Très confidentiel
Rome, 1er mai 1937
Un de nos compatriotes, qui est correspondant d’un grand organe de la presse française2, a vu, il y a une quinzaine de jours environ, le Comte Ciano. Le Ministre des Affaires Etrangères, qui avait déjà fait, lorsqu’il dirigeait le Ministère de la Presse et de la Propagande, des déclarations très franches à notre compatriote, s’est exprimé d’une manière assez inattendue sur quelquesuns des principaux problèmes politiques de l’heure.
Vu l’importance de ses paroles, j’ai prié mon informateur de fixer par écrit - bien entendu à titre strictement confidentiel - la teneur des déclarations recueillies. Vous en trouverez le texte3 sous ce pli, et je suis sûr que vous le lirez avec un intérêt particulier.
Certes, les paroles dont il s’agit appellent des commentaires, et j’aurai à revenir sur leur contenu. Pour ma part, j’ai quelque peine à croire, comme l’admet notre compatriote, que les déclarations du Comte Ciano soient le résultat d’un «scatto». Etant donné les attaches de mon informateur et bien que le Ministre des Affaires Etrangères lui ait fait promettre de ne point relater l’entrevue à l’Ambassade de France, je me demande si le but principal de la communication n’était pas celui de formuler une mise en garde à l’adresse de Paris.
A plusieurs reprises, vous le savez, j’ai échangé des vues avec le Ministre des Affaires Etrangères au sujet de la nécessité d’un retour de toutes les grandes puissances à une véritable collaboration internationale, et j’ai toujours rapporté de ces entrevues l’impression très nette que le Ministre souhaitait cette collaboration. Je n’exclus donc point que le Comte Ciano, dont les décisions sont souvent fort rapides, ait voulu alerter Paris et faire comprendre qu’il pourrait devenir difficile de détourner les événements du cours qu’ils risquent de prendre si on laisse continuer la politique de blocs.
Tout ce que nous apprenons des côtés les plus divers amène, en somme, à la conclusion que la prochaine assemblée de la Société des Nations pourra être, selon la tournure qu’elle prendra, d’une importance capitale pour la politique de l’avenir.