Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 12, doc. 43
volume linkBern 1994
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern |
Archival classification | CH-BAR#E1004.1#1000/9#364* |
Dossier title | Beschlussprotokolle des Bundesrates März - April 1937 (1937–1937) |
dodis.ch/46303 CONSEIL FÉDÉRAL
Procès-verbal de la séance du 8 mars 19371 429. Statut des journalistes dits «accrédités» auprès de la Société des Nations. Interpellation Nicole
Procès-verbal de la séance du 8 mars 19371
Le département politique expose ce qui suit:2
«La question d’un statut des journalistes dits «accrédités» auprès de la Société des Nations ne date pas d’hier, mais elle a particulièrement été agitée à la suite des mesures prises contre le sieur A Prato, rédacteur au «Journal des Nations». L’Association internationale des journalistes à Genève a paru s’émouvoir du fait que ce journaliste irascible devait quitter le territoire de la Confédération et est allée jusqu’à saisir le Conseil de la Société des Nations de cette affaire en invoquant la nécessité pour elle de sauvegarder la liberté de la presse3. Elle demande des garanties pour l’avenir, garanties qui devraient être consignées dans un statut à négocier entre la Société des Nations et nous.
Le Conseil n’aurait pas dû s’occuper de cette affaire, même en séance privée4, sans se concerter avec le Conseil fédéral ou sans nous offrir tout au moins la possibilité d’exposer, si tel eût été notre désir de le faire, les raisons qui ont amené les autorités suisses à sévir contre M. A Prato. La procédure qu’il a suivie jusqu’ici frise la violation de l’article 4, alinéa 5, du Pacte, qui stipule expressément: «Tout membre de la Société qui n’est pas représenté au Conseil est invité à y envoyer siéger un représentant lorsqu’une question qui l’intéresse particulièrement est portée devant le Conseil.»
Si le Conseil a pu se résoudre à entrer dans cette voie, c’est qu’il y a été poussé grâce à certaines complicités que les journalistes ont pu s’assurer manifestement dans son sein. L’affaire est actuellement pendante, et les membres du Conseil s’étaient séparés, lors de la dernière session, en chargeant le délégué de la Chine, M. Wellington Koo, alors président du Conseil, de bien vouloir examiner conjointement avec deux ou trois de ses collègues la suite à donner à la supplique des journalistes. A ce jour, nous n’avons pas eu vent des intentions du représentant de la Chine.
En tout état de cause, nous estimons qu’il n’y a pas lieu d’accueillir favorablement la requête dont il s’agit. Cette demande n’est pas justifiée. Les journalistes n’ont pas plus droit à un statut spécial que les autres groupements corporatifs. Ils ne représentent, en aucune manière, leur pays à l’étranger; ils ne représentent que des journaux et ne sauraient, à ce titre, bénéficier, même dans une mesure très limitée, de facilités équivalant, en fait, aux privilèges et immunités diplomatiques. Le jour où pareil statut verrait le jour, la Suisse ne commanderait plus chez elle. Les journalistes étrangers pourraient agir à leur guise, insulter le pays ou d’autres Etats avec lesquels nous avons intérêt à vivre en bonne harmonie sans que nous ayons le droit et les moyens de faire cesser leurs agissements. Notre souveraineté ne saurait abdiquer devant les préférences de journalistes qui, par ailleurs, s’exagèrent de beaucoup, d’une part, leur importance personnelle et, d’autre part, les périls dont ils sont environnés.
Le régime dont ont bénéficié jusqu’ici les journalistes «accrédités» à Genève n’a rien, pensons-nous, de répréhensible. Il est aussi libéral qu’il pourrait l’être, et il l’est beaucoup plus qu’il ne l’aurait été dans d’autres pays. Nous n’éprouvons aucune propension à nous citer en exemple, mais, à cet égard, nous n’avons rien à nous reprocher, et l’Association internationale des journalistes n’a, à vrai dire, à se plaindre de rien. Elle a eu fort peu souvent l’occasion d’articuler des griefs contre les autorités suisses, et elle n’en aurait jamais eu à formuler si certains de ses membres n’avaient pas dépassé manifestement les bornes de ce qui est admissible et tolérable. La situation des journalistes à Genève n’est pas telle que d’aucuns se complaisent à la dépeindre. Leur mauvaise humeur disparaîtrait du jour au lendemain si certains pays dont nous ne partageons pas toutes les idéologies ne les encourageaient pas plus ou moins ouvertement à nous demander des faveurs qu’on ne leur accorderait certainement pas ailleurs.
Parce que le sieur A Prato, adversaire acharné du régime fasciste en Italie, a été renvoyé de Suisse pour les raisons que l’on sait, une certaine presse de gauche feint, chez nous, d’être alarmée et s’inquiète du sort des malheureux journalistes à Genève qui demeurent encore sous le contrôle des autorités suisses. Elle reproche au Conseil fédéral toutes sortes de faiblesses et de complaisances. Le journaliste étranger qui ne pense pas comme nous serait menacé d’expulsion. Il est vain de relever ces sottises dont le calibre même exclut toute idée de bonne foi. Si ceux qui les répandent voulaient s’éclairer, ils chanteraient bien vite la palinodie, mais ils se refusent - et pour cause - d’allumer leur lanterne.
Il n’y a pas lieu, dans ces conditions, de se montrer surpris que M. Nicole, appuyé par quelques co-signataires, ait songé, dès la présente session des Chambres, à interpeller le Conseil fédéral sur la question d’un statut des journalistes accrédités à Genève. Son interpellation, déposée le 4 mars, a la teneur suivante:
«Quelle est la politique du Conseil fédéral à l’égard des journalistes accrédités auprès de la Société des Nations?
Ces derniers ont-ils ou non le droit:
a. de défendre le pacte de la Société des Nations et son application;
b. de défendre, selon leurs propres convictions, la politique des Etats qui accomplissent fidèlement leurs devoirs à l’égard des stipulations du pacte;
c. de combattre la politique d’agression et de violation du pacte par des informations et des commentaires destinés à faire éclater au grand jour des manœuvres excluant la possibilité de liquidation pacifique des conflits pouvant surgir entre les Etats.
Le Conseil fédéral est-il prêt à collaborer à l’établissement d’un statut mettant les journalistes accrédités auprès de la Société des Nations à l’abri d’incidents aussi regrettables que celui qui a frappé M. A Prato, collaborateur au «Journal des Nations», au «New York Times» et à un certain nombre d’autres journaux d’allure internationale?»
Le Chef du département politique considère qu’il y aurait intérêt à répondre sans tarder à cette interpellation. La question, comme nous l’avons vu, est brûlante d’actualité. Elle est pendante devant le Conseil de la Société des Nations et l’on ne sait pas ce qui pourrait en sortir si nous n’adoptions pas, à la première occasion qui s’offre à nous, une attitude nette et décidée. Cette occasion, M. Nicole et ses amis nous la fournissent; nous devons la saisir pour exposer publiquement et sans ambages ce que nous pensons de cette affaire. Nous dissiperons ainsi les illusions que certains pourraient se faire à Genève et ailleurs sur les possibilités d’obtenir de nous des concessions que nous jugeons incompatibles avec les droits inhérents à une souveraineté restée entière malgré l’établissement du siège de la Société des Nations dans notre pays. Nous nous mettrons ainsi d’avance à l’abri de démarches ou de pressions auxquelles nous ne pourrions qu’opposer une fin de non-recevoir. Le Conseil de la Société des Nations n’a pas cru devoir jusqu’ici nous consulter; il trouve évidemment la question plutôt embarrassante, encore que plusieurs de ses membres - et nous le savons de source sûre - semblent partager entièrement les craintes et les doléances des journalistes. Nous lui faciliterons la tâche en l’éclairant nous-mêmes sur le régime auquel ont été astreints à ce jour les journalistes à Genève et qui continuera à leur être appliqué à l’avenir. Cette déclaration unilatérale constituera, si l’on veut, le statut des journalistes accrédités auprès de la Société des Nations; nous n’en avons pas d’autre à offrir.
Il ne serait évidemment pas indiqué de répondre, point par point, à l’interpellation Nicole. La manière dont les questions sont posées est trop tendancieuse pour que nous suivions l’interpellateur sur son terrain. Il suffira que nous fassions connaître nos vues sur le problème de fond, soit sur l’octroi éventuel d’un régime de faveur aux journalistes accrédités auprès de la Société des Nations. On nous reproche de menacer la liberté de la presse. C’est une ineptie, mais nous devons nous expliquer clairement à ce sujet.
Notre réponse à l’interpellation pourrait tenir, pensons-nous, dans les douze points que voici:
1) La Suisse est attachée autant que quiconque - et certainement plus que certains pays - au principe de la liberté de la presse.
2) Elle y est attachée d’autant plus que, chez nous, ce principe a derrière lui une longue tradition qui ne s’est jamais démentie.
3) Les autorités fédérales n’ont jamais pris de mesures qui pussent de bonne foi être considérées comme attentatoires à la liberté d’opinion que revendique l’Association des journalistes à Genève. La requête de cette dernière au Président en exercice du Conseil met précisément en évidence le fait que cette liberté n’a jamais été troublée en fait.
4) Si la Confédération a, en matière de liberté de la presse, des principes qui peuvent être confrontés avec ceux de n’importe quel autre pays, elle n’entend pas pour autant renoncer, du fait du siège de la Société des Nations à Genève, à exercer les prérogatives d’un Etat souverain. En recevant la Société des Nations sur son territoire, la Confédération n’a en rien aliéné son indépendance.
5) La Confédération tiendra toujours compte des intérêts de la Société des Nations et elle s’emploiera constamment à concilier ses préférences et ses intérêts avec les désirs et les besoins légitimes de la Société. Mais elle ne pourrait, en aucun cas, renoncer au droit d’exclure de son territoire toute personne privée qui, par son attitude et son activité, porterait ou pourrait porter préjudice aux intérêts de la Confédération.
6) Les autorités fédérales n’ont jamais entendu limiter le droit des journalistes étrangers spécialement dépêchés aux sessions du Conseil et de l’Assemblée d’écrire ce que bon leur semble aux journaux qui les envoient.
7) Elles ont reconnu, en règle générale, la même faculté aux journalistes séjournant à Genève, étant entendu qu’ils ne mettraient pas à profit leur séjour en Suisse pour critiquer systématiquement nos institutions ou nous créer des difficultés avec les Etats étrangers.
8) Les autorités fédérales se réserveront, en outre, toujours le droit, à l’égard de journalistes étrangers admis à séjourner et dont l’activité peut inspirer certaines craintes, d’exiger qu’ils s’engagent à ne pas nous créer des difficultés avec des pays étrangers.
9) Les autorités fédérales peuvent également refuser l’accès du territoire suisse à des journalistes indésirables. Le fait d’être «accrédité» par un journal, si honorable soit-il ne constitue pas un certificat d’honorabilité qui puisse faire échec aux mesures prises ou à prendre en vue de sauvegarder notre ordre public. Si ce principe était battu en brèche, un individu expulsé de Suisse pourrait y rentrer sous le couvert du mandat d’un journal 1’«accréditant» auprès du secrétariat de la Société des Nations. C’est inadmissible.
10) Pour ce qui est des réfugiés politiques, la Confédération exigera toujours qu’ils s’en tiennent de la façon la plus stricte aux conditions auxquelles est nécessairement subordonnée leur admission en Suisse. Un réfugié ne peut pas de plein droit exercer la profession de journaliste dans le pays de refuge. Si cette profession ne lui est pas interdite, elle peut être soumise à toutes les restrictions commandées par les circonstances. L’Etat, qui est seul juge de sa sécurité, est seul juge aussi de ce qu’il doit faire pour se protéger contre le réfugié qui exerce une activité incompatible avec sa qualité de réfugié.
11) L’expérience a montré que ces principes ne sont nullement de nature à porter atteinte aux intérêts bien compris de la presse internationale représentée à Genève. La presse étrangère a joui jusqu’ici des plus larges facilités. Ce sera le cas aussi à l’avenir.
12) Les garanties qu’elle demande, elle les trouvera dans la pratique suivie jusqu’ici, comme elle les trouvera dans les conceptions politiques d’un pays qui croit avoir prouvé au cours de son histoire et qui prouve tous les jours son attachement indéfectible au principe de la liberté de la presse.
Les divers points que nous venons d’énoncer se rapportent aussi bien au passé qu’au présent et à l’avenir. Ils touchent implicitement au cas A Prato auquel fait allusion expressis verbis Pinterpellateur; ils rappellent nos conceptions en matière de liberté de la presse et se prononcent nettement sur l’inopportunité qu’il y aurait à accorder aux journalistes à Genève un statut spécial que rien ne justifie. De cette manière, nous répondrions de façon complète aux questions que l’on veut bien nous poser, et nos déclarations constitueraient, par anticipation, la réponse à toute démarche éventuelle du Conseil de la Société des Nations à la suite de la requête dont il a été saisi par les journalistes.»
Vu ce qui précède et conformément à la proposition du département politique, il est décidé de charger le Chef de ce département de répondre au nom du Conseil fédéral, dans le sens des considérations qui précèdent, à l’interpellation déposée par M. Nicole au sujet du régime auquel sont soumis les journalistes «accrédités» auprès de la Société des Nations5.