Le Ministre de Yougoslavie près le Quirinal, M. Doutchitch, qui vient d’être transféré à Bucarest, m’a fait au moment de son départ des déclarations qui, en partie, sont d’intérêt immédiat pour nous. Reçu en audience par le roi, M. Doutchitch, qui a vu réaliser durant sa mission à Rome la pacification politique et morale des rapports italo-yougoslaves, a été tout naturellement amené à s’entretenir avec le souverain non seulement de la politique danubienne, mais aussi du rôle de l’axe Rome-Berlin. Le roi Victor-Emmanuel paraît s’être exprimé avec une très grande franchise, et avec le grand bon sens qui le caractérise, sur la situation européenne. En parlant des rapports italo-allemands, le souverain se serait félicité qu’il n’y a pas entre les deux grands pays une frontière commune, qui serait comparable à la frontière du Rhin, avec toutes les frictions que comporte cette dernière entre la France et l’Allemagne. Il s’est félicité que c’est à la Suisse qu’incombe la garde des Alpes, en insistant, et en des termes paraît-il fort sympathiques, non seulement sur le rôle historique de notre pays, mais aussi sur les immenses avantages qui en découlent pour l’Italie. Ces paroles du souverain sont une nouvelle preuve que certaines idéologies jadis puissantes, et qui pouvaient, à la longue, devenir dangereuses, sont en train de péricliter, souhaitons-le pour toujours. Il est certainement précieux, en prévision de toutes éventualités, que le souverain d’Italie demeure, pour sa part aussi, non seulement pénétré de sentiments d’amitié à notre égard, mais convaincu de la sécurité que l’existence de notre Etat offre à son royaume.
En parlant de notre voisin de l’Est, l’Autriche, M. Doutchitch s’est également rendu compte du désir du souverain de voir maintenir l’intégrité de l’Etat autrichien. Ceci n’est pas sans importance, vu qu’un certain «défaitisme» pénètre parfois, ainsi que j’ai pu m’en rendre compte à nouveau, dans la diplomatie italienne quant à la possibilité d’éviter 1’«Anschluss» à longue échéance.
Quant à la mission qu’il a lui-même accomplie à Rome, M. Doutchitch s’en montre extrêmement heureux, bien qu’il ne se fasse pas d’illusions exagérées. Lorsqu’il a pris la direction de la Légation du Palais Borghèse, le ton des rapports italo-yougoslaves était aussi violent qu’il l’est malheureusement aujourd’hui entre la France et l’Italie. Des incidents se succédaient sans arrêt, et les visées sur la Dalmatie recevaient l’encouragement ouvert de hautes personnalités. Aujourd’hui, il en est tout autrement. L’Italie, tournée vers l’Impero et, en ce moment, vers l’Espagne, désire se prémunir contre tout conflit à sa frontière orientale. Elle souhaite notamment s’assurer la neutralité de la Yougoslavie dans un conflit éventuel pouvant mettre en danger l’existence de la République tchécoslovaque. Elle fait tout pour rasséréner l’atmosphère, et les voyages de journalistes, les échanges d’artistes, de conférenciers, etc. sont presque aussi intenses en ce moment entre Rome et Belgrade qu’entre Rome et Berlin. De tout ceci M. Doutchitch ne veut pas tirer des conclusions de trop longue portée, mais il dit avec raison que même si l’œuvre actuellement réalisée ne devait pas survivre à des convulsions possibles, la démonstration aurait été faite qu’il est parfaitement faisable de pacifier, dans un laps de temps très court, même des secteurs politiques considérés comme particulièrement périlleux pour la paix.