Classement thématique série 1848–1945:
II. RELATIONS BILATÉRALES
11. France
11.3. Questions de travail
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 10, doc. 370
volume linkBern 1982
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2001C#1000/1534#955* | |
Old classification | CH-BAR E 2001(C)1000/1534 55 | |
Dossier title | Reglement betr. Ein- und Auswanderung, I (1929–1933) | |
File reference archive | B.31.01.05 • Additional component: Frankreich |
dodis.ch/45912
Dans mes derniers rapports sur la situation des travailleurs suisses en France, notamment dans ceux des 3 et 20 novembre2, j’ai eu l’honneur de vous exposer mes inquiétudes au sujet de cette très grave question. En effet, nous ne saurions nous dissimuler que le Gouvernement français, sous la double pression du Parlement et de l’opinion publique, cherche par des mesures de plus en plus sévères, à restreindre l’activité économique des étrangers en France, aussi bien dans les professions indépendantes que dans les emplois salariés. Vous avez été tenu au courant de toutes ces mesures. Je me borne donc à vous rappeler les dispositions interdisant désormais aux étrangers l’exercice de la médecine3 en France, les différends relatifs aux baux commerciaux4, les restrictions mises à l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, enfin les dispositions5 de l’adjudication des travaux entrepris par des corporations publiques ou subventionnées.
A cela viennent s’ajouter des propositions parlementaires tendant à restreindre, pour les étrangers, l’exercice de la profession de commerçant ou d’architecte, ou invitant le Gouvernement à assurer l’équilibre du marché du travail national par la réduction du nombre des travailleurs étrangers, etc. Nous nous trouvons donc en présence d’un vaste plan concerté des pouvoirs publics pour écarter les étrangers et les empêcher de gagner leur vie en France.
Pour notre pays, la situation présente un caractère de gravité exceptionnel du fait que la France a été, jusqu’à ce jour, le pays européen d’émigration par excellence et que la colonie suisse y jouit d’une autorité et d’une réputation considérables. C’est donc non seulement du point de vue économique que la situation devient de plus en plus grave, mais aussi du point de vue moral. Nous assistons actuellement à une régression marquée du nombre des Suisses établis en France, dont les conséquences ne manqueront pas de se faire sentir tôt ou tard dans les domaines les plus différents.
Il ne saurait être question d’exposer ici d’une manière détaillée tous ces problèmes; je me borne donc à une récapitulation des difficultés que nous rencontrons dans les questions relatives à l’emploi de la main-d’œuvre suisse en France.
1. Application de la loi sur la protection de la main-d’œuvre nationale du 10 Août 1932.6
Ainsi que vous le savez, une enquête a démontré que nos compatriotes n’avaient pas encore été gravement frappés par les décrets fondés sur l’article 2 de la loi. Onze employés d’hôtel, exerçant leur profession depuis de nombreuses années, ont cependant été licenciés en raison du décret du 20 mars 1933 sur la restriction de l’emploi de la main-d’œuvre étrangère dans les Alpes-Maritimes7.
Toutefois, les syndicats français protestent avec véhémence, par l’intermédiaire de leurs députés et par la voie de la presse, contre le nombre minime de décrets qui ont été pris depuis l’entrée en vigueur de la loi. Comme vous le savez, un décret est en préparation pour restreindre, dans le département de la Seine, l’emploi de la main-d’œuvre étrangère de l’hôtellerie. Toutes nos protestations contre la loi du 10 Août 1932 et les décrets pris subséquemment sont restées sans réponse.
2. Délivrance de la carte d’identité de travailleur.
Le régime de faveur dont bénéficiaient les étrangers qui, établis en France depuis plus de cinq ans, sollicitent la carte de travailleur, et les jeunes étrangers qui cherchent un emploi, a été abrogé au début de l’année. Par une note du 26 juillet dernier8, le Ministère des Affaires Etrangères nous a donné l’assurance que les demandes des ressortissants suisses établis depuis 5 ans en France, tendant à l’octroi de la carte de travailleur, seraient examinées avec bienveillance. Néanmoins, aucune instruction ne semble avoir été donnée, à ce sujet, aux autorités régionales compétentes. Les Offices de placement prennent leurs décisions, comme par le passé, en se basant uniquement sur la situation du marché du travail dans la profession en question, ce qui mène, dans la plupart des cas, à un rejet de la demande. Il faut donc une intervention de la Légation pour provoquer un nouvel examen du cas, dès que nos ressortissants viennent se plaindre. Les inconvénients de ce procédé sautent aux yeux, car l’employeur qui a besoin de son personnel ne saurait attendre 5 à 6 mois la décision du Ministère du Travail. Je me suis prévalu, à plusieurs reprises, des assurances du Ministère en faveur des jeunes Suisses qui ont été élevés en France en vivant chez leurs parents. Il est évident que si, en fin de compte, le permis de travail leur est refusé, ces jeunes gens, malgré leur amour pour la Suisse, devront songer à se faire naturaliser français s’ils veulent continuer à vivre en France. Il est difficile de leur en tenir rigueur.
Je cite également la situation de nos compatriotes qui faisant usage de la faculté que leur donne la législation française, optent pour la Suisse et se voient, de ce fait, assimilés par les autorités françaises, aux nouveaux immigrés. Eux aussi se voient obligés de penser à la naturalisation9.
Je constate, à ce propos, que le «Journal Officiel» du 3 décembre, publie les noms de 44 personnes présumées suisses qui se sont fait naturaliser10.
Le Ministère du Travail ne tient donc de lui-même aucun compte de la situation spéciale de cette catégorie de nos ressortissants et il faut que j’intervienne, sans relâche, pour recommander à son bienveillant examen les cas de ce genre.
Quant aux Suisses qui viennent chercher du travail en France, ce n’est aussi qu’avec difficultés et bien rarement qu’ils obtiennent la carte d’identité de travailleurs11.
Par là aussi, la colonie s’anémie, faute de l’appoint de l’immigration. Dans des cas de ce genre, je suis amené à faire assez souvent, des démarches en vue d’obtenir le permis de travail que nos compatriotes sollicitent; mais ces démarches sont évidemment toujours assez délicates et leur résultat aléatoire.
3. La question de Y assistance aux chômeurs suisses a été résolue, en principe, par l’Accord du 9 Juin dernier12. Les refus des Fonds de chômage d’accorder les secours à nos ressortissants, en raison de leur nationalité, sont devenus plus rares; en revanche, les Fonds trouvent maints autres prétextes pour refuser les allocations, ce qui nécessite, aussi, des interventions journalières.
4. La question du renouvellement des cartes de travailleurs de Suisses en chômage, a été réglée également par un échange de notes du 9 Juin13. Des difficultés à ce sujet ne surviendront, très probablement, qu’à la fin de l’année, les récépissés de cartes d’identité étant valables jusqu’à cette date. On ne saurait compter sur la diligence du Parlement pour entériner l’Accord; en effet, une certaine opposition se fait jour dans la presse contre la conclusion de pareilles Conventions, sous le prétexte que la France en fait seule les frais, vu le grand nombre de chômeurs étrangers en France et le nombre relativement minime de chômeurs français à l’étranger. Dans une proposition de résolution déposée sur le bureau de la Chambre des Députés, on qualifiait même de duperie ces traités de réciprocité en matière d’assistance aux chômeurs. Tout cela ne contribuera guère à une prompte ratification de notre Accord.
Je mentionne enfin la tendance systématique des employeurs de débaucher leurs employés et ouvriers étrangers, en alléguant de prétendues instructions gouvernementales. Or, vous savez par mes rapports dans quelles professions l’emploi de la main-d’œuvre étrangère est soumis à des restrictions. L’agitation xénophobe des syndicats aidant, j’assiste, ces derniers temps, à une véritable vague de licenciements de travailleurs suisses. Us partagent, évidemment, ce triste sort avec les ressortissants de pays tiers et les Français eux-mêmes, mais il ne faut pas se dissimuler que les étrangers ne pourront, dans les conditions actuelles du marché du travail trouver à se replacer. Ainsi le Consulat de Suisse à Besançon m’a signalé, dernièrement, que sur 150 Suisses employés, il y a 2 ans, à la Société Alsacienne de Constructions Mécaniques à Belfort (Alsthom), il n’en restait plus qu’une dizaine seulement. L’Usine Renault, à Billancourt, qui, selon les constatations du Département fédéral de Justice et Police, du 30 septembre dernier, (annexe à votre lettre du 18 octobre 193314) employait encore 78 Suisses, en débauche tous les jours.
La situation me semble donc excessivement grave; elle l’est, à ce point, qu’il ne suffit plus, à mon avis, de se borner à intervenir, comme je le fais maintenant, dans des cas d’espèce, en invoquant des raisons d’équité, etc. Ces démarches fréquentes usent lentement mais sûrement le crédit dont la Légation dispose auprès des autorités françaises.
Au bénéfice de ces considérations, j’arrive à la conclusion qu’il y aurait lieu d’examiner si des conversations avec le Gouvernement Français ne seraient pas opportunes, en raison de la tournure que prennent les événements, sur ces diverses questions, relatives à l’application du Traité d’établissement de 188215. Dans cet ordre d’idées, c’est avec une vive satisfaction que j’ai pris connaissance du contenu de la lettre du 30 novembre dernier16, par laquelle vous m’annonciez que vous aviez saisi de ce problème le Département de l’Economie Publique. J’incline, en effet, à croire, comme je vous le laissais entrevoir dans ma lettre du 20 novembre17, que la question de l’emploi de la main-d’œuvre suisse en France devrait être étudiée dans le cadre général des relations économiques franco-suisses. Cette procédure pourrait, dans une certaine mesure, renverser la situation à notre profit et faciliter notre rôle de demandeur.
Par ailleurs, on pourrait aussi se prévaloir utilement du fait que, sur une population de 4 millions environ, 37000 Français sont établis chez nous, tandis que, sur une population dix fois plus nombreuse, 137 000 Suisses seulement gagnent leur vie en France; je doute même que ce dernier chiffre soit encore exact.
Je vous serais très obligé de vouloir bien me faire connaître votre manière de voir à ce sujet.
- 1
- Lettre: E 2001 (C) 4/55. Remarque marginale de G. Motta: J’ai eu hier une conversation avec M. l’Ambassadeur de France auquel j’ai remis un aide-mémoire. M. l’Ambassadeur se rendra tout prochainement à Paris et aura une conversation avec M. le Ministre Dunant. 14. XII. 1933.↩
- 2
- Non reproduit.↩
- 3
- Remarque marginale: nous avons fait la même chose.↩
- 4
- Remarque marginale: liquidé.↩
- 5
- Remarque marginale: dans ce domaine c’est la pratique qui importe, tt. accord serait peu effectif si la bonne volonté de l’exécutif manque.↩
- 6
- JO. RF., 12 août 1932, no 1S8, p. 8818.↩
- 7
- JO. RF., 22 mars 1933, no 69, p. 2891.↩
- 8
- Non retrouvé.↩
- 9
- Remarque marginale: Nous connaissons seulement 2 cas de ce genre, l’un de 1929 et l’autre de 1933.↩
- 10
- Remarque marginale: auch wir arbeiten an die Naturalisation der seit langem ansässigen Ausländer hin.↩
- 11
- Remarque marginale: Il n’y a aucun doute que Y\mm\grl ation] reprendra dès que la situation économique s’améliorera.↩
- 12
- Cf. no 298.↩
- 13
- Non reproduit.↩
- 14
- Non reproduit.↩
- 15
- Du 23 février 1882 (RO, 1882, vol. 6, pp. 362, ss.).↩
- 16
- Non reproduit.↩
- 17
- Non reproduit.↩
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