Classement thématique série 1848–1945:
II. RELATIONS BILATÉRALES
6. Chine
6.7. Questions politiques générales
Imprimé dans
Documents Diplomatiques Suisses, vol. 10, doc. 219
volume linkBern 1982
Plus… |▼▶Emplacement
Archives | Archives fédérales suisses, Berne | |
▼ ▶ Cote d'archives | CH-BAR#E2300#1000/716#981* | |
Ancienne cote | CH-BAR E 2300(-)1000/716 431 | |
Titre du dossier | Shanghai, Konsularberichte, Band 3 (1932–1945) |
dodis.ch/45761
[...]
L’existence d’organisations communistes en Chine2 est déjà fort ancienne. Le parti communiste chinois, constitué en 1920, a joué dès 1924 un rôle essentiel comme allié du Kuomintang contre le Gouvernement de Pékin. Depuis la scission de 1927 et l’écrasement, par le Gouvernement de Chiang Kai-shek, du Gouvernement Rouge du Wuhan, suivi de l’échec du soulèvement communiste de Canton, le parti communiste chinois n’a plus d’existence officielle et développe extra-légalement son action révolutionnaire. Dès 1928/29, agissant sur directives fournies par le Comité Exécutif du Comintern (IIIe Internationale), les communistes chinois remportèrent des succès marqués à l’intérieur, en agissant par détachements isolés dans les campagnes. C’est à partir de cette époque que des districts soviétisés purent être formés dans certaines régions du Kwantung, du Fukien, du Kiangsi, du Hunan, du Hupeh et de l’Anhwei. On aurait tort, en effet, de ne voir dans les détachements rouges que des bandits déguisés, occupés seulement de pillage. Les régions qu’ils envahissent sont, lorsque l’occupation s’en prolonge, systématiquement «soviétisées»; une administration locale est installée et sa principale mesure, après avoir détruit les titres de propriété foncière, consiste à confisquer les terres des paysans riches pour les répartir entre les fermiers pauvres (70% de la population agricole, dans le sud, n’est pas propriétaire) et les familles de soldats. Les paysans moyens et petits ainsi avantagés sont groupés en «unions», dans l’idée d’en former une classe prolétaire à opposer aux riches. Dans les villes (il s’agit seulement de petites localités, aucun centre important n’ayant, jusqu’ici, été longtemps occupé), les grandes entreprises (banques, grands magasins, etc.) sont nationalisées, après «élimination» des propriétaires; les missions étrangères sont pillées et les missionnaires tués ou capturés. Des «banques ouvrières-paysannes» ont été parfois constituées, avec émission de billets. Le petit commerce, sans être immédiatement supprimé, disparaît graduellement sous l’action des impôts et des mesures vexatoires; dans un but de propagande, une baisse générale du prix des denrées est provoquée artificiellement par l’interdiction des exportations.
D’après les renseignements de police qui m’ont été fournis, le travail d’organisation était, au début de 1930 déjà, suffisamment avancé pour permettre l’installation, dans une série de régions, d’administrations stables. En mai 1930, une première «Conférence des districts soviétiques» se réunit dans le Kiangsi méridional, et c’est alors que fut décidée la création d’un «Bureau central d’organisation des districts soviétiques de la Chine»; il s’installa auprès du quartier général des armées rouges, dans le sud-est du Kiangsi. L’envoi dans le nord, au printemps de 1930, des meilleures troupes gouvernementales régulières, pour y faire campagne contre certains généraux dissidents, favorisa l’installation, dans le sud, d’un régime soviétique quasi permanent et la transformation aussi des bandes communistes en véritables corps de troupes aptes à des opérations militaires proprement dites. Tout le Kiangsi, le Fukien occidental et une grande partie du Hunan et du Hupeh tombèrent alors sous le régime communiste; Changsha elle-même, capitale du Hunan, succombait en juillet 1930. A fin 1930, époque du développement maximum, le «Bureau central» avait, paraît-il, sous sa direction, huit gouvernements de districts soviétiques, comptant 79 «sous-préfectures», avec une population de 60 millions d’habitants. Les gouvernements locaux, composés de militants, membres du parti, s’adjoignent, dans un but de propagande, des comités recrutés sur place, qu’ils tiennent en étroite surveillance et sujétion; des écoles «anti-impérialistes» où le sentiment xénophobe est exploité sont aussi formées, etc, etc.
L’hiver 1930/31 marqua un ralentissement que les informations de police attribuèrent surtout à des désaccords survenus, au sein même du parti, sur la politique à suivre. Une faction, un moment prépondérante, sous la direction de Li Lie san, déclarait la situation mûre pour un soulèvement général brusqué, à la fois dans les villes et les campagnes, et le prépara. Ces préparatifs, arrêtés trop tard par le Comintern, révélèrent au Gouvernement de Nankin le sérieux de la situation et décidèrent Chiang Kai-shek, devenu libre dans le nord, à entreprendre sa campagne militaire de l’été de 1931, en même temps que des mesures d’impitoyable répression étaient prises dans les grandes villes. C’est à cette époque que furent arrêtés, à Shanghaï, le secrétaire général du parti, Hsian Tsing-Fah, et le chef du bureau Extrême-Oriental du Comintern, «Noulens»3. Le Comité central du parti communiste, jusqu’alors à Shanghaï, dut se disperser. Avant de se dissoudre, le Comité central, en juin 1931, fixa les grandes lignes d’un nouveau programme; ces directives, dont j’ai pu voir le texte, prescrivent, entre autres, la convocation dans le Kiangsi, déclaré «district soviétique central», du «1er Congrès des Soviets de toute la Chine», en vue de la formation d’un «Gouvernement provisoire de la République Soviétique chinoise».
Il paraît établi que, malgré les revers militaires, le congrès prévu, - ou, du moins, un semblant de congrès - ait été réuni au Kiangsi en juillet 1931; il n’aboutit pas, alors, à la création immédiate d’un gouvernement; celui-ci put néanmoins être proclamé le 7 novembre 1931, jour anniversaire de la révolution russe, après l’échec partiel de la campagne d’été de Chiang Kai-shek, qui laissait d’importantes régions, notamment dans le Kiangsi, aux mains des communistes. La presse de Shanghaï a d’abord, cela est exact, porté peu d’attention à cet événement; la police me confirme, cependant, qu’il ne s’agit nullement d’un organisme de simple façade, mais bien d’un véritable centre administratif des districts soviétistes, installé auprès de l’état-major des armées rouges. Le siège actuel est bien à Juiking, petite ville du Kiangsi méridional située à la frontière du Fukien, 150 kilomètres environ à l’est de Kanchow (Kiangsi). Le choix de cette capitale reculée s’explique, bien entendu, par les difficultés d’accès de la région, dont ni l’offensive de 1931, ni celle de l’été 1932 n’ont pu déloger les détachements rouges.L’étendue des territoires soviétisés, le contour des enclaves soviétiques, sont essentiellement variables, se trouvant fonction des succès et revers des armées rouges. Au printemps de 1930, presque tout le Kiangsi ainsi qu’une grande partie du Hunan et du Hupeh étaient soviétisés. La campagne d’été 1931, qui visait, par une offensive lancée de Nanchang (Kiangsi nord) vers le sud, à la destruction complète des organisations et armées soviétiques du sud-est de la province, n’a pas atteint son but; l’élan s’arrêta dans les montagnes limitrophes du Fukien, d’où les Rouges contre-attaquèrent avec succès; les événements de Mandchourie4 et la crise de Shanghaï5 obligèrent, par la suite, le retrait de certains effectifs (19e armée de route) et arrêtèrent dès septembre les opérations. Reprise cet été par Chiang Kai-shek, la campagne anti-communiste, d’abord conduite autour de Hankow (Hupeh), se poursuit actuellement dans le Kiangsi. [...]
D’après les renseignements de police qui viennent de m’être fournis, la campagne actuelle aurait dégagé Hankow et libéré les voies de communication, soit fluviales, soit ferroviaires. Certains groupes rouges, repoussés, chercheraient maintenant, par une marche au nord-ouest, à gagner le Shensi et le Kansu, pour y prendre contact avec les agents russes de Mongolie et en obtenir des ravitaillements. Dans la région du Kiangsi, une offensive communiste vers la côte a été repoussée par les troupes cantonaises et la 19e armée de route, opérant dans le Fukien. Aux dernières nouvelles, il semble que les corps rouges de Mao Tse-tung et Chu-teh se soient, depuis novembre, dirigés offensivement vers le nord, en direction de Nanchang, où Chiang Kai-shek, après la fin des opérations dans le Hupeh, a transféré son quartier. Certains pensent que ces mouvements, dont le but stratégique n’apparaît pas clairement, sont essentiellement des opérations de pillage, visant à procurer des vivres, le blocus économique par les armées régulières faisant sentir ses effets.
Ainsi donc, malgré deux offensives de grande envergure, le Gouvernement soviétique de Juiking se défend encore et l’on ne peut affirmer que ses jours soient comptés. Les causes de l’insuccès relatif des opérations militaires de Nankin sont nombreuses; il faut citer, entre autres, les difficultés du terrain, qui fournissent aux détachements rouges, en cas d’échec, des refuges sûrs et qui obligent les armées régulières à rester à proximité des voies de communication; le manque de solidité des troupes, mal équipées et, surtout, irrégulièrement soldées, dont des corps entiers sont passés à l’ennemi; la mauvaise administration et la corruption des fonctionnaires locaux, civils et militaires, du Kuomintang, qui font des paysans, appauvris et écrasés de taxes irrégulières, la proie toute désignée des agitateurs communistes qui leur promettent la terre; enfin l’appui moral, matériel et financier que l’U.R.S.S. ne cesse d’accorder à l’adversaire. M. Paréjas, professeur suisse à Nankin, de passage ici actuellement, me confirme que Chiang Kai-shek aurait compris maintenant la nécessité d’accompagner la répression militaire d’une réforme immédiate de l’administration locale, la nécessité aussi de réformes agraires qui permettraient d’offrir au paysan, dans les régions reconquises, autre chose que le retour à la misère et à l’exploitation antérieures. Le Gouvernement de Nankin vient, en outre, d’adopter et d’ordonner la mise à exécution urgente d’un vaste réseau routier autour de Nankin et Hankow, comportant 20000 kilomètres; s’il se réalisait, même très partiellement, ce projet faciliterait beaucoup aux troupes de Nankin l’approche des régions de refuge actuelles des forces rouges. Il serait imprudent de compter trop sur la réalisation rapide de ces plans; ils sont intéressants, cependant, par l’indication qu’ils donnent des difficultés à vaincre.
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