Classement thématique série 1848–1945:
II. RELATIONS BILATÉRALES
6. Chine
6.2. Exterritorialité
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 10, doc. 1
volume linkBern 1982
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2001C#1000/1533#296* | |
Old classification | CH-BAR E 2001(C)1000/1533 13 | |
Dossier title | Question d'exterritorialité en Chine (1929–1932) | |
File reference archive | B.14.2.1.a • Additional component: China |
dodis.ch/45543
Vous êtes, sans doute, en possession de mon rapport du 30 décembre ainsi que de mon télégramme numéro treize du même jour2 concernant le manifeste du Gouvernement de Nankin, déclarant l’abolition de l’exterritorialité à partir du 1er janvier.
Je vous ai donné connaissance des impressions recueillies dans les milieux officiels, français et anglais, dès que la presse fit connaître au grand public la publication du manifeste. Il paraissait, d’une manière générale, constituer un affront à l’égard des Puissances qui, on le sait, se trouvent toutes depuis longtemps déjà en négociations avec le Gouvernement de Nankin sur la question de l’abrogation graduelle des droits d’exterritorialité dont bénéficient les étrangers en Chine.
Il vous intéressera de connaître le résultat d’un entretien que j’ai eu lundi dernier avec Sir Victor Wellesley, le Premier Sous-Secrétaire d’Etat au Foreign Office, qui est d’ailleurs chargé plus spécialement des affaires de Chine et d’Extrême-Orient. Notre conversation avait, bien entendu, un caractère confidentiel et amical.
Il me paraît intéressant de souligner encore que l’attitude du Foreign Office, qui venait d’avoir connaissance par la presse du manifeste dont il s’agit, m’a paru particulièrement calme et différente sur ce point de celle dont j’avais eu l’impression à l’Ambassade de France. Je ne dirai pas que les Français paraissaient s’agiter outre mesure de ce pronunciamento du Ministre des Affaires Etrangères de Nankin, mais on admettait que les nouvelles de presse devaient être exactes et que la déclaration intempestive ne manquait pas d’une certaine insolence à laquelle les Puissances feraient bien de répondre avec fermeté si elles se souciaient de ne pas compromettre leur position et leur situation dans les négociations qui doivent se poursuivre.
Le Sous-Secrétaire d’Etat au Foreign Office constate qu’il s’agit en l’espèce d’une de ces promesses que le Gouvernement national de Nankin se voit contraint de faire de temps en temps au peuple chinois pour calmer l’agitation et pour lutter contre la coalition très étendue de ses ennemis, en flattant l’amour propre des Chinois. En fait, il serait difficile de fixer les raisons politiques qui ont pu déterminer la déclaration du Ministre des Affaires Etrangères. Il est difficile aussi, en face du gâchis et de la confusion des esprits en Chine de savoir quelles pourront être les conséquences de la manifestation abolissant les droits d’exterritorialité à partir du 1er janvier. Il est bien possible que toute cette affaire n’ait aucun résultat pratique et que le Gouvernement de Nankin se contente de Pinterprétation que doivent donner les Puissances à cet acte politique. Elles ne peuvent le comprendre qu’en ce sens que la Chine établit que les droits d’exterritorialité seront abolis en principe à partir du 1er janvier 1930, mais que cette disposition n’aura un effet pratique qu’à partir du moment où les négociations en cours auront établi le nouveau régime et fixé les garanties qu’exigent les Puissances.
La Grande-Bretagne n’a aucune objection à formuler contre le désir d’abolir l’exterritorialité, mais elle estime, aujourd’hui comme auparavant, que c’est Y abrogation graduelle qui s’impose. C’est d’ailleurs ce qu’elle a développé dans sa déclaration de 19263 et ce qu’elle n’a pas cessé de faire valoir dans ses notes subséquentes.
La question de l’exterritorialité, et surtout en Chine, est un problème infiniment complexe et compliqué. Il comprend la juridiction, l’administration, l’organisation des municipalités (settlement, concession, etc.). Il est donc évident qu’un pareil système ne peut pas être aboli d’un jour à l’autre par une déclaration unilatérale. Il faudra des travaux de longue haleine qui examineront à fond la situation, la législation, les garanties et les innombrables intérêts étrangers qui seront soumis à la juridiction chinoise.
Un coup de grand éclat est peut-être chose facile, mais il tombe sous le sens que la réalisation immédiate d’un système nouveau est impossible. Cela aurait des conséquences graves, non seulement pour les étrangers et leurs propriétés, mais surtout pour la Chine elle-même. Celle-ci ne serait pas en mesure de prendre à sa charge, sans préparation soigneuse, toutes les obligations découlant pour elle de l’abolition de l’exterritorialité. Il est même à prévoir qu’un grand nombre de Chinois se rendront compte de cet état de choses et, craignant les responsabilités à encourir, feront opposition à une abrogation immédiate.
Sir Victor Wellesley ne connaissait pas encore autrement que par les agences de presse le texte du manifeste chinois, mais il a déclaré qu’au cas où le Gouvernement de Nankin aurait réellement, et il en doute fort, l’intention d’abolir d’une façon nette et définitive les droits d’exterritorialité à partir du 1er janvier, le Gouvernement britannique constaterait, dans une note précise, l’impossibilité d’admettre une solution sans négociations préparatoires. Si d’autre part, le pronunciamento stipulait que le 1er janvier devait être considéré comme date pour le début de nouvelles négociations conclusives, à terminer, par exemple, dans la période de trois mois, le Gouvernement britannique se limiterait, sans doute à prendre acte de la date du début des négociations, mais il serait aussi persuadé que le terme de trois mois pour arriver à la conclusion des négociations ne serait pas suffisant, qu’une prorogation serait indispensable et qu’on arriverait à s’entendre pour fixer un délai raisonnable afin de pouvoir aborder avec soin toutes les questions inhérentes au problème.
Le point de vue du Gouvernement britannique est donc que l’abolition des droits d’exterritorialité ne peut être que graduelle et qu’il est indispensable d’y procéder d’un commun accord entre la Chine et les Puissances. Les dispositions de caractère unilatéral que prendrait le Gouvernement de Nankin ne pourraient pas être acceptées.
En ce qui a trait à la graduation de l’abolition des droits, on a déjà relevé au cours des négociations qui ont eu lieu jusqu’ici que deux systèmes pourraient être adoptés.
L’un consiste à procéder par l’abolition successive de l’exterritorialité d’après les zones géographiques de la Chine, c’est l’idée qui a été émise par la France.
L’autre point de vue consisterait à diviser les privilèges en différentes catégories pour les abolir graduellement en commençant par ceux de moindre importance.
Le Foreign Office estime que cette dernière méthode est la meilleure. Pour ne pas tarder à donner certaines satisfactions à la Chine, l’exterritorialité pourrait être abolie, pour commencer, dans les zones ou dans les catégories d’intérêts où les privilèges seraient relativement insignifiants. Des échanges de vue entre la France et l’Angleterre ont d’ailleurs déjà eu lieu sur ce mode de procéder et on pense qu’il sera éventuellement indiqué d’adopter un système mixte.
Je répète que j’ai relevé dans mon entretien avec Sir Victor Wellesley qu’il évitait ostensiblement de se servir du terme de protestation et que le Gouvernement britannique chercherait plutôt à adopter autant que possible des procédés de conciliation en s’efforçant surtout de donner au manifeste chinois une interprétation favorable. On constatera qu’à partir du 1er janvier la situation des étrangers en Chine ne sera pas modifiée, mais que formellement l’abolition des droits d’exterritorialité pourra être considérée comme acquise à partir de ce moment, à condition qu’elle soit introduite à la suite de négociations qui débuteraient en principe le 1er janvier et qui devraient être conduites avec le plus de célérité possible. Il est à prévoir que la Grande-Bretagne ne se ralliera pas à une démarche collective des Puissances, mais qu’elle estime qu’il est plus conforme à ses intérêts d’agir pour elle seule. Vous savez que du côté français on avait, en quelque sorte, envisagé la nécessité d’agir de commun accord. Sir Victor Wellesley constate d’ailleurs à ce propos que l’attitude intempestive des Chinois a presque été favorisée par le fait que la collaboration entre les puissances dans les questions de Chine a été jusqu’ici décousue, assez embrouillée et peu encourageante pour ceux qui auraient voulu s’efforcer d’agir de concert. Cela ne signifie naturellement point qu’une collaboration ne se produira pas automatiquement au moment où des négociations précises vont s’engager. [...]
J’ai voulu profiter aussi de ma conversation avec Sir Victor Wellesley que je connais fort bien depuis de nombreuses années pour entendre par lui si les Chefs du Gouvernement travailliste ont pris une décision définitive à l’égard de la politique qu’ils se proposent de suivre envers la Chine et si, le cas échéant, cette politique diffère d’une manière appréciable de celle que poursuivit le Gouvernement conservateur. Mon interlocuteur m’a répondu très confidentiellement qu’il n’a guère pu constater que MM. MacDonald et Henderson eussent des dessins particulièrement marqués et dont ils auraient fait part aux Hauts Fonctionnaires du Foreign Office. En fait, ce sont ces derniers, spécialistes dans une matière aussi compliquée que celle des affaires chinoises, qui décident en quelque sorte du cours de la politique de la Grande-Bretagne. Le Gouvernement travailliste a adopté, bien entendu, la déclaration conciliante à l’égard des revendications de la Chine faite par le Gouvernement conservateur en 19264, mais il peut toutefois être noté que les tendances actuelles sont plus libérales encore. A vrai dire, MM. MacDonald et Henderson ne connaissent guère l’ensemble de ces affaires, car ils sont constamment et fortement engagés ailleurs. On peut en conséquence ne pas exclure que le Gouvernement travailliste adopte, à un moment donné, une attitude sensiblement plus large que celle qui a été tracée dans le dernier document britannique. Il pourrait se faire notamment que le Cabinet de Londres, fidèle à sa politique de libéralité parfois un peu précipitée, se laisse aller à avancer trop rapidement dans la voie de l’abolition complète des privilèges en Chine et surtout sans fixer au préalable aussi soigneusement les garanties nécessaires que ne l’aurait fait un Cabinet plus conservateur.
Je prendrai soin de suivre ici avec attention le développement de cette affaire et de vous tenir au courant. Je vous serais d’autre part très obligé si vous pouviez me donner connaissance à l’occasion des observations qui vous auront été transmises par notre Représentant à Shanghaï et de la situation des Suisses en Chine.
- 1
- Lettre: E 2001 (C) 3/13. Droits d’Exterritorialité en Chine.↩
- 2
- Non reproduit.↩
- 3
- Le 18 décembre 1926, le Gouvernement de Londres propose aux signataires du traité de Washington en 1922 de se déclarer prêts à négocier la révision des traités signés avec la Chine, dès que ce pays aura constitué un gouvernement qui puisse être un interlocuteur valable.↩
- 4
- Cf. n. 2 ci-dessus.↩
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