Classement thématique série 1848–1945:
I. SOCIÉTÉ DES NATIONS
4. Conflit italo-éthiopien, sanctions; venue du Négus en Suisse; manifestation de journalistes italiens à la SdN; reconnaissance de l’Ethiopie italienne
Pubblicato in
Documenti Diplomatici Svizzeri, vol. 11, doc. 335
volume linkBern 1989
Dettagli… |▼▶Collocazione
Archivio | Archivio federale svizzero, Berna | |
Segnatura | CH-BAR#E2001C#1000/1535#1561* | |
Titolo dossier | Reconnaissance de l'Empire éthiopien (1936–1938) | |
Riferimento archivio | B.56.17.07 |
dodis.ch/46256
Le 4 juillet dernier, l’Assemblée de la Société des Nations, réunie sur l’initiative du Gouvernement argentin, adoptait une résolution2 constatant, entre autres, qu’elle restait «fermement attachée aux principes du Pacte, principes qui trouvent également leur expression dans d'autres actes diplomatiques tels que la déclaration des Etats américains en date du 3 août 1932, excluant le règlement par la force des questions territoriales».
Cette résolution, qui venait consacrer implicitement, comme on s’en souvient, l’abandon des sanctions contre l’Italie, avait un but essentiel: celui de ne pas permettre à l’Etat considéré comme agresseur de triompher sur toute la ligne. Si les sanctions ne devaient plus être appliquées, les Etats membres de la Société des Nations n’avaient pas pour autant à reconnaître sans autre la conquête.
C’est pour aboutir à ce résultat que l’Argentine avait convoqué l’Assemblée et c’est bien la raison pour laquelle son geste avait été jugé comme inamical à Rome.
Quoi qu’il en soit, la résolution avait été adoptée par l’Assemblée à l’appel nominal par 44 oui contre 1 non et 4 abstentions3. Bien qu’elle se fût heurtée à une opposition, elle fut considérée comme valablement acceptée, étant donné que le Bureau lui avait donné la forme d’un vœu.
La Suisse, qui, comme membre du Bureau, avait participé à l’élaboration de la résolution, avait évidemment voté «oui».
Quelle est la valeur de cette résolution? Si elle n’est qu’un vœu, ne pourrait-on s’en délier sans trop de difficultés? On pourrait discuter à cet égard, mais, pour un Etat comme la Suisse, qui, comme membre du Bureau de l’Assemblée, s’est associée sans réserve au principe dit américain de la non-reconnaissance des acquisitions territoriales obtenues par la force, il serait bien délicat d’entrer dans ces subtilités. Le fait est que nous avons adhéré à un principe, qu’il soit présenté sous la forme d’une résolution proprement dite ou sous celle d’un vœu. La forme ne diminue pas la valeur du fond, du moins pour ceux qui ont accepté le fond sans réserve et sont, de surcroît, responsables de sa rédaction.
Au point de vue juridique et surtout moral, nous sommes indiscutablement liés par la résolution du 4 juillet.
Mais cette résolution ne peut pas être éternelle. Elle nous liera pour combien de temps?
Ici, nous avons déjà représenté que nous devrions, selon nous, nous garder de faire œuvre de précipitation, de céder à un mouvement irréfléchi. Un geste de reconnaissance de notre part serait sans doute fort apprécié à Rome, mais si l’amitié romaine nous est chère, l’estime des autres pays doit aussi compter pour nous.
Qu’on le veuille ou non, la Suisse s’est acquis une situation morale de premier ordre à Genève. Elle le doit, en particulier, au prix qu’elle a toujours attaché et qu’elle attache encore aux valeurs morales. Un pays comme le nôtre doit faire tout, semble-t-il, pour conserver cette position, et il ne saurait, par conséquent, dans une question politique de cette importance, prendre à la légère la résolution du 4 juillet.
Cette résolution nous lie, et, pour nous en dégager aujourd’hui même, il nous faudrait, croyons-nous, d’impérieux motifs.
Or les arguments invoqués par M. Ruegger4 n’ont rien, nous semble-t-il de péremptoire; ils sont sérieux, mais ils ne font pas apparaître comme une nécessité absolue le fait de se libérer, dès maintenant, de rengagement assumé par nous en juillet. Les conditions qui nous permettraient de justifier urbi et orbi une initiative de notre part nous paraissent faire encore défaut.
En ce qui nous concerne, nous attendrions encore avant de reconnaître officiellement la conquête éthiopienne. Nous n’aurions rien à gagner à faire, à cet égard, partie du groupe Autriche-Hongrie-Japon-Chili5. On peut même se demander si nous n’aurions pas beaucoup à perdre.
Un geste trop spontané de notre part pourrait être d’autant plus regrettable qu’il est assez probable que, dans un avenir très rapproché, la question éthiopienne fera de nouveaux progrès. Il se peut, en effet, que des échanges de vues décisifs auront lieu lors de la prochaine Assemblée de la Société des Nations, qu’on nous annonce pour janvier (admission de l’Egypte)6.
Le cas échéant et avant de prendre une mesure de reconnaissance unilatérale, peut-être ferions-nous mieux de saisir précisément l’occasion de la prochaine Assemblée pour rouvrir la discussion sur la résolution du 4 juillet.
Aussi longtemps que cette résolution du 4 juillet sera en vigueur ou du moins qu’il n’aura pas été délibérément convenu d’y admettre des dérogations, l’attitude à adopter par la Suisse nous paraît devoir s’imposer. Entre l’amitié italienne – si précieuse soit-elle pour nous – et le respect des engagements internationaux, c’est pour ce dernier principe qu’il conviendrait, à notre avis, d’opter.
Si, d’aventure, la résolution du 4 juillet n’était pas respectée par d’autres membres – l’exemple du Chili ne suffit pas –, nous aurions toujours la possibilité de revenir sur la question plus tard. Mais, pour le moment, j’incline à penser qu’une attitude de prudence de notre part serait commandée par les circonstances. En suivant dès maintenant l’exemple du Chili, nous serions peut-être amenés à nous expliquer à ce sujet à la tribune de la prochaine Assemblée. Or, avant de placer celle-ci devant le fait accompli, mieux vaudrait, pensons-nous, préparer le terrain de la reconnaissance en commençant par faire connaître plus ou moins discrètement nos intentions aux Etats membres de la Société des Nations.
Ce serait plus correct et ce serait plus conforme à nos habitudes et à nos méthodes de travail. La politique d’un petit Etat ne peut être pratiquée sans certains ménagements.
- 1
- E 2001 (C) 5/174. Remarque marginale de Motta: Ces raisonnements de M. Gorgé sont sérieux et dignes de considération, mais ils ne peuvent prévaloir contre le fait que la conquête est déjà reconnue «en fait» par tous les Etats, notamment la France et l’Angleterre. Pourquoi s’obstiner sans raison suffisante à distinguer entre le fait évident et le droit? 23. XII. 36. Remarque marginale de C. Gorgé: La situation s’était, en effet, profondément modifiée tôt après la rédaction de cette notice. 28.12.36.↩
- 2
- Cf. aussi no 265, n. 2 et no 287.↩
- 3
- Cf. JO. SDN, 1936, Supplément spécial no 151, pp. 66ss.↩
- 4
- Cf. no 310, n. 1 etnos 316 et 330.↩
- 5
- l’Autriche et la Hongrie ont reconnu la souveraineté italienne en Ethiopie le 11 et le Japon le 28 novembre. Le 30 novembre, le nouvel ambassadeur du Chili à Rome a présenté au ministre G. Ciano ses lettres de créance, adressées au Roi d’Italie, Empereur d’Ethiopie.↩
- 6
- La dix-septième Assemblée de la SdN se réunira en session extraordinaire les 26 et 27 mai 1937.↩