dodis.ch/46446 Aide-mémoire du Chef de la Division des Affaires étrangères du Département politique, P. Bonna1
Sir George Warner demande à me voir quelques minutes pour préciser un détail de sa conversation d’hier avec M. Motta. Je le reçois à 11 heures. Il me demande d’abord si les experts auront à se réunir à nouveau avant la réunion du Comité des XXVIII, mais il ne s’agit visiblement que d’un prétexte. Le but de la visite est d’accentuer la position négative du Gouvernement britannique à l’égard de l’initiative de la Suisse, comme s’il n’était pas certain d’avoir été assez clair dans son entretien d’hier et les conversations précédentes. Il veut - dit-il - qu’on ne puisse pas lui reprocher que le Ministre d’Angleterre n’a pas dit à temps certaines choses.
Sir George souligne qu’il a beaucoup de compréhension pour la situation spéciale et particulièrement difficile de la Suisse en Europe et que, notamment, pendant la période des sanctions, il a fait ce qu’il a pu pour la faire comprendre et admettre à Londres. Il déplore que le discours du 22 décembre 19372 ait éveillé l’idée en Angleterre que la Suisse s’oppose à la sécurité collective par la Société des Nations et ait pris position à la suite de la décision italienne. De l’avis de son Gouvernement, il n’y a pas de raison d’inquiétude spéciale en ce moment, qui lui paraît mal choisi pour l’action que nous avons entreprise. Le choix de ce moment prête à équivoque au sujet de nos buts véritables.
«Vous avez - dit-il - des conceptions trop étroites et vous ne tenez pas suffisamment compte des efforts de l’Empire britannique pour le maintien de la paix.»
A mes explications, Sir George répond qu’il admet que des considérations de politique intérieure obligeaient le Conseil fédéral à agir comme il l’a fait, mais que, du point de vue politique étrangère, il aurait été préférable de ne rien faire avant de voir ce qui sortirait des débats du Comité des XXVIII.
Ainsi qu’on l’aurait déclaré déjà au mois de décembre à M. de Jenner, l’Angleterre n’a pas encore une opinion arrêtée au sujet de l’article 16 du Pacte. Si une majorité se dessine pour rendre momentanément facultatives les dispositions concernant les sanctions, l’Angleterre n’y fera probablement pas obstacle, mais elle pourrait difficilement consentir à éliminer complètement le principe d’une action collective et à en dispenser complètement même un Etat comme la Suisse.
Je rappelle alors l’article 435 du Traité de Versailles et notre politique traditionnelle. J’insiste sur l’intérêt des autres Etats à nous voir conserver une neutralité incontestée, notamment par nos voisins non membres de la Société des Nations. Sir George paraît comprendre assez bien et admettre personnellement notre point de vue, mais sans s’y rallier tout à fait.
L’entretien n’a pas cessé d’être tout à fait amical. Il a duré une demi-heure.