Classement thématique série 1848–1945:
I. SOCIÉTÉ DES NATIONS
2. La Suisse et l’admission de l’Union soviétique à la SdN
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 11, doc. 67
volume linkBern 1989
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
Archival classification | CH-BAR#E2001C#1000/1535#1022* | |
Dossier title | Russie (1934–1934) | |
File reference archive | B.56.15 |
dodis.ch/45988
En date du 17 de ce mois, vous avez bien voulu me faire adresser par la Division Fédérale des Affaires Etrangères quelques renseignements complémentaires sur l’attitude de la délégation suisse touchant l’entrée de la Russie Soviétique dans la Société des Nations2, ainsi que le texte intégral du beau discours que vous avez prononcé à cette occasion devant la sixième commission3.
J’ai lu ce magnifique exposé non seulement avec un vif intérêt, mais avec une sincère admiration. Aujourd’hui que, selon votre expression, «les dés sont jetés», il me plaît de constater que la position prise par notre pays a reçu de l’opinion et de la presse internationales, même dans les pays que les nécessités de leur politique inclinaient à soutenir la candidature de l’U.R.S.S., un accueil compréhensif et souvent même nettement approbateur. Plusieurs grands journaux français, par exemple, n’ont pas hésité à écrire que, dans votre «duel oratoire» avec M. Barthou4, c’est vous qui aviez joué le beau rôle et remporté, moralement, la victoire. Dans la presse roumaine, à part les commentaires absurdes de 1’«Indépendance Roumaine», que je vous ai communiqués par mon rapport du 12 courant5, je n’ai relevé aucune réflexion désobligeante. D’autre part, certaines personnalités tant roumaines qu’étrangères ne m’ont point caché leur satisfaction de vous avoir entendu opposer à la voix de l’opportunisme politique celle des principes moraux sur lesquels repose toute civilisation.
D’un point de vue plus terre à terre, celui de nos intérêts matériels, de notre situation internationale et de notre tranquillité intérieure, tout s’est passé, jusqu’ici, aussi bien que possible: mieux, je l’avoue, que je n’étais porté à le prévoir. Mais ce n’est pas une raison pour ne pas regarder plus loin que les résultats immédiats, pour ne pas envisager les suites de notre décision et les mesures à prendre afin de prévenir les dommages qui pourraient résulter d’une politique au jour le jour.
A ce propos, vous me permettrez de relever, dans la lettre de la Division des Affaires Etrangères du 17 de ce mois, un passage qui ne laisse pas de m’inquiéter. Le voici: «Cette décision ayant été irrévocablement prise, il n’y a pas lieu pour nous de nous arrêter aux conséquences possibles de notre geste.» Pour ma part, je me refuse à croire que ces «conséquences possibles» n’aient pas été soigneusement pesées très longtemps à l’avance et que l’on puisse, aujourd’hui encore, refuser de les étudier. Car cette étude demeure indispensable si l’on veut, d’une situation initiale désormais acquise, développer les avantages et réduire les inconvénients.
C’est ce qui m’engage à vous soumettre, en toute franchise, quelques réflexions, non, certes, pour récriminer contre ce qui a été fait, mais dans un esprit de collaboration aussi loyal que modeste et dans l’espoir que je pourrai contribuer ainsi à dégager, d’une part, les enseignements d’une récente expérience et à élaborer, de l’autre, les réalisations de l’avenir.
Si passionnant que soit pour l’esprit le libre jeu de ses facultés critiques, je m’efforcerai de n’en point abuser et je ne reviendrai sur le passé que dans la mesure où ce retour pourra être utile à la préparation de notre action future.
I.
Devant le fait accompli, toute discussion rétrospective des arguments pour et contre serait actuellement vaine.
On peut cependant rappeler que la diplomatie fédérale avait paru tout d’abord pencher pour l’abstention. Il lui était même loisible d’examiner l’hypothèse d’un vote affirmatif, mais conditionnel, qui eût nécessité des négociations préalables tant avec la S.D.N. qu’avec l’U.R.S.S., et qui, semble-t-il, aurait pu nous permettre de réaliser, comme prix de notre bienveillance, certains avantages positifs (dans la question des dommages de guerre, par exemple)6.
Si le Conseil Fédéral est allé jusqu’à dire non, c’est parce que l’opinion de nos partis bourgeois, dans toutes les régions de la Suisse, s’était prononcée avec un tel ensemble que le gouvernement n’a pas cru pouvoir rester en deçà de vues nettement exprimées par une majorité résolue.
La lecture de votre discours, Monsieur le Conseiller Fédéral, incite tous les gens de cœur à vous donner raison. Leur sera-t-il permis, néanmoins, de regretter que l’attitude dont vous fûtes l’interprète éloquent ait paru être imposée en dernière heure au gouvernement de la Confédération par une campagne de presse et par des «ordres du jour» émanant de groupements irresponsables?
Notre Constitution n’a pas poussé le culte de la démocratie jusqu’à réclamer du pouvoir exécutif, en matière de politique internationale, une absolue soumission à la volonté populaire. Elle veut, au contraire, que le Conseil Fédéral «veille» aux intérêts du pays, à la «sûreté extérieure» de la Suisse. Il est «chargé» des «relations avec l’étranger»7. C’est assez dire que la charte fondamentale de notre Etat exige, dans ce domaine du moins, une vigilance gouvernementale active, attentive, prévoyante et libre de ses mouvements. On eût donc souhaité, en l’occurence, que les dirigeants, quelle que dût être leur décision, la prissent en toute liberté. Or, on en est réduit à se demander si le Conseil Fédéral n’a pas ajourné jusqu’à la veille de l’assemblée de Genève l’étude des problèmes qu’il avait à résoudre ou si la solution définitivement adoptée n’est pas sensiblement différente de celle qu’ il eût choisie s’il avait conservé jusqu’au bout la faculté d’agir à sa guise. Admettre la première de ces deux suppositions, ce serait accuser le gouvernement de négligence ou de légèreté, ce à quoi je ne saurais consentir. Reste donc la seconde: le sentiment populaire obligeant les chefs responsables à aller plus loin dans l’opposition qu’ils ne l’eussent probablement souhaité. Les raisons de cette évolution, votre discours les indique: «Notre opinion publique est toujours libre; elle est en même temps spontanée. La liberté de notre presse est entière. Le Conseil Fédéral ignore l’institution de la presse officieuse. Pas de pressions, pas même de directives qui partent d’en haut. Nous possédons en même temps de très nombreuses associations patriotiques de tout ordre où l’esprit civique est cultivé et maintenu en éveil».
Tout cela est rigoureusement exact. Mais l’état de choses dont vous avez brossé le tableau ne pourrait-il pas être amélioré dans un sens plus propice au libre arbitre de ceux qui doivent, d’après l’esprit même de la Constitution, diriger notre politique étrangère?
Encore une fois, je ne prétends ni que l’opinion populaire se soit trompée ni que le gouvernement n’ait pas eu raison, sinon de s’en inspirer, du moins d’en tenir compte. Cependant, le gouvernement devrait posséder les moyens d’éclairer, d’aiguiller l’opinion. La liberté de la presse est une fort belle chose. Elle a subi, pourtant, plus d’une atteinte, même après l’abolition de la censure du temps de la guerre. Tout récemment encore, n’avons-nous pas adopté certaines dispositions tendant à réprimer les outrages commis par la voie des journaux à l’égard de chefs d’Etat étrangers?8 Ces mesures répressives ne sont peut-être pas inutiles, mais je leur préférerais des mesures préventives et je souhaiterais que l’on se préoccupât des intérêts généraux du pays au moins autant que du prestige des souverains ou des dictateurs qui régnent au-delà de nos frontières. Aux réclamations, aux protestations de l’étranger, on peut toujours opposer le principe de la presse libre. Mais il ne faudrait pas que ce principe devînt gênant pour ceux qui nous gouvernent en les empêchant de faire ce qu’ils estiment devoir faire ou en les obligeant à des actes qui ne soient pas l’exacte traduction de leur pensée. Sans recourir à la «pression», il serait facile d’exercer par les journaux une influence décisive sur l’opinion publique. Le service de presse du Département Politique ne devrait pas se contenter de faire concurrence à 1’«Argus» en maniant le pot à colle et les ciseaux. Chaque fois que se pose un problème extérieur important, il devrait être informé des vues adoptées par le Conseil Fédéral et en informer à son tour, avec une adresse persuasive, les journalistes les plus écoutés du public9. Un contact permanent, une collaboration cordiale et confiante entre le gouvernement et les grands journaux seraient fort souhaitables: l’activité de la diplomatie fédérale en serait facilitée et le prestige de notre presse ne manquerait pas d’en être accru, à l’étranger comme en Suisse.
Loin de moi la pensée de blâmer 1’«esprit civique, cultivé et maintenu en éveil par nos associations patriotiques». Quelques-unes d’entre elles, cependant, interviennent dans certains débats dont la nature même semble échapper à leur compétence. Ne serait-il pas possible de les inviter, voire de les contraindre à plus de discrétion? L’armée, par exemple, est, par définition, un outil au service de la nation et aux ordres du gouvernement. La politique n’est pas son fait. Le commandement militaire a parfaitement raison de s’opposer avec énergie à l’immixtion des politiciens dans le fonctionnement de son mécanisme interne. Mais le pouvoir civil n’est pas moins fondé à exiger, non pas de nos miliciens, de nos citoyens-soldats, mais des cadres supérieurs de l’armée, l’abstention de toute agitation publique, surtout dans le domaine de la politique étrangère. Une fois que la machine militaire est mise en marche, seuls les techniciens qui la commandent sont responsables de son travail; seuls, par conséquent, ils ont le droit de porter la main sur les leviers. Mais, en bonne logique, le gouvernement seul peut décider du moment où l’outil entrera en action et, s’il y a lieu, assigner à cette action son objectif politique. Pas d’ingérence de la politique dans l’armée; pas d’ingérence non plus de l’armée dans la politique10. Pour faire triompher le bon sens en cette matière, la revision de la Constitution, dont le principe est acquis, ouvre des voies nouvelles qu’il ne faudrait pas négliger (abolir, par exemple, la disposition étrange qui confie au Parlement la tâche d’«élire» un général).
II.
Permettez-moi maintenant, Monsieur le Conseiller Fédéral, de revenir à la situation créée par le vote de la délégation suisse et à ses développements possibles.
Quels contre-coups pouvait-on craindre de notre attitude négative?
1o Que la Suisse demeurât seule dans son opposition irréductible et que son influence internationale en fût diminuée. – Ce péril est aujourd’hui écarté, puisque, sans parler des abstentionnistes, relativement nombreux, le Portugal et les Pays-Bas ont uni leurs voix à la nôtre. En outre, grâce à votre éloquence, les motifs très nobles de notre «non possumus» ont été compris de tous les esprits de bonne foi, de sorte que notre pays, loin d’avoir baissé dans l’estime des autres, leur a fourni, au contraire, des raisons nouvelles de le respecter.
2o Il était permis de se demander, d’autre part, si notre décision ne serait pas interprétée, au moins dans certains milieux, comme un encouragement donné à la politique allemande11 et, ce qui serait plus grave, si elle ne pourrait pas avoir pour conséquence de nous entraîner, bon gré mal gré, dans l’orbite de l’Allemagne hitlérienne. – Plusieurs journaux étrangers ont bien essayé de faire croire à leurs lecteurs que, sous Finfluence d’un prétendu nazisme helvétique et d’un état-major «demeuré farouchement germanophile», le Conseil Fédéral avait repoussé les Soviets pour être agréable au «Führer». Ils l’ont fait avec tant de maladresse et de mauvaise foi que leurs commentaires pourraient être considérés comme dénués de toute importance si ceux qui les ont lus étaient tous des gens intelligents, raisonnables et capables d’opposer à de malveillantes insinuations des renseignements provenant de meilleures sources. Malheureusement, le discernement, le sang-froid et le désir d’aller au fond des choses sont aujourd’hui assez rares. Il serait donc très désirable que le Département Politique, en Suisse par son service de presse, à l’étranger par ses Légations, puisse contrebattre, dans les journaux et dans l’opinion, les informations erronées et les insinuations perfides12. Il faudrait veiller aussi à empêcher certaines puissances étrangères d’exploiter à leur profit le geste de la Suisse en faisant passer pour une adhésion à leur politique les réactions spontanées et autonomes de notre conscience nationale. Mais il importe surtout, à mon sens13, de faire en sorte que le mouvement qui a dressé contre la candidature soviétique la majorité de notre peuple ne dégénère pas en une campagne hostile à la S.D.N. La force d’un tel courant ne manquerait pas de nous rejeter dans le silläge des Etats qui ont déjà faussé compagnie à la Ligue de Genève14. Je me borne pour l’instant à mentionner ce risque, me réservant d’examiner plus loin les périls qu’un combat d’idées et de sentiments sur le principe même de l’institution ainsi que sur la position de la Suisse à son égard pourrait faire courir à notre tranquillité intérieure.
3o De divers côtés, on a semblé craindre que, si la Suisse, par son opposition à l’entrée de l’U.R.S.S., contrariait trop fortement l’action des «puissances invitantes», celles-ci ne se vengent en transférant dans un autre pays le siège de la S.D.N., ce qui nous causerait un préjudice moral et matériel assurément considérable. – Ce danger semble momentanément écarté, mais il pourrait renaître. Certes, les membres les plus influents de la Ligue y regarderaient à deux fois, surtout à une époque d’impécuniosité quasi-universelle, avant de sacrifier tout le capital investi dans les installations de Genève et d’engager ailleurs de nouvelles dépenses. Il ne faudrait pas, néanmoins, les pousser à bout en leur donnant à penser que, pour nous, une S.D.N. contaminée par la présence de Moscou ne présente plus aucun intérêt. Là encore, le Conseil Fédéral doit s’efforcer de ne donner prise à aucune interprétation malveillante de ses actes et prévenir dans toute la mesure du possible les écarts de langage de la presse. Car si nous faisons mine de nous retirer ou seulement de chercher un prétexte à rupture avec la S.D.N., il serait logique et naturel que cette dernière nous prît au mot.
4o La suite la plus grave que pourrait engendrer notre non, je la vois dans l’ouverture d’une crise intérieure qui, en mettant aux prises adversaires et partisans des Soviets de la S.D.N., affaiblirait, diviserait, déchirerait le pays. – Là est le péril redoutable qu’il faut à tout prix conjurer. La lecture de nos journaux permet heureusement de présumer que le gouvernement s’y emploie: il ne saurait le faire avec trop d’énergie, de persévérance et d’adresse. Les déclarations que vous avez faites à la presse suisse après le grand débat de la VIe commission, paraissent avoir été fort bien accueillies et l’on peut espérer que le bon grain germera. Mais il faut empêcher l’ivraie de pousser. Le moyen le plus sûr serait, s’il en est encore temps, de faire avorter dans l’œuf l’initiative qui se prépare, dit-on, dans certains milieux15 pour obtenir que soit soumise au peuple la question de savoir si la Suisse doit se retirer de l’institution de Genève. Sur les chances de succès de cette manœuvre, sur le degré de préparation de ceux qui la dirigent, sur le crédit dont ils disposent sur l’opinion publique, je ne dispose d’aucun renseignement positif. Dans ces conditions, il peut sembler présomptueux de ma part d’en parler. Je n’hésite néanmoins pas à le faire, car, en face d’un problème aussi capital, des considérations exemptes de tout esprit de parti et dictées par le seul souci de l’intérêt national conservent, j’ose le croire, leur valeur.
La majorité des Etats membres de la Ligue s’étant prononcée contre nous, ceux qui, chez nous, ont combattu avec passion la candidature soviétique sont fondés à dire: «On n’a pas voulu nous écouter. On prétend nous obliger à recevoir sur notre sol, à y conserver à demeure une délégation soviétique qui sera un levain de désordre et de révolution. Nous n’en voulons pas. Plutôt que de subir la loi du plus fort, abandonnons à son destin une association d’Etats qui renie les principes sur lesquels elle s’était construite et l’idéal auquel nous avions adhéré. Ne nous attachons pas aux avantages matériels que pouvait nous valoir le fait de posséder à Genève le siège de la S.D.N. Qu’elle s’en aille! Telle que l’ont faite les politiciens, nous ne la regretterons pas.»
Nulle part aujourd’hui, la Ligue n’est populaire, il serait vain de le dissimuler. Dans certains pays, où l’opinion ne s’y est jamais intéressée, on la supporte en l’ignorant. Dans d’autres, si les gouvernants commettaient l’imprudence de la faire plébisciter, elle risquerait fort de subir une cuisante défaite.
La Suisse, vous l’avez justement relevé, «est le seul Etat qui soit entré dans la Société des Nations par la voie du plébiscite»16. Vous avez rappelé aussi que la lutte fut sévère et que, pour remporter la victoire, le gouvernement fédéral dut apporter dans la controverse «tout le poids de son autorité». De telles expériences, n’est-il pas téméraire d’assurer qu’on puisse les réussir deux fois?
En 1920, le débat portait sur une institution qui venait de naître: ses adversaires ne pouvaient la dénigrer et ses partisans la louer que sur l’idée qu’ils se faisaient de son avenir. Aujourd’hui, elle aurait à souffrir du fait que ses échecs, au cours de ces dernières années, furent éclatants. Le peuple a la mémoire trop courte pour conserver le souvenir de ses bienfaits. Les services qu’elle a rendus sont incontestables, mais ils ne parlent guère à l’imagination des foules. Seuls, les techniciens de la vie internationale sont en mesure de les dénombrer et de les apprécier; encore leur serait-il assez malaisé de se faire comprendre du grand public et de l’amener à partager leur conviction.
Je ne me hasarderai pas à prédire l’issue d’un «referendum», mais j’ai le sentiment que la majorité, pour ou contre la S.D.N., serait assez faible17. Ce qui me paraît redoutable, c’est qu’une campagne plébiscitaire pourrait se dérouler non pas seulement sur le thème de la S.D.N., mais encore et surtout sur celui des Soviets. Si l’on réussissait à persuader les honnêtes gens que voter pour la Ligue, c’est amnistier l’U.R.S.S., les adversaires de la première auraient partie gagnée. Beaucoup de bons citoyens inclineraient à écouter ce langage: ceux qui le tiennent ne manqueraient pas, en effet, de leur montrer la S.D.N défendue aujourd’hui par nos socialistes et nos communistes dont naguère encore elle excitait les sarcasmes. Quel que soit le résultat final, le parti socialiste y trouverait l’occasion de se proclamer vainqueur. Si le sort se prononçait pour la Ligue, il se flatterait de l’avoir sauvée, alors même qu’il n’aurait pas été seul à se déclarer pour elle. Si elle était vaincue, les socialistes prétendraient que l’imposante minorité qui aurait lutté pour elle se composait d’eux seuls et de leurs amis.
Il ne faut pas oublier que la campagne antisoviétique de ces derniers mois est partie de Genève, que l’existence dans ce canton d’un gouvernement socialiste a contribué à rendre la polémique plus violente qu’elle ne l’eût été si M. Nicole18 n’existait pas, que tout le débat s’est trouvé faussé dans une large mesure par ce point de départ19. Ne pourrait-on pas démontrer aux partis bourgeois qu’ils feraient le jeu des socialistes en leur abandonnant l’honneur de défendre la S.D.N.?
S’il s’avérait impossible de contester la constitutionnalité d’une demande d’initiative fondée sur l’art. 121 de la Constitution Fédérale20, ou s’il était déjà trop tard soit pour tenter d’amener les auteurs de cette demande à y renoncer soit pour agir en sorte qu’elle ne recueille pas le nombre de suffrages nécessaire, il va sans dire que le Conseil Fédéral devrait une fois de plus jeter dans la balance «tout le poids de son autorité». Il est même infiniment probable que, pour l’emporter, ce poids devrait être beaucoup plus lourd qu’en 1920. Mieux vaudrait cependant prévenir que guérir. C’est pourquoi tous les moyens disponibles me paraissent devoir être mis en œuvre pour épargner à notre pays une ère d’agitation politique, dont il est malaisé de prévoir comment elle finirait et par quelles surprises désagréables elle pourrait nous faire passer.
Il importera aussi de rassurer ceux qui redoutent les effets de l’admission des Soviets à Genève tout en désirant que la Suisse reste dans la S.D.N. et qu’elle en conserve le siège. A cette fin, on ne peut que souhaiter de voir aboutir promptement le projet, dont le Conseil Fédéral est déjà saisi, d’une police fédérale outillée de manière à déjouer tous les complots qui se trameraient contre la sûreté de la Confédération21.
Telles sont, Monsieur le Conseiller Fédéral, les réflexions que ma conscience m’incite à vous soumettre. Vous me trouverez peut-être téméraire, à la distance où je suis de Berne et de Genève, de vous donner mon avis sur des questions que vous connaissez mieux que moi. Vous êtes placé, en effet, au centre même de tout le mouvement dont il est ici question et vous pouvez en suivre, au jour le jour, tous les développements. Je me trouve, au contraire, à l’extrême périphérie, sans autre documentation que quelques textes. Mais sans doute estimez-vous que vos agents de l’étranger ne doivent pas être seulement des facteurs ou des commissionnaires et que leurs propos d’exilés peuvent présenter quelque intérêt, en raison même du fait qu’ils sont conçus dans la solitude d’un cabinet de travail, loin de l’ambiance fiévreuse dans laquelle vous avez vécu ces dernières semaines22.
- 1
- Lettre: E 2001 (C) 5/107.↩
- 2
- Non reproduit.↩
- 3
- Cf. no 62, n. 10.↩
- 4
- Ministre français des Affaires étrangères.↩
- 5
- Non reproduit. En réponse à ces commentaires, et sur l’incitation d’un des directeurs politiques de /TJniversul, le Ministre de Week fait paraître quelques jours plus tard dans ce journal une Lettre de Genève sur la Suisse et les Soviets.Motta juge cet article, anonyme bien sûr, à tous les points de vue excellent (lettre de de Week, 5 octobre, E 2001 (C) 5/107)).↩
- 7
- Constitution fédérale, art. 102, ch. 8 et 9.↩
- 8
- Arrêté du Conseil fédéral du 26 mars 1934 (FF, 1934, I, p. 867). Cf. no 23.↩
- 11
- Cf. lettre du Ministre de Suisse à Berlin au Chef du Département politique, 19 septembre (E 2001 (C) 5/107).↩
- 15
- Notamment le Volksbund für die Unabhängigkeit der Schweiz.↩
- 16
- DDS, vol. 7–II, rubrique I: La Suisse et la Société des Nations.↩
- 18
- Leader du Parti socialiste genevois et Président du Conseil d’Etat à majorité socialiste élu en novembre 1933.↩
- 20
- Cet article traite de la révision partielle de la Constitution fédérale par voie d’initiative populaire.↩
- 21
- Arrêté fédéral tendant à garantir la sûreté de la Confédération du 21 juin 1935 (RO, 1935, vol. 51, pp.495–497). Pour la création de la police fédérale, cf. aussi RG, 1935, pp. 160–161.↩
- 22
- Le Chef du Département politique répond à son interlocuteur, le 11 octobre suivant: Pour notre part, nous demeurons convaincus que le Conseil fédéral a adopté, dans cette grave affaire, l’attitude la plus conforme aux sentiments de notre peuple. Elle a eu un effet d’apaisement sur une opinion qui se cabrait à l’idée d’une collaboration soviétique dans le sein de la Société des Nations. Sans le «non» catégorique du Conseil fédéral, il est probable qu’un mouvement de sortie de la Société aurait été déclenché en Suisse. Pour le moment, tout danger de ce côté paraît écarté. Nous nous en félicitons pour plusieurs raisons, notamment pour celles que vous avez si bien exposées. Pour ce qui est d’une action gouvernementale sur notre presse, nous comprenons fort bien, nous partageons même en une certaine mesure les idées qu’il vous a plu de nous soumettre. Elles seraient toutefois difficilement réalisables. Nous ne possédons pas, en effet, au Département politique de service de presse proprement dit et, à supposer qu’il existât, ce service se heurterait chez nous, dans l’exercice de sa mission, à des difficultés pratiques sur lesquelles nous ne croyons pas devoir insister. Nous avons lu également avec beaucoup d’attention la communication que vous avez faite à l’«Universul» [cf. n. 5 ci-dessus]. Cette mise au point est si excellemment conçue qu’elle aura dissipé sans doute bien des malentendus dans les milieux politiques roumains. Nous nous plaisons toutefois à penser que le secret de cette collaboration tout exceptionnelle sera bien gardé, car on ne vous pardonnerait guère, dans certains groupements politiques, d’avoir ainsi appelé – pour reprendre vos propres termes – votre ancien métier de journaliste au secours de votre mission diplomatique.↩
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Admission of the Soviet Union to the League of Nations (1934)
Russia (General) League of Nations