Classement thématique série 1848–1945:
II. LES RELATION BILATÉRALES ET LA VIE DES ÉTATS
II.13. GRANDE-BRETAGNE
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 12, doc. 11
volume linkBern 1994
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2300#1000/716#483* | |
Old classification | CH-BAR E 2300(-)1000/716 230 | |
Dossier title | London, Politische Berichte und Briefe, Militärberichte, Band 31 (1937–1937) |
dodis.ch/46271
Mon rapport politique No 2, du 16 janvier2, qui Vous sera parvenu ce matin, n’indique que dans des lignes très générales la position que prennent les milieux officiels de Londres, selon mon opinion du moins, vis-à-vis de la politique de M. Hitler. Quelques observations d’ordre plus spécial pourraient contribuer à compléter la thèse.
J’ai eu l’occasion de mentionner, dans un récent rapport politique sur la conception française de la mentalité gouvernementale allemande, qu’à l’avis de certains diplomates à Berlin, les Nazis sont hantés par la peur de l’encerclement. Inutile d’ajouter qu’ils verraient dans la France, l’instigatrice de cette campagne, alors que d’autres Puissances se laisseraient, les unes avec empressement, les autres sans résistance, entraîner par elle dans cette voie.
S’il est exact que cette idée est l’un des facteurs importants de la politique allemande, il est compréhensible que Berlin doit constamment tenir compte de ce danger et par conséquent organiser ses mouvements pour contrecarrer ces efforts. Le meilleur moyen, si ce n’est le seul, d’empêcher la formation du cercle, est évidemment de manœuvrer de façon que la Grande-Bretagne reste en dehors de cette «conspiration».
A première vue, cela ne devrait pas être spécialement difficile, car on sait que l’un des principes fondamentaux de la politique de Whitehall est précisément d’observer, dans la mesure du possible, une attitude indépendante, et de jouer le rôle du médiateur dans le concert européen. Cependant, en y regardant de près, on n’a aucune peine à comprendre que l’effort que fait l’Allemagne pour s’assurer les bonnes dispositions de l’Angleterre doit tout de même rencontrer des obstacles considérables. Le but élémentaire du Gouvernement de Sa Majesté doit être le maintien de la paix européenne. La France décidément veut la paix et non pas la guerre; la Russie également ne veut certes pas la guerre, en Europe du moins; l’Allemagne, si elle ne veut pas la guerre ne néglige tout au moins rien pour faire penser qu’elle la veut.
En ce qui concerne cette dernière observation, on a, je crois, ici, une opinion assez juste. On se dit que, si M. Hitler proteste de ses intentions pacifiques dans ses discours, il est sincère en ce sens qu’il ne veut pas la guerre aussi longtemps qu’il obtient satisfaction dans ses prétentions par la voie des négociations. Mais on craint que le moment ne vienne où ces prétentions dépasseront les possibilités d’un arrangement paisible. A ce moment-là, les intentions pacifiques du «Führer» disparaîtront sans autre et l’appareil de guerre, dont la préparation constitue depuis deux ans l’âme de la vie nationale allemande, entrera en fonction.
On observe également qu’il s’est développé en Allemagne un vrai système de faire suivre régulièrement les discours du Führer de manifestations dans le sens opposé, c’est-à-dire, soit de discours d’hommes du Gouvernement ou du parti, soit d’articles de presse provoquants et menaçants. On se demande dès lors à qui il faut croire.
M. de Ribbentropp3 a la tâche de créer une atmosphère bienveillante en Grande-Bretagne. Selon les idées des hommes de Berlin, et en toute évidence selon celles de M. Hitler lui-même, il est l’homme tout fait pour remplir cette mission.
A l’heure qu’il est, on a quelque peine à prononcer un jugement sur ses chances de succès. On peut cependant constater certains faits.
Son prédécesseur, M. de Hoesch, avait une position excellente. Il entretenait les meilleures relations possibles avec le Foreign Office et avait en outre, une position sociale particulièrement favorable. Ses allures étaient celles d’un diplomate versé de la vieille école; aussi avait-il réussi à acquérir à son pays et, dans un certain degré, au Gouvernement du troisième Reich, des sympathies qui ne furent certes pas sans utilité. Mais il ne faisait pas partie de la corporation nationalsocialiste et ce fut là son malheur. Sa mort subite (au sujet de laquelle il y a eu des commentaires à la fois mystérieux et entièrement infondés) a précipité la fin de sa mission (fin qui en tout cas serait survenue, peut-être quelques semaines seulement, plus tard).
On avait la conviction à Berlin, que M. de Ribbentropp était l’Ambassadeur tout désigné pour Londres et que personne mieux que lui ne saurait s’acquitter de cette fonction.
Les débuts du nouvel Ambassadeur n’ont pas été heureux. Les propos qu’il tint à la gare, en arrivant, et plus encore ceux qui firent ensuite la surprise d’une réunion de journalistes à l’Ambassade ne lui assurèrent pas les bonnes dispositions de la presse.
Les attaches mondaines étaient mal choisies sur lesquelles lui-même ainsi que ses amis plus vaguement informés à Berlin, comptaient. Non seulement n’étaient-elles d’aucune importance pour le métier, mais lors du malheur du Roi, elles le placèrent dans l’embarras.
Il ne me semble pas non plus avoir une conception très juste de l’activité d’un Ambassadeur. Je ne sais pas ce qu’on pense de sa manière de faire au Foreign Office, mais il me semble que quelquefois on ne la trouve pas conforme aux usages. Du moins, on n’a pas été enchanté de ce qu’il ait demandé une entrevue au Premier Ministre pour lui faire un exposé que Mr. Eden aurait pu écouter sans inconvénients.
Le discours politique fait par lui au banquet de l’Association anglo-britannique a décidément déplu. On a observé que ce n’était pas l’affaire d’un Ambassadeur de polémiser en public sur un problème épineux comme celui des Colonies à rendre à l’Allemagne.
Il me semble aussi qu’on n’a pas encore oublié que M. Hitler a fait attendre Whitehall pendant huit mois avant de remplacer M. de Hoesch. Quand, enfin, le successeur est arrivé, le personnel complet de l’Ambassade fut changé.
Ce personnel est d’ailleurs encore plus nombreux qu’auparavant. Il compte quinze fonctionnaires diplomatiques, dont quatre représentants des forces armées. L’édifice de l’Ambassade a été agrandi et est actuellement en cours de reconstruction et redécoration. Cette dernière opération implique la suppression du décor historique exécuté au début du XIXe siècle par le grand architecte Nash et son remplacement par un décor style allemand moderne au coût d’un million de Marks. Quand l’Ambassade, reconstruite avec ostentation par des ouvriers allemands, sera prête, en avril, elle sera la plus grande à Londres et trois fois plus grande qu’aux temps de Guillaume II.
En faisant, il y a quelques semaines, ma visite à M. de Ribbentropp, lors de son entrée en fonction, je l’ai trouvé fort aimable, un peu formel peut-être, et décidément prêt à parler. Il me paraît avoir beaucoup d’éloquence, mais donne en parlant, plutôt l’impression d’un homme de parti que d’un diplomate.
J’ai retenu deux détails de cette visite.
D’abord, en ce qui concerne le côté organisation (pour autant qu’on puisse juger en passant dans les vestibules et corridors) on constate un effort fait en vue d’impressionner par l’envergure de l’établissement et par l’état-major entourant spécialement la personne de l’Ambassadeur. Le fait que M. de Ribbentropp s’est rendu à Berlin pour les vacances de Noël avec une suite de quarante-deux personnes corrobore encore cette impression.
Ensuite, au cours de la conversation, j’ai eu le sentiment que les quelques semaines d’activité de l’Ambassadeur ont dû convaincre le nouvel arrivé qu’il ne connaissait pas l’ambiance spéciale et les particularités du milieu londonien autant qu’il n’avait cru les connaître en arrivant et qu’il lui faudra encore quelque expérience avant de se sentir bien à son aise parmi les Anglais.
En dernier lieu, M. de Ribbentropp s’est prononcé, vis-à-vis de moi, d’une façon optimiste sur la situation économique de l’Allemagne, notamment en ce qui concerne les conditions alimentaires pendant l’hiver. Cette constatation m’a d’autant plus frappé que d’autres membres de son Ambassade insistent sur la nécessité d’une extension des ressources et que lui-même venait précisément d’en faire état dans son discours en faveur d’une restitution de colonies.
Je ne puis, comme dit plus haut, pas encore déduire les chances de succès de la mission de l’Ambassadeur. Il a été ici trop peu de temps, et voici qu’il vient de passer à nouveau quelques semaines à Berlin.
Il est certain qu’on a ici la meilleure intention à son égard et tient à avoir de bonnes relations avec l’Ambassade, d’autant plus que les relations entre l’Ambassade britannique à Berlin et les milieux officiels allemands manquent effectivement de cordialité. Mais avec le nouveau courant qu’on croit percevoir à Whitehall, pour une politique étrangère plus ferme, la tâche du nouveau représentant de M. Hitler n’est pas rendue facile et la question de manipuler les rapports entre Berlin et Londres de façon à ce qu’ils conviennent aux desseins de l’Allemagne, dépendra considérablement de sa personne.
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