Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 10, doc. 143
volume linkBern 1982
more… |▼▶Repository
Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
Archival classification | CH-BAR#E1001#1000/6#57* | |
Dossier title | Anträge des Eidg. Politischen Departementes Januar - Juli 1932 (1932–1932) | |
File reference archive | 1.2 |
dodis.ch/45685
La présente proposition n’a pas pour but de donner un résumé du débat2 qui s’est engagé, mais d’indiquer, à grands traits, à la suite de cet échange de vues préliminaire, quelles pourraient être les bases, sinon définitives, du moins initiales de l’attitude générale des représentants de la Suisse à la Conférence du désarmement. Le Conseil fédéral ne saurait, en effet, à l’égard d’un problème de cette ampleur, arrêter, dès maintenant, des instructions ne varietur. Les principes et les méthodes sur lesquels repose le projet de convention3 sont extrêmement controversés. Nombre de clauses de ce projet n’ont été adoptées qu’à des majorités d’une ou deux voix, le nombre des abstentions étant, au surplus, fréquemment supérieur au nombre des votants. Encore la Commission préparatoire ne comprenait-elle que les représentants de trente-deux Etats. C’est dire que les majorités qu’elle a obtenues de justesse sur certaines dispositions de principe courent le risque d’être facilement converties en faibles minorités dans une conférence où une soixantaine de pays feront entendre leur voix. L’édifice érigé par la Commission préparatoire est donc des plus fragiles, si fragile qu’il s’écroulera peut-être sous la poussée des majorités nouvelles qui pourront se constituer à Genève. Il serait prématuré, dans ces conditions, de s’arrêter à des décisions définitives. Rien ne nous dit que, quelque temps après l’ouverture de la Conférence, la situation telle qu’elle apparaît aujourd’hui à la lumière du projet de convention ne se trouvera pas modifiée de fond en comble. Les instructions du Conseil fédéral, notamment dans leur partie technique, ne pourraient, dès lors, avoir qu’un caractère provisoire. Force nous est bien d’adopter, comme point de départ, le projet de convention dont nous avons été saisis par le Conseil de la Société des Nations, mais nous nous réserverions de réexaminer en toute liberté, selon le cours des débats à Genève, certaines des décisions prises.[...]
I. Attitude générale de la Suisse à l’égard du problème du désarmement
Membre de la Société des Nations, la Suisse doit satisfaire, comme les autres Etats, aux obligations de l’article 8 du Pacte4, qui prévoit, à son alinéa premier, «que le maintien de la paix exige la réduction des armements au minimum compatible avec la sécurité nationale et avec l’exécution des obligations internationales imposées par une action commune». Cet article n’établit aucune distinction entre les Etats membres de la Société des Nations; il est d’application générale. La Suisse l’avait d’ailleurs accepté sans réserve lors de son accession à la Société. Dans son message du 3 août 19195, le Conseil fédéral avait même critiqué la timidité avec laquelle le Pacte abordait le problème. Nous ne saurions donc affaiblir en quoi que ce soit, par notre attitude, la valeur de l’engagement qu’il s’agit aujourd’hui d’exécuter.
Juridiquement, l’article 8 du Pacte n’est pas en rapport direct avec notre régime de neutralité. Il se trouve néanmoins en connexion, à certains égards, avec la Déclaration de Londres, du 13 février 19206, qui a défini le statut de notre neutralité dans le sein de la Société des Nations. Grâce à ce statut, la Suisse, comme on sait, n’est pas tenue de participer à une action militaire de la Société des Nations, c’està-dire à l’«action commune» visée par l’article 8 du Pacte. Elle doit être prête, en revanche, «à tous les sacrifices pour défendre elle-même son propre territoire en toutes circonstances, même pendant une action entreprise par la Société des Nations». Cette obligation de défense individuelle est le corrélatif de l’obligation d’assistance militaire stipulée par l’article 16 du Pacte7. Si, pour les autres Etats membres de la Société des Nations, l’exécution des obligations internationales imposée par une action commune constitue, conjointement avec la sécurité nationale, la mesure de la réduction des armements, il est certain que, pour la Suisse, cette mesure est constituée par l’obligation de se défendre contre toute attaque ou invasion. En dehors du facteur de la sécurité nationale, qui est évidemment le facteur décisif, la Suisse serait donc fondée à invoquer, s’il le fallait, l’engagement qu’elle a assumé de défendre à tout prix sa neutralité, engagement qui correspond, répétons-le, à l’engagement d’action commune assumé par les autres Etats membres.
Politiquement et moralement, la Suisse se doit de soutenir les efforts en faveur d’une réduction sensible des armements. Pareille réduction augmenterait incontestablement les garanties de paix, car il y a une relation certaine entre le volume des armements et les risques de guerre. Or, un peuple profondément pacifique comme le peuple suisse ne peut qu’applaudir aux efforts tentés en vue d’accroître les moyens de consolider la paix générale. Son attitude à cet égard lui est dictée déjà par des soucis d’ordre humanitaire. Mais elle lui est dictée aussi par ses propres intérêts. Petit pays que sa situation géographique exposerait aux pires dangers en cas de conflagration générale, elle ne peut que souhaiter ardemment de voir éliminer autant que possible les possibilités de guerre.
Est-ce à dire que la Suisse devrait, pour des considérations humanitaires ou par intérêt, s’attacher à jouer un rôle en vue à la conférence qui se prépare? Nous ne le pensons pas. Le problème du désarmement a incontestablement un fond juridique, mais la prééminence de son caractère politique n’est niée par personne. Il s’agit, avant tout, d’un problème de grandes puissances. Juridiquement, tous les Etats membres de la Société des Nations sont tenus de collaborer à sa solution, mais, politiquement, cette solution dépend, en réalité, de la volonté des grands. Les petits pays ne menacent pas la paix et l’on pourrait fort bien concevoir un désarmement poussé très loin qui se ferait sans eux. Sans doute ils peuvent et, à certains égards, ils doivent encourager les efforts des puissances militaires vers un allégement du fardeau des armements, mais il serait présomptueux de leur part de vouloir imposer leurs conceptions à leurs grands partenaires. La Suisse, en particulier, qui a toujours observé une prudente réserve dans les questions internationales, doit se garder de se mettre trop ostensiblement en scène. Nous n’avons pas à jouer un rôle de Mentor à Genève. Ce rôle serait disproportionné à notre influence politique. Si notre mission est plus modeste, cela ne signifie nullement qu’elle ne saurait être utile. L’intervention de petits pays, surtout à Genève, peut être parfois heureuse; elle peut aider à dénouer des situations embrouillées ou critiques. Il s’agit, en somme, d’une question de mesure et d’opportunité. Si, à un moment donné, la Suisse pouvait, sans s’écarter de sa politique traditionnelle, rendre un service à la paix, elle le rendrait. Se modérer n’est pas synonyme d’abdiquer.
II. Situation spéciale de la SuisseLa Suisse doit-elle revendiquer une situation privilégiée? Tout en affirmant sa vive sympathie pour la cause du désarmement, pourrait-elle briguer la faveur de demeurer en dehors de la convention future en arguant de son statut international, du type particulier de son armée, etc.? En thèse générale, il serait, croyonsnous, inopportun de le prétendre. La Suisse, de même que les autres pays, doit avoir des armements réduits dans la mesure compatible avec sa sécurité nationale et avec l’exécution de ses obligations internationales. A supposer que nos armements excéderaient la limite permise, nous aurions à les réduire conformément à l’article 8 du Pacte. Il est vrai que cette hypothèse n’a qu’une valeur théorique, car, en réalité, notre type d’armée à durée de service très limitée nous a permis d’aller très loin dans la voie du désarmement, plus loin, en tout cas, qu’on ne sera généralement disposé à le faire à Genève. Mais si le désarmement a déjà atteint chez nous un niveau que la plupart des pays ne songent pas à adopter, nous aurions tort de nous dérober. Nous nous exposerions bien fâcheusement, alors que notre position est des plus favorables, au risque d’être rangés dans la catégorie des Etats hostiles, en somme, à l’idée du désarmement. Il est permis cependant d’envisager l’éventualité où la Suisse pourrait être amenée à se prévaloir du caractère tout particulier de son système de défense nationale. Le projet de convention tel qu’il a été établi par la Commission préparatoire du désarmement s’applique uniquement aux «effectifs en service». Or, selon l’interprétation en quelque sorte authentique que la Commission a donnée dans son rapport (v. no 51), on entend par effectifs en service «tous les effectifs qui reçoivent une instruction militaire (sauf l’instruction préparatoire), à quelque endroit et sous quelque forme que cette instruction leur soit donnée». Cette définition paraît couvrir tous les effectifs, sans exception, qu’il s’agisse d’effectifs d’une armée de métier, d’une armée à cadres permanents ou de la simple armée de milices, dont l’effectif, à certaines périodes de l’année, peut être réduit à zéro. On a voulu atteindre, semble-t-il, tous les hommes sous les drapeaux dans une année donnée, à l’exclusion, par conséquent, des réserves instruites qui ne font pas de service au cours de l’année envisagée. Reste à savoir si la Conférence inclinerait à faire une distinction entre les effectifs en service selon qu’ils appartiennent à une armée permanente ou à une armée de milices comme la nôtre, qui, par essence, ne l’est pas. Il semble douteux, du moins à nous en tenir aux renseignements que nous avons recueillis à Genève, que la Commission préparatoire ait voulu faire cette distinction. Mais les désirs et les conceptions de la Conférence peuvent être différents de ceux de la Commission. Il se pourrait donc qu’on en vînt à l’idée de soumettre les véritables armées de milices à un régime moins strict. En ce cas, nous aurions intérêt, cela va sans dire, à réclamer à notre profit ce traitement de faveur. Nous ne nous faisons pas, à vrai dire, beaucoup d’illusions à cet égard. Il nous paraît néanmoins utile de retenir cette éventualité. Le Conseil fédéral l’examinera si elle se présente et donnera des instructions précises à sa délégation. [...]
... Une Suisse prospère n’est pas concevable dans un monde en désarroi. Notre pays ne doit donc pas ménager sa sympathie à tout ce qui sera entrepris pour rétablir la confiance dans les relations internationales et ramener les peuples dans la voie d’une collaboration féconde fondée sur l’esprit de solidarité et de justice, comme aussi sur une meilleure compréhension de leurs intérêts réciproques. La Conférence de Genève doit faire à cet égard un effort d’apaisement et de rapprochement. Si cet effort n’aboutissait pas, la sécurité resterait précaire ou, ce qui revient au même, serait jugée telle par certains Etats; la grande tentative de mettre fin aux rivalités d’armements serait frappée de stérilité. La Suisse ne saurait encourir le reproche d’avoir entravé, par son attitude, l’amélioration d’un état de choses qui est à l’origine de la crise sans précédent dont souffrent actuellement les peuples du monde entier. Elle ne peut pas à cet égard se confiner dans la passivité et l’indifférence.
Ce ne serait pas la première fois d’ailleurs qu’elle prêterait sa collaboration dans le domaine de la sécurité. Elle s’est mise à la tête du mouvement en faveur de l’arbitrage obligatoire. Elle a adhéré au Pacte Briand-Kellogg8. Elle participe à la trêve des armements9. Le Conseil fédéral a décidé de signer la convention en vue de développer les moyens de prévenir la guerre10. Il a accepté, en outre, de coopérer à l’harmonisation des deux Pactes11, de façon à restreindre encore, sinon à supprimer complètement les possibilités juridiques de faire la guerre. Il sera prêt à adhérer, le moment venu, à l’Acte général pour le règlement pacifique des différends internationaux.
Notre participation aux accords internationaux destinés à augmenter la sécurité doit toutefois être circonscrite dans les limites que nous assigne notre statut international de neutralité. A ce statut, nous devons rester fidèles, non par égoïsme, mais par nécessité. Le maintien de notre neutralité telle qu’elle a été définie par la Déclaration de Londres est une des conditions essentielles de notre existence politique. Force nous est, par conséquent, de demeurer étrangers à tout instrument, si important fût-il pour la consolidation de la paix, qui serait de nature à nous entraîner à des actes incompatibles avec notre régime de neutralité. C’est ainsi que nous nous sommes félicités de la conclusion d’une convention d’assistance financière en faveur des Etats victimes d’agression, mais, comme nous l’avons exposé dans notre rapport aux Chambres fédérales sur les travaux de la XIe Assemblée de la Société des Nations12, il ne nous a pas été possible de nous y associer pour des raisons tirées de notre statut international. Nous ne pourrions qu’adopter la même attitude à l’égard des accords d’assistance mutuelle en cas d’agression qui pourraient être proposés par la France comme condition d’une réduction de ses armements. Nous serions heureux si les Etats trouvaient, d’un commun accord, la possibilité de donner de nouveaux gages de sécurité à la France et aux Etats qui professent la même doctrine politique. Mais, si profond et si sincère que soit son amour pour la paix, si ardents que soient les vœux qu’elle forme pour l’avènement d’un ordre meilleur, la Suisse ne saurait assumer, pour sa part, des obligations de nature à mettre en péril le statut spécial qui lui a été reconnu et qui fait partie intégrante du droit des gens. C’est pour elle, comme nous l’avons dit, une condition d’existence.
[...]13
- 1
- E 1001 1, EPD, 1.1.-31.7.1932. Instructions à la délégation à la conférence du désarmement.↩
- 2
- Sur les instructions à la délégation, les 20 et 21 janvier 1932 (E 2001 (C) 5/99).↩
- 3
- JO. S DN, février 1931, pp. 347ss.↩
- 4
- Cf. no 132, n. 3.↩
- 5
- Cf. no 142, n.9.↩
- 6
- Cf. no 132, n. 10.↩
- 7
- l.Cf. tf 132, n.9.↩
- 8
- RO, 1929, vol. 45, pp. 623-624. Cf. aussi DDS vol. 9, nos 422 (dodis.ch/45439) et 444 (dodis.ch/45461). ↩
- 9
- Cf. no 99.↩
- 10
- Rapport du Conseil fédéral sur la XIIe Assemblée de la SdN (FF, 1932,1, pp. 3 73-3 76).↩
- 11
- Id. pp. 351-356. Il s’agit du pacte de la SdN et du pacte de renonciation à la guerre (pacte Briand- Kellogg) du 27 août 1928.↩
- 12
- FF, 1931, I, pp. 149-151. Cf. aussi DDS vol. 9, nos 320 dodis.ch/45337, 491 dodis.ch/45508, 494 dodis.ch/45511 et 495 dodis.ch/45512. ↩
- 13
- Les instructions, adoptées par le Conseil fédéral dans sa séance du 29 janvier (E 1004 1/332a), passent ensuite en revue les questions d’effectifs, de matériel, de renseignements abordées par le projet de convention-cadre.↩
Tags
League of Nations
Geneva Disarmament Conference (1932–1934)