Imprimé dans
Documents Diplomatiques Suisses, vol. 12, doc. 49
volume linkBern 1994
Plus… |▼▶Emplacement
Archives | Archives fédérales suisses, Berne | |
▼ ▶ Cote d'archives | CH-BAR#E2001D#1000/1554#58* | |
Ancienne cote | CH-BAR E 2001(D)1000/1554 5 | |
Titre du dossier | Italie (1937–1938) | |
Référence archives | E.22 |
dodis.ch/46309
A mon retour de Suisse, j’ai eu avec le Comte Ciano, Ministre des Affaires Etrangères, un assez long entretien qui portait, en grande partie, sur la situation générale. J’ai cru devoir saisir cette occasion pour parler au Comte Ciano, que j’ai trouvé extrêmement accessible à nos suggestions, des soucis et même des appréhensions que nous cause l’absence, en fait prolongée, de l’Italie de la Société des Nations, qui a son siège sur notre territoire. Tout en donnant à la conversation un caractère personnel, je me suis entièrement inspiré, je n’ai pas besoin de le dire, de l’entretien que j’ai eu récemment avec vous à Berne.
Pour faire comprendre au Ministre des Affaires Etrangères que la carence de l’Italie ne nous préoccupe pas seulement en tant qu’Etat voisin - et qui doit souhaiter que tous les Etats qui l’entourent collaborent effectivement à la Société des Nations, dont nous sommes membres -, mais que l’absence des délégations italiennes se fait réellement sentir dans un sens préjudiciable à l’équilibre des forces désirables au siège de la Société des Nations, je lui ai cité quelques exemples.
Primo. La discussion au Conseil de la S.d.N. sur le statut des journalistes, discussion qui s’est engagée, en l’absence de l’Italie, comme répercussion de l’affaire A’ Prato. Tout en faisant comprendre - ceci était avant vos dernières déclarations aux Chambres - que nous étions bien en mesure de soutenir et de défendre notre point de vue, j’ai laissé entendre que la présence d’un délégué italien au Conseil aurait pu donner d’emblée un tout autre tour à la discussion de Genève.
En second lieu, j’ai cru devoir - en prévision de tout ce qui peut se passer - faire une allusion directe à un autre problème, qui est devenu pour nous aigu pendant le conflit entre l’Italie et la Société des Nations et qui, tout en étant apparemment en sommeil, peut le redevenir un jour ou l’autre; à savoir l’opposition contre la décision de notre pays de mettre un embargo bilatéral sur l’exportation d’armes à destination des deux parties en conflit, et surtout l’interdiction générale du transit d’armes. En rappelant l’assaut que vous aviez dû subir vous-même, Monsieur le Président, à Genève au cours de la discussion sur notre attitude, j’ai indiqué que nous comptions vraiment que le retour effectif de l’Italie rétablisse, également à cet égard, l’équilibre nécessaire.
En dernier lieu, j’ai laissé entendre, toujours à titre personnel, qu’aussi la politique de personnel suivie par le Conseil et le Secrétariat de la S.d.N. ne pouvait être aujourd’hui identique à celle qu’elle serait si tous nos voisins, et en particulier l’Italie, prenaient part aux délibérations de Genève. J’ai touché ici un point que je sais être très sensible au Gouvernement italien, et qui est suivi très attentivement ici.
Le Comte Ciano a manifesté la plus parfaite compréhension de notre situation et de notre attente. Une fois de plus, j’ai retiré de mon entretien avec le Ministre des Affaires Etrangères la conviction qu’il souhaite vivement une évolution permettant à l’Italie d’étendre le champ de ses collaborations dans le domaine international. Pour le moment, toutefois, c’est l’Italie qui attend, sans vouloir manifester, après l’expérience de septembre dernier, une hâte excessive, les résolutions qui seront prises à Genève lors de la prochaine Assemblée extraordinaire. Le Comte Ciano m’a dit que selon les informations concordantes qui lui étaient parvenues, la France et la Grande-Bretagne feraient le nécessaire pour être libérées, à partir du mois de mai, de la nécessité dans laquelle elles croient se trouver, pour des motifs de politique intérieure, de paraître reconnaître encore l’Empire inexistant du Négus. Sur ce point aussi j’ai souligné, pour ma part, la nécessité de procéder à une préparation politique étant réellement de nature à faciliter le retour de l’Italie à Genève. Car vous avez sans doute aussi entendu parler, Monsieur le Président, du projet attribué aux conseillers du Négus, et qui consisterait à ne pas envoyer de délégués éthiopiens à Genève. Ainsi, croit-on dans ces milieux, la Commission de vérification des pouvoirs de Genève ne saurait procéder à une exclusion, et la reconnaissance formelle de la souveraineté italienne en Ethiopie serait de nouveau retardée pour quelque temps...
Je vous avais relaté que l’Ambassadeur d’Angleterre, Sir Eric Drummond, s’est déclaré convaincu du retour prochain de l’Italie, ne fût-ce que pour la seule raison que Rome désirait collaborer à la «réforme du Pacte». Or, le retard récemment intervenu dans la discussion sur ce problème pourrait être de nature à ralentir un geste de l’Italie vers Genève. D’autre part, le temps ne travaille pas nécessairement en faveur d’une reprise de la collaboration générale. Bien qu’il soit évidemment souhaitable que la guerre civile d’Espagne n’obscurcisse plus le ciel des relations internationales au moment de la reprise, l’Allemagne - ceci m’est confirmé par différents Chefs de mission - travaille activement contre un retour, considéré par elle comme anticipé, de l’Italie. Au surplus, et malgré le temps qui passe, les idées italiennes quant à la réforme du Pacte ne se sont pas précisées. Enfin, le discours du Duce à l’ouverture de la Foire de Tripoli démontre que le Chef du Gouvernement garde toujours un souvenir très vif de l’époque des sanctions. Tout porte dès lors à croire que Paris et Londres commettraient une nouvelle erreur en persistant dans une attitude plutôt passive à l’égard de la prochaine Assemblée extraordinaire, en demeurant trop confiantes que, par la force des choses, l’Italie ferait un premier pas vers son retour à la Société des Nations.
- 1
- E 2001 (D) 4/5. La Suisse, l’Italie et la Société des Nations.↩