Imprimé dans
Documents Diplomatiques Suisses, vol. 10, doc. 377
volume linkBern 1982
Plus… |▼▶Emplacement
Archives | Archives fédérales suisses, Berne | |
▼ ▶ Cote d'archives | CH-BAR#E2001C#1000/1534#3103* | |
Ancienne cote | CH-BAR E 2001(C)1000/1534 181 | |
Titre du dossier | Britische Anleihe und Goldklausel (1933–1936) | |
Référence archives | C.43.340 • Composant complémentaire: Grossbritannien |
dodis.ch/45919
Une des conséquences, néfaste entre toutes, de la crise économique réside certainement dans la baisse visible de la moralité en affaires et dans son corollaire, le mépris des engagements contractés. Le débiteur, qu’il s’agisse de l’Etat, d’une corporation publique ou d’une simple société, abuse avec désinvolture des événements pour dicter sa loi, oublieux qu’un contrat ne se modifie que par décision synallagmatique, précédée d’un examen contradictoire des faits qui la motivent. Cette politique d’abus paraît avoir trouvé un terrain de prédilection dans la clause-or, stipulation que les successives catastrophes monétaires de l’après-guerre ont rendue fréquente en matière de contrats internationaux.
Il serait oiseux de faire l’énumération des Etats débiteurs, pour ne citer qu’eux, qui ont failli à un engagement formel d’effectuer certaines prestations sur la base d’une monnaie or. Les Etats respectueux de leur signature sont l’exception et seules, en définitive, la France, la Suisse et la Hollande (encore faut-il excepter la ville de Rotterdam, la Royal Dutch, etc.) remplissent intégralement leurs obligations. Le Gouvernement belge s’est arrêté à une solution intermédiaire, surtout conforme à ses intérêts. Le coup le plus grave porté à la clause-or est venu des Etats-Unis d’Amérique. Peu après avoir décrété l’embargo sur l’or, le Gouvernement américain a annulé d’autorité la clause-or dans tous les contrats publics et privés par l’Act du 29 mai 1933, dit «Joint resolution to assure Uniform value to the coins et currencies of the U-S.». Cette mesure, dictée par des considérations de politique intérieure, lésait des intérêts considérables, en toute première ligne aux Etats-Unis, où l’on évalue à 100 milliards de dollars le montant des engagements, tant internes qu’extérieurs, qui sont qualifiés par une clause-or.
La Suisse, dont les intérêts, il est vrai, sont essentiellement ceux d’un créancier, a été peut-être le premier pays à prendre position contre les atteintes portées de toute part à la validité de la clause-or. L’action du Comité de l’étalon or de l’Association suisse des Banquiers est trop connue pour qu’il soit besoin de la rappeler; c’est à lui, entre autres, qu’est due l’initiative de constituer un Comité international contre la répudiation de la clause-or2, qui groupe les représentants des porteurs belges, français, néerlandais et suisses. Le plan d’action commune du Comité international n’a pas donné de résultats très positifs jusqu’ici. L’Association suisse des Banquiers, fermement décidée à ne rien négliger pour amener le triomphe de la cause qu’elle défend, est d’avis que le moyen qui conduirait le plus sûrement à la reconnaissance de la clause-or, partout où elle est méconnue, serait de faire juger par la Cour permanente de Justice internationale le ou les points litigieux soulevés par la carence d’un Etat émetteur d’un emprunt public libellé en dollars-or. En d’autres termes, le dessein de l’Association est d’ouvrir un «test-case» devant la plus haute instance judiciaire internationale, dans l’espoir qu’une sentence favorable fixera définitivement la jurisprudence et la doctrine internationales relatives à la validité de cette clause.
Pour donner à ce procès le maximum d’effet, il faudrait que l’Etat, pris à partie par la Confédération suisse, fût une grande Puissance. Différentes raisons s’opposent à un arbitrage avec les Etats-Unis et déconseillent une action contre le Reich. Resterait donc la Grande-Bretagne3, qu’il faut ranger au nombre des Etats défaillants, comme nous le verrons plus loin. Tant l’Association que nous-mêmes estimons que c’est avec le Gouvernement britannique que nous aurions présentement le plus d’intérêt à signer un compromis, qui soumettrait à la Cour permanente la contestation née de l’inobservation de la clause-or.
Comme la contestation portera essentiellement sur un double point, validité de la clause-or et législation applicable, il coule de source que, pour mettre le plus de chances possibles du côté de la demande, le procès ne devrait être engagé qu’avec un Etat dont la législation et la jurisprudence ne condamnent pas la clause-or comme telle. De cette façon, le rôle de la Cour se limiterait à l’examen de la question, déjà fort complexe, du droit applicable. Or, jusqu’à maintenant, nous avions les plus sérieuses raisons de douter que la jurisprudence anglaise fût favorable à nos desseins en ce qui concerne son interprétation de la clause-or. [...]
La sentence rendue le 15 décembre par la Chambre des Lords4 a levé un grave facteur d’incertitude, tout en faisant même naître l’espoir que cette importante décision jouera son rôle dans la restauration de la notion du respect intégral des contrats.
Nous croyons donc, avec l’Association suisse des Banquiers, que le moment est arrivé d’examiner et de nous assurer si le Gouvernement britannique consentirait amiablement à faire juger par la Cour de Justice internationale la question de savoir si la manière dont il effectue le service de son emprunt de 1917 est bien conforme aux engagements qu’il a contractés. L’emprunt 5 1/2 % en dollars-or 1917/1937 émis par le Royaume-Uni contient une clause-or... [...]
Si, nous le répétons, l’opération de conversion, en raison de son caractère conventionnel, est inattaquable comme telle, il n’en va pas de même du service financier des titres non-convertis de l’emprunt 1917. Le prochain coupon échoit le 1er février 1934 et c’est à cette date que sera connu le sort que le Gouvernement britannique réserve à la clause-or dont est assortie sa dette. Il est permis de présumer que le paiement se fera sur la base du dollar-papier, comme ce fut le cas lors de l’échéance du 1er août 1933.
Comme nous l’avons dit, nous sommes prêts à contester, au nom des porteurs suisses, la régularité de ce paiement et à revendiquer l’application de la clause-or. Si le Gouvernement britannique oppose à notre réclamation l’argument qu’il se considère comme délié en raison de la nouvelle législation américaine déclarant contraire à l’ordre public toute clause établissant qu’une obligation est payable en or ou dans une monnaie mesurée sur un étalon or, nous lui déclarerons qu’il nous est impossible de nous rallier à cette opinion et nous l’inviterons, vu ce conflit de droit, à soumettre d’un commun accord le point ou les points litigieux au jugement de la Cour permanente. Nous représenterons en même temps au Gouvernement britannique que notre proposition n’est pas inspirée par un intérêt égoïste, - les montants en jeu étant d’ailleurs fort minimes en l’espèce, - mais par le désir de contribuer loyalement, avec lui, à la restauration de la confiance dans les rapports internationaux, en commençant par faire prévaloir les solutions de droit sur les décisions unilatérales arbitrairement imposées par une des parties.
Avant de donner une forme aussi décisive à notre démarche à Londres, nous voudrions poser aux Autorités anglaises une question préalable, qui pourrait être résumée comme suit: le Gouvernement britannique, en ce qui concerne le service de la tranche non-convertie de son emprunt 1917, entend-il modifier sa position ensuite du jugement prononcé le 15 décembre par la Chambre des Lords, sentence qui emporte pleine et entière reconnaissance de la clause-or en Angleterre? Il ne serait pas superflu qu’on laissât d’ores et déjà entendre à cette occasion qu’au cas où le Gouvernement britannique persisterait à considérer sa dette comme soumise au droit américain et, partant, comme convertie en dollars-papier, nous insisterons pour que le différend fût tranché par la Cour de Justice internationale. Si vous estimiez, cependant, que la question à poser au Gouvernement britannique se suffit à ellemême, sans qu’il fût utile ni même indiqué d’en dévoiler pour le moment le mobile et le but, nous ne verrions aucun inconvénient à ce que vous taisiez, dans cette première démarche, les raisons qui nous font agir.
En portant ce qui précède à votre connaissance, nous avons l’honneur de vous prier de bien vouloir donner à cette communication la suite que vous jugerez la plus indiquée. Nous devons ajouter que nous chargeons notre Ministre à la Haye de tenir au courant de notre action le Gouvernement hollandais, dans l’idée que celui-ci voudra peut-être entreprendre une démarche conjointe de caractère analogue.
- 1
- Lettre (Copie): E 2001 (C) 4/181. Paraphe: CI.↩
- 2
- Cf. no 340, n. 4.↩
- 3
- Cf. no 354.↩
- 4
- Cette sentence avait reconnu comme valable la clause-or contenue dans le libellé de l’emprunt émis en Grande-Bretagne par la Société Intercommunale Belge d'Electricité.↩
Tags
États-Unis d'Amérique (USA) (Economie)
Dévaluation du franc suisse en 1936 et abandon international de l'étalon-or