Classement thématique série 1848–1945:
II. RELATIONS BILATÉRALES
22. Roumanie
22.1. Relations commerciales et financières
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 11, doc. 123
volume linkBern 1989
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2001C#1000/1533#320* | |
Old classification | CH-BAR E 2001(C)1000/1533 16 | |
Dossier title | Vorläufiges Handelsabkommen mit Rumänien 1930 (1929–1935) | |
File reference archive | B.14.2.1 • Additional component: Rumänien |
dodis.ch/46044
Le Ministre de Suisse à Bucarest, R. de Weck, au Directeur de la Division du Commerce du Département de l’Economie publique, W. Stucki1
A maintes reprises déjà, je vous ai exposé les difficultés croissantes que je rencontre dans tout ce que j’entreprends pour défendre en Roumanie nos intérêts économiques.
La situation est aujourd’hui, pour moi du moins, plus difficile que jamais.
Comme j’ai des raisons de soupçonner que mes lettres, quand je les confie à la poste, peuvent être lues par d’autres personnes que leurs destinataires, je mets à profit, pour vous dire toute ma pensée, l’occasion offerte par un messager sûr dont j’ai pu m’assurer les services.
M. Manolesco-Strunga – vous le savez par mon rapport du 16 de ce mois2 – m’avait fait dire par le Directeur des Services économiques au Ministère des Affaires Etrangères que, désormais, les demandes de permis d’importation pour des marchandises suisses seraient examinées comme celles qui se rapportent à des produits d’autres provenances. Or, les plaintes quotidiennes des importateurs et les réponses faites à leurs requêtes par les commissions compétentes me donnent la certitude que rien n’est changé: les consignes sont restées les mêmes et l’on continue à traiter notre pays en adversaire.
De toutes parts, on me demande ce que je fais pour remédier à cet état de choses. Si les commerçants qui en souffrent m’accusaient de négligence ou de faiblesse, je n’en serais nullement surpris. Au Ministère du Commerce on est allé jusqu’à dire à certains importateurs que la Légation reconnaissait le bien-fondé de la politique commerciale pratiquée à l’égard de la Suisse. En cherchant à remonter à la source de cette mauvaise plaisanterie, j’ai découvert que l’on interprétait comme un acquiescement au refus de laisser entrer nos marchandises en Roumanie un passage d’une lettre que j’avais adressée à M. Manolesco-Strunga et dans laquelle, m’inspirant de votre dépêche du 8 avril3..., je m’exprimais ainsi: «... mon Gouvernement s’efforcera de prendre toutes mesures utiles pour mettre un frein à l’exportation anormale qui s’est révélée ces derniers temps». Vous connaissez par mon rapport du 17 avril4 la réponse du ministre à cette communication d’allure tout à fait officieuse et personnelle. Sans doute, vous paraîtra-t-il aussi effarant qu’à moi-même de constater qu’un tel échange de lettres a pu être détourné à ce point de son véritable sens. S’appuyer sur des textes comme ceux-là pour prétendre que j’ai donné mon assentiment à l’arrêt total des importations suisses en Roumanie, c’est un vrai chef-d’œuvre d’exégèse byzantine!
Tandis que je me défends de mon mieux contre des adversaires dont vous voyez par l’exemple ci-dessus combien ils sont scrupuleux sur le choix des armes, nos compatriotes et les importateurs de nos produits me questionnent avec insistance sur les intentions du Gouvernement Fédéral et s’étonnent que je n’arrive pas à faire triompher leurs revendications. Là, je dois avouer que votre silence me plonge dans un cruel embarras. Dans mes conversations avec le ministre de l’Industrie et du Commerce, j’ai dit tout ce que je pouvais dire sans parvenir à le faire dévier de sa ligne de conduite. J’ai le sentiment qu’il est parfaitement inutile de renouveler sans cesse des demandes vouées à un insuccès total tant que je ne serai pas en mesure de réfuter toutes les objections de mon interlocuteur, de répondre aux questions qu’il vous a posées (soit directement soit par mon entremise) et, enfin, d’apporter dans le débat des arguments nouveaux. Jamais autant que dans cette lutte je n’ai éprouvé le besoin de me sentir encouragé et appuyé par le gouvernement de mon pays. Pour l’instant, je suis comme un soldat obligé de se battre sans munitions.
Devant l’impossibilité où je me trouve d’obtenir une amélioration dans l’ensemble de nos rapports économiques avec la Roumanie, je me suis résigné, depuis quelques semaines, à ne plus entreprendre que des actions de détail, c’est-à-dire à recommander certaines demandes d’importation qui, en raison de circonstances particulières, me semblaient mériter une attention spéciale ou présenter de sérieuses chances de succès.
Cette méthode, hélas! ne m’a pas mieux réussi. A toutes mes interventions, les fonctionnaires intéressés répondant par le silence ou par de vagues promesses d’arranger les choses... «le plus tôt possible» ou «dès qu’une occasion favorable se présentera».
Hier, j’ai voulu tenter, auprès de M. Manolesco-Strunga, une démarche en faveur de la maison Sulzer Frères. J’ai abouti, je l’avoue sans honte, à un échec total, dont vous me permettrez, car cela en vaut la peine, de vous exposer le détail.
La maison Sulzer de Bucarest avait commandé à Winterthur, il y a plus d’un an, des appareils à rafraîchir l’air, destinés au siège central de la Société pétrolière «Astra Romana», dont elle avait déjà exécuté en 1922/1923 les installations de chauffage. Le permis d’importation, demandé par 1’«Astra», fut refusé, bien que le directeur se fût adressé personnellement au ministre... pour s’entendre dire que, s’il passait la commande en Allemagne, la chose pourrait s’arranger.
C’est alors que la maison Sulzer de Bucarest me demanda d’intervenir. Il s’agissait d’une somme assez importante. On pouvait faire valoir que les appareils en question n’étaient qu’un complément de l’installation primitive de 1923 et qu’ils avaient été spécialement fabriqués par les usines de Winterthur, seules capables de les construire (l’outillage des autres établissements Sulzer ne se prêtant pas à des travaux de ce genre). D’autre part, je savais que les sociétés pétrolières bénéficient, pour les besoins de leur exploitation, de facilités spéciales. Enfin, j’avais de bonnes raisons de croire que M. Otto Stern, directeur de 1’«Astra», était «persona grata», auprès du ministre, à qui il avait avancé une bonne partie de l’argent avec lequel ce dernier a pu effectuer le premier versement de l’accord conclu avec l’Angleterre pour le paiement des arriérés. Tout cela permettait d’espérer un accueil favorable.
Hier donc, accompagné de notre compatriote, M. A. H., un des directeurs de la maison Sulzer de Bucarest, je me rendis chez M. Manolesco-Strunga, qui nous reçut avec une froideur évidente. A peine mon compagnon avait-il ouvert la bouche que le ministre s’écria: «Je connais cette affaire, j’ai répondu non et il ne peut pas être question de revenir là- dessus». Comme je lui faisais observer qu’il ne pouvait pas nous opposer, sans nous avoir entendu, un refus aussi abrupt, il répondit sur un ton courroucé: «Je suis ici chez moi, je n’ai pas d’ordres à recevoir, nous sommes un pays indépendant, etc». Je m’efforçai de le calmer et j’y parvins peu à peu, mais sans obtenir qu’il modifiât sa décision. «Quand on n’a pas, dit-il, de quoi se payer un vêtement neuf (le sien semblait sortir de chez le tailleur), on porte ses vieux habits. Je ne vois pas pourquoi M. Stern rafraîchirait l’air de ses employés, les miens se passent de ce luxe. Dans la situation actuelle, je ne peux pas autoriser des fantaisies de ce genre. Nous pourrons en reparler au mois d’août, si, d’ici là, notre balance s’est améliorée et si nous sommes en mesure de payer».
Nous ne pûmes pas en tirer autre chose. J’essayai alors de ramener l’entretien sur les questions d’ordre général, en m’élevant avec énergie contre l’arrêt complet des importations suisses.
Le ministre me fit voir alors la statistique roumaine pour le premier trimestre de 1935: d’après ce document, nos ventes sur le marché roumain se seraient élevées au triple de nos achats. Comme j’objectais les conditions posées, pour le calcul du trafic des marchandises, par l’article II du protocole additionnel du 17 mai 19345, il répliqua: «C’est la méthode admise pour l’application du clearing, mais, quand il s’agit de permis d’importation, je fais mon classement sur la base de nos statistiques, base que j’adopte pour tous les pays sans distinction». Je me rendis compte qu’il ne servirait à rien de prolonger la discussion: cela n’eût fait qu’envenimer notre querelle. Pour me convaincre que j’avais tort de me plaindre, M. Manolesco-Strunga me montra encore un télégramme de son attaché commercial à Berlin annonçant que les importations roumaines en Allemagne pour les trois premiers mois de 1935 représentaient le double des exportations allemandes en Roumanie. Puis, comparant ces chiffres avec ceux du trimestre correspondant de 1934, il aj outa: « Vous voyez: j’ ai réussi à doubler nos ventes en Allemagne tout en réduisant de beaucoup nos achats de produits allemands. Et pourtant, à Berlin, on est content de moi. Et vous qui nous vendez trois fois plus que vous ne nous achetez, vous osez encore vous plaindre».
Vous voyez par tous ces exemples que nous sommes arrivés à une situation intolérable. M. Titulesco, dont l’influence pourrait, je crois, s’exercer dans un sens conciliant, n’est pas à Bucarest. Ne sachant plus à quel saint me vouer, je ne puis que m’adresser à vous: c’est à Berne que les décisions nécessaires doivent être prises d’urgence.
Je vois deux remèdes dont il faudrait faire l’essai:
1° augmenter nos achats en Roumanie;
2° contingenter, en Suisse même, les exportations destinées au royaume danubien, c’est-à-dire distribuer à chacun sa part et l’obliger à s’en contenter, travail évidemment fort délicat et dont les résultats ne pourraient être connus qu’après plusieurs mois de pratique.
Pour le premier remède, il conviendrait de ne l’appliquer qu’avec prudence. On pourrait essayer, par exemple, de subordonner la conclusion d’un marché de céréales ou de pétrole à l’octroi de permis d’importation de produits suisses pour une valeur égale au 60% du prix de la marchandise achetée par nous en Rouma
D’autre part, il importerait de répondre aux propositions roumaines tendant à modifier l’accord de clearing.
Il faudrait aussi envisager l’emploi des grands moyens: faire le calcul de ce que le marché roumain représente pour nous et le marché suisse pour la Roumanie et dire à nos interlocuteurs: «Si vous continuez à nous fermer votre porte, nous en ferons autant, car nous pouvons nous passer de vous. Il en résultera pour vous une perte sèche de...».
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