J’ai lu avec l’intérêt que vous devinez le compte-rendu sommaire, publié dans les journaux, des déclarations que vous avez faites mardi dernier au Conseil des Etats au sujet de la reconnaissance par la Suisse de la souveraineté italienne en Ethiopie et des relations italo-suisses en général. Si je me suis permis de télégraphier au Département pour solliciter l’envoi du compte-rendu sténographique complet de ces déclarations2, c’est parce que je souhaiterais en communiquer la teneur complète au Comte Ciano. Dans le moment actuel surtout, votre appel indirect au retour de l’Italie à la Société des Nations pourra avoir une importance notable.
Je serais également très heureux de recevoir, le moment venu, si vous n’y voyez pas d’objections, le texte des déclarations que vous serez amené à faire sur le même sujet devant le Conseil National3, où la lutte sera peut-être plus âpre. Je ne sais, Monsieur le Président, si je puis m’autoriser à vous faire, en vue de ces déclarations au Conseil National, une suggestion. Je me permets, cependant, à toutes fins utiles, d’émettre une idée dont la réalisation serait, je crois, utile au point de vue des affaires en cours ici et aussi pour renforcer l’ambiance favorable heureusement créée. Il me paraît possible que vous jugerez opportun de faire une allusion, au cours de votre discours sur la gestion en 1936, aux paroles et aux actes d’amitié de M. Mussolini à l’égard de la Suisse, et en particulier au discours de Milan de novembre dernier4. Serait-il possible à ce propos d’associer le Comte Ciano à cette constatation des dispositions amicales du Chef du Gouvernement? Un mot de vous disant que nous apprécions la part prise par le Ministre des Affaires Etrangères à la consolidation de l’amitié italo-suisse et reconnaissant, par exemple, «l’esprit de collaboration internationale» démontré par le Ministre des Affaires Etrangères aurait, je crois pouvoir en être sûr, au point de vue de la situation vue d’ici, plus que la valeur d’un encouragement. Le Comte Ciano n’ignore pas qu’il a de nombreux adversaires. Un jugement favorable sur son activité sur le plan international serait d’autant plus apprécié par lui, et il en saurait gré à la Suisse. Je ne puis assez répéter que tout travail constructif tendant à avancer les affaires en cours, quelles qu’elles soient, se fait ici par «indirizzi» venant d’en haut. Or, aujourd’hui, non seulement les services du Ministère des Affaires Etrangères, autrefois souvent si lents, savent que le Ministre désire personnellement voir régler rapidement, et pour autant que possible dans le sens de nos désirs, les questions que nous présentons; cet «indirizzo» du Ministre des Affaires Etrangères, qui est actuellement le collaborateur le plus influent de M. Mussolini, a pénétré dans tous les Ministères techniques. (Soit dit en passant, nous avons ici une preuve de l’importance primordiale de maintenir une atmosphère politique favorable. Les affaires techniques, commerciales et autres se règlent bien plus facilement et souvent automatiquement ensuite, quoi qu’en puissent dire les milieux «spécialistes» aussi de chez nous, qui voudraient parfois mettre les questions techniques au premier plan, en affectant de ne pas considérer comme important ce qui est «politique».)
Je ne voudrais citer que quelques séries de cas typiques: Au point de vue du marché du travail, nous jouissons encore d’une situation privilégiée, atteinte dans la même mesure par la seule Allemagne; la situation de nos compatriotes en tant qu’étrangers dans les établissements travaillant pour la défense nationale est, en raison des directives du Comte Ciano, moins difficile que celle des ressortissants d’autres Etats se trouvant dans une position analogue. Aussi dans le domaine économique, on connaît cet «indirizzo», donné souvent par écrit par le Comte Ciano, qu’il s’agisse de l’Ethiopie ou des relations commerciales normales entre les deux pays (M.Max Huber pourra vous confirmer que la «Maschinenfabrik Oerlikon» peut faire travailler des ouvriers suisses pendant une année pour une commande de transformateurs, placée exclusivement grâce au bon climat politique italo-suisse); je ne parle même pas des affaires des Tessinois expulsés, dont la solution a été facilitée par le règlement de l’affaire A’Prato5, règlement qui nous a valu surtout le resserrement du contrôle sur l’activité des irrédentistes.
Or, un mot reconnaissant l’action du Comte Ciano et l’encouragement, au surplus, à se tourner vers la collaboration internationale, renforcerait et prolongerait probablement le climat favorable actuel. Il va sans dire, Monsieur le Président, que je ne vous soumets cette idée que pour ce qu’elle vaut et en considérant la situation ici; vous seul possédez les éléments d’appréciation permettant de juger s’il est opportun de faire une allusion dans ce sens devant le Conseil National.
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