Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 10, doc. 106
volume linkBern 1982
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2300#1000/716#477* | |
Old classification | CH-BAR E 2300(-)1000/716 227 | |
Dossier title | London, Politische Berichte und Briefe, Militärberichte, Band 25 (1931–1931) |
dodis.ch/45648
Un séjour de quelques jours en Suisse m’a mis en mesure d’observer l’état d’esprit régnant sur le Continent, et spécialement dans notre pays, par rapport aux récents événements économiques en Angleterre2.
Il y a en effet un contraste frappant à constater entre la «Stimmung» de ce côté de la Manche et de l’autre.
En Suisse, je n’ai rencontré, dans les milieux bancaires et commerciaux, personne qui ne considérât pas l’abandon par l’Angleterre de l’étalon-or avec une sérieuse anxiété. Mes compatriotes semblent certains que les hommes d’Etat britanniques, quand ils ont eu recours, d’une manière si brusque, à un moyen d’une telle gravité, n’ont pu se rendre compte de toutes les conséquences de leur action.
L’opinion prévaut parmi les Suisses que les Ministres britanniques dans leur grande majorité n’ont pas su vraiment de quoi il s’agissait dans la séance du Cabinet du 20 septembre3 et qu’ils n’ont pas pensé aux conséquences que leur décision aura infailliblement pour la Grande-Bretagne, pour l’Europe et le monde entier.
On est d’avis chez nous que cette action implique pour Londres le risque de perdre sa position, établie depuis des générations, de centre de crédits internationaux, de marché de l’or et la prédominance, pour ne pas dire le monopole, de son
mécanisme international de navigation.
Aux yeux de mes compatriotes, l’abandon de l’étalon-or par la nation britannique n’est rien moins qu’une catastrophe pour elle et pour les autres.
La réaction apparemment favorable que la mesure a produite pendant ces premières semaines sur l’industrie anglaise et la bourse est considérée sur le Continent comme une sorte de feu de paille et sera nécessairement suivie d’un refroidissement pénible, même dangereux, de l’atmosphère économique. On doute de la possibilité de pouvoir protéger la livre sterling contre une chute sensible, ceci
d’autant plus que jusqu’ici les milieux politiques et financiers ont l’air de vouloir se garder de toute allusion à une stabilisation prochaine. L’un de mes interlocuteurs est allé jusqu’à exprimer l’opinion que les Anglais ne doivent pas avoir une notion exacte, ou même seulement vague, de la signification réelle qu’a leur livre sterling dans l’économie mondiale. Ce n’est que par un manque de compréhension de leur part à ce sujet qu’il peut s’expliquer l’insouciance avec laquelle ils sont arrivés à cette détermination. Pour lui, l’Angleterre va au devant de surprises dont, même actuellement, elle n’a pas l’air de se douter.
Rentré en Angleterre, j’ai retrouvé le calme et l’absence de panique qui ont caractérisé l’attitude générale depuis l’abandon de l’étalon-or. On est persuadé
qu’on est sur le bon chemin pour rétablir la confiance, tant à l’intérieur qu’à l’étranger.
Pour le moment, on se soucie surtout de la situation intérieure et il me semble qu’on traite un peu l’aspect international de la chose en quantité négligeable.
L’alarme sur le Continent et notamment les réflexions comme celles que je viens de vous citer sont désignées comme des «histoires terribles» qu’on se raconte à
l’étranger et qui dérivent du fait que les Continentaux ne connaissent ni les réserves de richesses, ni l’énergie et la détermination des Anglais dans une situation difficile.
On oublie, me paraît-il, qu’on y connaît l’Angleterre mieux que l’Anglais le
Continent, que la Grande-Bretagne se trouve aujourd’hui dans une situation entièrement nouvelle pour elle et qu’il n’y a au fond rien d’étonnant qu’elle ne sache pas la juger avec une perspicacité suffisante. Le spectre de l’inflation, qui, après tout, peut apparaître, dans les circonstances actuelles, à n’importe quel moment,
ne l’effraie pas et pourtant quelques années seulement se sont écoulées depuis la catastrophe allemande4. On insiste sur ce que le cas de l’Allemagne d’alors et celui de la Grande-Bretagne n’ont rien de commun et qu’il serait déraisonnable d’en tirer des déductions. Dans la presse les avertissements contre ce danger sont rares et l’opinion que la livre sterling comme telle vient d’être sauvée par la concession même d’une dépréciation paraît suffire en fait d’arguments rassurants.
Un Américain qui est venu visiter la Cité et ses grandes banques la semaine dernière a été impressionné par le calme et l’assurance apparents qui y régnent avec tous les signes d’optimisme et même de gaîté. En venant de «Wall Street», où le découragement bat son plein, cette atmosphère, dans les circonstances du moment, a eu sur lui un effet curieux.
D’une part, il ne pouvait s’empêcher d’admirer ce tempérament et cette décision de ne pas se laisser abattre. D’autre part, il se demandait si la gaîté et l’optimisme n’étaient pas en quelque sorte la suite d’un manque de compréhension de la réalité.
Il est possible que cet état d’esprit, particulièrement dans la Cité, qui refuse de prendre les choses au grand tragique, soit une des causes principales d’une amélioration, en tout cas sur le papier, des conditions industrielles et de la bourse. En ce qui concerne cette dernière, elle est en effet sensible à toute rumeur qui pourrait encourager à la hausse. Ainsi, les événements qui se déroulent ces jours-ci autour du Président Hoover5 ont eu immédiatement leur effet, tout vagues que fussent les rapports qui en arrivaient. La perspective de la visite Laval6 est également acceptée en facteur favorable, bien que, en réalité, on n’en sache pas grand’chose.
D’un autre côté, les mauvaises nouvelles de l’Allemagne7 et les démentis décevants de Washington sont loin d’amener toute la réaction à laquelle on pourrait s’attendre. Même la proximité des élections n’effraie pas et ne cause pas la perturbation qu’on aurait pu craindre; pourtant, à ce sujet, les perspectives ne sont nullement réjouissantes. Le fait que la livre a à peine fléchi à l’étranger à la nouvelle de la dissolution du Parlement raffermit la foi dans la force de la résistance britannique.
- 1
- E 2300 London, Archiv-Nr. 25. Conséquences de la dévalorisation.↩
- 2
- Cf. nœ 102 et 103.↩
- 3
- Pendant laquelle la décision fut prise de suspendre le régime de l’étalon-or.↩
- 4
- Allusion à la terrible inflation qui avait ébranlé l’Allemagne notamment à la suite de l’occupation militaire de la Ruhr, atteignant son apogée en novembre 1923.↩
- 5
- Le 7 octobre, la Maison-Blanche décide de venir en aide aux banques américaines, mises à mal par la dépression.↩
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United Kingdom (Economy)
Swiss Franc devaluation of 1936 and international abandonment of the gold standard