Je préfère vous écrire en français parce que cela m’est plus facile; mais je n’ai pas besoin de dire que vous voudrez bien me répondre dans votre langue.
J’ai reçu, en son temps, votre rapport confidentiel du 15 octobre au sujet de votre conversation avec M. Rakowski chez M. le professeur Stein. J’ai soumis le rapport au Conseil fédéral qui en a discuté.2
Le Conseil fédéral est d’avis que la conversation avec Rakowski peut continuer, à la condition qu’elle ne prenne pas encore le caractère d’une conversation officielle. Il préfère que la conversation ait lieu à Berlin plutôt qu’à Londres. Il lui paraît, en effet, que le milieu de Berlin offre plus de facilités que le milieu de Londres aux contacts dont il s’agit.
Le Conseil fédéral estime que, pour le moment, le seul objet d’une conversation officieuse doit être la question du boycott. Il faut faire comprendre très nettement à votre interlocuteur (que ce soit Rakowski ou toute autre personne désignée par lui) que le Conseil fédéral refusera toute discussion au sujet d’un règlement commercial ou politique avant que le boycott n’ait été rapporté. Il n’exige pas une mesure formelle dans ce sens; mais il ne discutera pas avec le gouvernement soviétique avant que le boycott soit tombé au moins en fait.
Je ne me cache nullement la difficulté qu’il y a à persuader les agents du gouvernement soviétique de la justesse de ce point de vue du Conseil fédéral. Mais notre opinion publique ne comprendrait pas et n’approuverait pas un autre point de vue.
Tout récemment, un certain M. du Chayla, un Français habitant Genève, qui est un agent bolcheviste, a cherché, par l’intermédiaire du secrétariat de la Société des Nations, à faire renaître la question de l’observateur russe accrédité à Genève. Je vous envoie, comme annexe, le texte de la communication qui m’a été faite par Sir Eric Drummond, et celui de ma réponse.3 Cette réponse a été l’objet d’une discussion préalable du Conseil fédéral. Il me semble que, si le gouvernement russe était de bonne foi, il n’aurait maintenant qu’à cesser ses tentatives, inutiles et peu sérieuses, de nous arracher des excuses que nous ne pouvons pas faire.
Si votre interlocuteur vous demande de savoir si, après la cessation éventuelle du boycott, le Conseil fédéral serait disposé à négocier un arrangement commercial ou à reconnaître de jure\e gouvernement soviétique, vous distinguerez. Une conversation pour un arrangement commercial pourrait être engagée quelque temps après. La reconnaissance de jure, par contre, est une mesure à laquelle notre opinion publique n’est pas encore préparée. Le Conseil fédéral, avant de pouvoir s’y décider, devrait attendre encore quelques mois et se déterminer d’après les circonstances.
Mon opinion personnelle est bien que la Confédération devra un jour se décider aussi à cette reconnaissance de jure: je ne vois pas, en effet, comment nous pourrions faire une politique différente de celle de la grande majorité des autres États. Le Conseil fédéral veut, cependant, être très prudent et désire ne pas s’engager encore.
Je sais parfaitement, M. le Ministre, que votre tâche est délicate et ardue. Mais je compte sur vous pour que votre interlocuteur futur comprenne bien que la levée du boycottest, pour la Suisse, une condition préalable et sine qua non de toute autre discussion.
Dès que vous aurez eu une nouvelle conversation, – pour laquelle aucune hâte n’est d’ailleurs indispensable, – vous voudrez bien nous faire rapport4 pour des instructions nouvelles.