Classement thématique série 1848–1945:
I. SOCIÉTÉ DES NATIONS
4. Conflit italo-éthiopien, sanctions; venue du Négus en Suisse; manifestation de journalistes italiens à la SdN; reconnaissance de l’Ethiopie italienne
Imprimé dans
Documents Diplomatiques Suisses, vol. 11, doc. 201
volume linkBern 1989
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Archives | Archives fédérales suisses, Berne | |
▼ ▶ Cote d'archives | CH-BAR#E2300#1000/716#912* | |
Ancienne cote | CH-BAR E 2300(-)1000/716 397 | |
Titre du dossier | Rom, Politische Berichte und Briefe, Militärberichte, Band 36 (1936–1936) |
dodis.ch/46122
J’ai l’honneur de vous rapporter ce que le Chef du Gouvernement m’a dit hier sur la situation politique.
Il s’agissait de ma visite d’adieu, mais l’obligation que j’avais de lui parler de l’affaire Colombi2 a naturellement légèrement modifié le caractère de notre entretien.
C’est, du reste, lui-même, sans que je lui pose aucune question, qui a entamé avec son exubérance habituelle le grave sujet qui préoccupe à cette heure le monde entier. «Les sanctions, même renforcées suivant la demande de certains Etats, ne feront pas plier l’Italie, m’a-t-il dit. Le peuple italien est prêt à tous les sacrifices. Il les supporte, grâce à sa sobriété et à son patriotisme, plus facilement qu’aucun autre pays. L’embargo sur le pétrole3 ne nous effraie pas autrement. Nous avons des provisions suffisantes et l’on nous en offre de toutes parts. Ce qui nous irrite, ce qui nous humilie, c’est l’aspect moral de ces mesures. Tout le peuple en est profondément ulcéré. Quant au charbon, vous ne devineriez pas que c’est l’Angleterre elle-même qui continue à nous en vendre, de même qu’elle nous fournit des motocyclettes en exigeant simplement qu’on y supprime l’indication de la marque de fabrique».
Je n’ai pas craint de faire observer au Duce que les journaux italiens induisaient leur public en erreur en attribuant l’attitude des puissances à des sentiments de haine à l’égard de l’Italie. Je me suis efforcé de lui faire comprendre que, pour les petits Etats d’Europe, les mobiles étaient tout différents. Mais j’ai parlé en vain. Le Duce s’est exprimé ici avec une extrême sévérité à l’égard de la Suède au sujet de l’affaire de la Croix-Rouge4, et avec plus de vivacité encore à l’égard de la Hollande, dont les colonies sont menacées par le Japon. «Nous verrons, m’a-t-il dit, peut-être assez prochainement, le Japon s’emparer des colonies hollandaises et la Hollande ne pourra pas compter ce jour-là sur l’Italie».
Aux yeux de Mussolini, toute la situation européenne est maintenant bouleversée. L’Allemagne devient de plus en plus forte et l’Italie saura bien chercher d’autres alliances, le moment venu.
Il s’est étendu encore sur les cruautés exercées par les Abyssins: balles dumdum, décapitation et castration des prisonniers, abus constant de l’insigne de la Croix-Rouge, derrière lequel s’abritent les guerriers en armes. L’Italie enverra, du reste, un rapport à ce sujet à Genève.
Je lui ai parlé de son fils qui venait d’échapper à un assez grave accident d’aviation. Le Duce m’a montré la photographie de ce jeune homme avec fierté.
J’ai fait allusion à une initiative conciliante qui pouvait partir de la S. d. N. Il ne l’a pas exclue. J’ai constaté, dans tous ses propos, sa lucidité et fermeté habituelles, avec toutefois une certaine ingénuité qui aide à comprendre certaines erreurs commises5.
En ce qui concerne les changements qu’il annonce dans la grande politique internationale, je me suis permis de lui faire remarquer que, depuis que je suis à Rome, si j’en juge d’après les manifestations de la rue, j’ai assisté à bien des brouilles et des réconciliations. Il ne m’a pas caché que certaines de ces manifestations étaient organisées par la police elle-même, ce qui est important à noter. Il a ajouté que je devrais écrire mes souvenirs: «18 années à Rome»6.
Il a été d’une extrême cordialité et m’a engagé à lui faire visite chaque fois que je viendrai en Italie. J’ai pris congé de lui avec émotion. Malgré ses erreurs évidentes, il est impossible de ne pas subir le charme de cet homme extraordinaire.
P.S. – J’ai vivement recommandé mon successeur7 au Chef du Gouvernement qui m’a assuré qu’il lui réservait le meilleur accueil.
- 1
- Rapport politique: E 2300 Rom, Archiv-Nr. 36.↩
- 2
- Cf. no 199.↩
- 3
- Le projet d’embargo sur le pétrole va faire l’objet des discussions du Comité des Dix-huit; le 22 janvier, ce comité décide de constituer un Comité d’experts chargé d’étudier les questions relatives au pétrole, qui doit se réunir à partir du 3 février (JO. SDN, 1936, Supplément spécial no 148, pp. 7 ss. et 41 ss.).↩
- 4
- Le 30 décembre 1935, en Somalie, près de lafontière éthiopienne, un hôpital ambulant équipé parla Croix-Rouge suédoise a été bombardé par l’aviation italienne; il y a eu plusieurs dizaines de victimes, dont un mort et un blessé parmi le personnel médical suédois, ce qui a amené le gouvernement suédois à protester énergiquement auprès de Rome.↩
- 6
- Cf. effectivement le titre du livre de souvenirs publié par G. Wagnièreà Genève, en 1944: Dixhuit ans à Rome. Guerre mondiale et fascisme 1918–1936.↩
- 7
- P. Ruegger. Cf. no 194, n. 4.↩
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Guerre italo-éthiopienne (1935–1936)
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