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Le Chargé d'affaires a. i. de Suisse à Madrid, E. Fontanel, au Chef de la Division des Affaires étrangères du Département politique, P. Bonna1

A moins qu’un revirement ne se produise, je crains bien que peu à peu le bolchévisme n’envahisse, pour une période qu’il est impossible à prévoir, la partie où la rébellion ne se sera pas affirmée. Bien qu’on ne puisse, pour le moment, parler de situation définitive, les signes que Madrid donne d’un établissement progressif du système soviétique sont très caractéristiques pour ne pas envisager l’avenir sous un jour sombre et gros de conséquences pour les intérêts suisses engagés en Espagne. Cette situation inquiète donc légitimement nos compatriotes ici dont beaucoup ont engagé depuis des années leur patrimoine et ont acquis des situations qui étaient florissantes. Vous pouvez imaginer les pensées qui les assiègent.

Il suffit, comme vous savez, de peu de temps pour détruire ce que les années ont établi. Les milices rouges envahissent les restaurants et hôtels, menaçant les propriétaires sur un ton de gens sûrs de leur affaire. C’est ainsi qu’un compatriote propriétaire d’hôtel à Madrid, s’est vu forcé comme beaucoup d’autres par une bande de miliciens de leur accorder le manger. Les jours suivants, il fut sommé par un nombre double, soit environ 100, de les nourrir; actuellement, la Légation intervient pour le protéger contre les menaces de cette bande armée.2

Les administrations et organisations privées passent peu à peu sous le contrôle de l’Etat qui décide arbitrairement, en général sur la proposition des syndicats, la suspension et le licenciement des membres de la direction. Les réquisitions abondent. La maison Nestlé a dû céder des marchandises pour une valeur d’environ 800 000 Pts.3 Elle a donné une partie minime à la Société Suisse de Bienfaisance. Les marchands de comestibles et autres, désireux de pouvoir vendre encore leurs marchandises avant qu’on ne les leur prenne, nous font des offres avantageuses. La terreur rouge s’étend un peu partout. Sans parler de l’occupation des hôtels particuliers, des casinos et cercles dits «aristocratiques», il m’a été rapporté que dans toute la province de Murcia il ne subsiste pas une église entière; je ne sais si je vous ai déjà parlé des incendies de nombreuses églises pendant les premiers jours de la rébellion à Madrid.

Pour autant qu’on peut en juger maintenant, la situation semble devoir se prolonger en ce sens que des portions entières de territoires, comme par exemple le Nord, la Navarre, pourraient demeurer pendant longtemps encore dans les mains des rebelles qui s’y établiraient d’une manière plus ou moins définitive et pourraient offrir une résistance prolongée, tandis que le Sud par exemple qui semble assuré pour le Gouvernement constituerait le noyau de légalité. On craint une guerre de positions dont on n’entrevoit guère Tissue. L’Espagne sombrerait ainsi dans un état d’anarchie dont les conséquences sont imprévisibles à l’heure qu’il est. On dit aussi que le Gouvernement italien aurait reconnu Burgos comme capitale de la vieille Castille et en mains des rebelles4. Ceci paraît toutefois douteux.

Il est de fait que l’école allemande de Barcelone a été brûlée et détruite et des images de Hitler souillées et détériorées. Le Chargé d’Affaires d’Allemagne reçut immédiatement la visite du Sous-secrétaire d’Etat qui s’excusa. Il faut reconnaître, comme je l’ai relevé déjà quelques fois, que les autorités font preuve, dans la mesure du possible, de correction et de vigilance. Avant de recevoir une réponse à ma note concernant l’emploi abusif de la croix fédérale en lieu et place de la croix rouge, la radio et la presse passaient à la population une recommandation d’éviter ces abus.

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