Pacte à Quatre
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 10, doc. 290
volume linkBern 1982
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2300#1000/716#772* | |
Old classification | CH-BAR E 2300(-)1000/716 343 | |
Dossier title | Paris, Politische Berichte und Briefe, Militärberichte, Band 86 (1933–1933) |
dodis.ch/45832
Dans un récent article publié dans la «Liberté», André Tardieu2, faisant le procès de la politique extérieure du Cartel3, a préconisé une politique au «cran d’arrêt»: arrêt dans les concessions à Genève, à Londres, sur tous les secteurs du front international. Politique stérile et négative, s’il en est, qui renforcerait fatalement en Europe l’image d’une France figée dans l’immobilité, ne sachant donner à son esprit conservateur aucune expression nouvelle; conception politique contre laquelle le Cabinet de M. Daladier réagit d’ailleurs nettement en adhérant au principe de la collaboration nouvelle qu’implique le Pacte à quatre4.
Toutefois, si l’on voulait caractériser l’état des relations entre la Suisse et la France, on serait parfois tenté de penser - bien que ce ne soit guère sur ce terrain là que l’ancien président du Conseil recherche son objectif - que le «programme» de M. Tardieu est réalisé en ce qui concerne les rapports de son pays avec le nôtre. Nous restons, dans bien des domaines, au cran d’arrêt.
Certes, ce serait forcer la note que de dire que nous le sommes sur toute la ligne. La Convention sur l’aide aux chômeurs, que j’ai pu finalement signer l’autre jour5 et qui apportera un soulagement effectif à une catégorie, hélas, nombreuse de nos compatriotes en France est une preuve de la marche en avant sur certains secteurs. Suivant la tournure que prendra la procédure d’expertise en l’affaire des zones6, nos relations politiques avec la France pourront, le cas échéant, être allégées d’un poids considérable. D’autres signes encore, notamment l’insistance qu’on met ici, dans certains milieux, à rechercher des contacts plus étroits avec nous en matière financière, indiquent les atouts que nous possédons pour faire progresser un ((clearing» de nos contestations avec Paris. Néanmoins, il paraît nécessaire, en présence des résistances et des lenteurs de l’Administration française que je vous ai maintes fois signalées, de faire, de temps à autre, le point de la situation. La liste des accords signés, mais arrêtés à défaut d’approbation parlementaire en France, est toujours longue; celle des autres problèmes qui attendent leur solution n’est pas moins impressionnante. En voici le résumé:
A. - Conventions signées.
1) Je débute par le Traité de conciliation et d’arbitrage obligatoires que j’ai signé, avec M. Herriot, le 6 Avril 19257 et qui, malgré toutes les promesses prodiguées par des Gouvernements successifs, attend toujours son approbation par le Sénat. La France n’ignore point combien nous sommes blessés par ce retard, d’autant plus choquant que le Parlement français trouve des loisirs pour approuver des Conventions analogues, signées après notre traité, avec une série d’autres Etats. Nous ne pouvons, cependant, pas nous dissimuler que l’affaire des zones d’abord, la question des dommages de guerre ensuite, ont lourdement pesé sur la ratification du traité d’arbitrage.
Et cependant, c’est la mise en vigueur de cet instrument qui devra probablement un jour marquer la «reprise», début d’un règlement général, s’il y a lieu, de nos différends avec la France.
2) Il n’y a guère d’illusions à se faire sur la ratification par la France, de la Convention signée le 24 juillet 1924, au sujet de la pêche dans le Lac Léman, le Rhône et leurs affluents8.
3) Les deux Conventions relatives à la gare de Bâle, approuvées par arrêté fédéral du 25 juin 19309, attendent encore leur ratification. En réponse à mes dernières démarches, on m’avait assuré que le projet de loi portant approbation des dits accords allait être soumis à un nouvel examen. Mais l’affaire n’est guère avancée.
4) La Convention relative à la pêche dans les eaux du Doubs formant frontière, signée le 15 avril 1929 et approuvée par les Chambres fédérales le 4 octobre de la même année déjà10, s’est heurtée à une opposition d’ordre régional dans la Commission de l’Agriculture de la Chambre des Députés.
5) La Convention d’assistance, signée le 9 septembre 1931, a été finalement approuvée, au mois d’avril dernier, par la Chambre des Députés11. Je m’emploie de mon mieux pour que le Sénat entérine également cet accord avant les vacances parlementaires et je veux espérer qu’il en sera ainsi12.
B. - Questions faisant l’objet de négociations.
1) En tout premier lieu, il convient de signaler ici la situation créée par la dénonciation de notre Traité de Commerce13. Non contente de ne pas ratifier des Conventions signées, la France dénonce l’accord réglant nos échanges commerciaux et crée ainsi une situation instable, en dépit du profit de 900 millions de frs. qu’elle tire encore de ces échanges. Je n’ai pas besoin d’insister sur l’importance capitale des négociations qui devront être menées à chef avant le mois de décembre prochain.
2) Un accord analogue à ceux conclus avec l’Allemagne14 et la Grande-Bretagne15, pour éviter la double imposition, n’a pu être établi au cours des négociations entreprises avec le Gouvernement français.
3) Les obstacles mis à l’exercice de la profession médicale par nos compatriotes en France nous obligent à entrer dans la voie de la négociation d’une Convention diplomatique dont nous ne pouvons guère nous dissimuler les difficultés.
4) Les dispositions prises en France en vue de la protection de la main-d’œuvre nationale au moyen de la limitation de l’activité professionnelle des étrangers nous ont amenés à protester contre la violation, à notre sens établie, du Traité francosuisse d’établissement16. Les nombreuses démarches que j’ai entreprises n’ont pas encore abouti aux résultats souhaités.
Je n’indique que pour mémoire nos contestations relatives à la question des baux à loyer et en matière de propriété commerciale.
En recherchant les causes des lenteurs, pour ne pas dire de l’«arrêt» dont nous avons à nous plaindre, nous constatons qu’elles résident pour une part seulement dans une inertie voulue de l’administration, véritable support de la tradition gouvernementale dans un pays qui tend à confondre les termes de démocratie et d’instabilité du pouvoir exécutif. Pour une bonne partie c’est le jeu des institutions, fonctionnant selon la constitution, mais vicié par des habitudes parlementaires de plus en plus enracinées et qui accordent une influence démesurée à des intérêts locaux et particuliers, qui entravent notre action. Enfin, il y a lieu de tenir compte, pour apprécier la situation dans son ensemble, de la complexité de la machine gouvernementale et administrative: lorsqu’il y a friction interne, le moyen le plus aisé pour l’éliminer est de sacrifier les intérêts du dehors.
Notre programme, au regard de cette situation, est évidemment immuable.
Sur le terrain politique, il s’agira, l’affaire des zones une fois liquidée et à condition qu’un régime de chicane ne s’installe pas à proximité de Genève, de tâcher de purifier l’atmosphère, ce qui serait sensiblement facilité par l’entrée en vigueur du Traité d’arbitrage. Dans la meilleure des hypothèses, nous pourrions envisager, à l’instar d’autres Etats ayant des intérêts plus considérables en jeu d’obtenir un «règlement général» avec la France comportant notamment la ratification, par nos voisins, des conventions les plus importantes en suspens et la solution d’une série de différends.
Sur le terrain économique, nos efforts pourront éventuellement être secondés par une action de nos milieux intéressés tendant à attirer l’attention générale en France sur l’importance réelle de nos échanges commerciaux.
Sur les deux terrains, politique et économique, il y a lieu d’utiliser largement les atouts que nous confère encore notre situation financière.
Tout autres seraient évidemment les conditions si une politique à courte vue de l’administration française tendait à paralyser Genève, au prix même de sacrifices imposés aux populations zoniennes et si, parallèlement, un arrangement économique équitable ne venait pas à se substituer au traité dénoncé. La situation serait alors d’une gravité incontestable.
Pour terminer sur une note plus optimiste, je ne veux toutefois pas omettre d’insister sur ce qu’il y a d’essentiel de l’autre côté de la balance. Sur la frontière française, aucun incident d’une gravité quelconque n’est à signaler depuis fort longtemps; et aucun incident, s’il venait à se produire, n’atteindrait probablement le même degré d’acuité que nous constatons sur d’autres secteurs. De même la similitude des institutions dans les deux pays exclut toute une série de difficultés qui sont inséparables - nous en voyons tous les jours la preuve - des rapports entre Etats à structure politique foncièrement différente.
C’est ce qui me conduit à penser que l’arrêt, si arrêt il y a, dans nos relations avec la France ne devra et ne pourra pas être de trop longue durée.
- 1
- E 2300 Paris, Archiv-Nr. 86.↩
- 2
- Ancien Président du conseil, ancien Ministre des Affaires étrangères.↩
- 3
- Radicaux et socialistes ont remporté les élections des 1eret 8 mai 1932.↩
- 4
- Signé le 15 juillet 1933.↩
- 5
- Cf. no 298.↩
- 6
- Cf. no 303.↩
- 7
- Cf. DDS vol.9, no 107, dodis.ch/45124.↩
- 8
- Cette convention, du 28 juillet 1924, ne sera jamais ratifiée.↩
- 9
- Ces conventions, signées le 20 juin 1928, n’ont pas été ratifiées, mais s’appliquent en fait. Elles sont complétées par un échange de notes le 8 janvier 1930 (RO, 1930, vol. 46, pp. 52-53).↩
- 10
- FF, 1929, I, pp. 907 ss.↩
- 11
- RO, 1933, vol. 49, pp. 615 ss.↩
- 13
- Cf. no 280.↩
- 14
- Le 15 juillet 1931 (RO, 1934, vol. 50, pp. 106 ss.).↩
- 15
- Le 17 octobre 1931 (RO, 1932, vol. 48, pp. 365 ss.).↩
- 16
- Cf. no 370.↩