprit nettement hostile de M. Casagrande, relevé dans ses correspondances comme dans diverses conversations, qui était le facteur déterminant de la demande relative à son départ.
J’ai tenu à vous rapporter immédiatement les faits; je pense que vous voudrez bien me faire connaître sans tarder vos observations et instructions éventuelles au sujet de cette affaire qui, sans doute, fera l’objet d’une prise de contact confidentielle entre le «Bund» et votre Département2.
- 1
- Lettre: E 2001 (D) 3/16. Journalistes suisses en Italie. En tête du document figure cette annotation manuscrite de Motta: Faire encore une démarche... et ce sera, je crois et j’espère, la dernière..., 26.3.38, M. Figure également cette annotation manuscrite de Bonna: M. Frölicher. On pourrait peut-être saisir l’occasion pour recommander au «Bund» et au «St. Galler Tagblatt» moins de parti pris. 26/3. Bo.↩
- 2
- Cf. Nos 246, 252.↩
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