Classement thématique série 1848–1945:
II. LES RELATIONS BILATERALES ET LA VIE DES ETATS
II.6. Brésil
II.6.1. Le traité d’arbitrage
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 8, doc. 297
volume linkBern 1988
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
Archival classification | CH-BAR#E1004.1#1000/9#11902* | |
Dossier title | Beschlussprotokoll(-e) 16.11.-16.11.1923 (1923–1923) |
dodis.ch/44939 CONSEIL FÉDÉRAL
Procès-verbal de la séance du 16 novembre 19231 2474. Conclusion d’un traité relatif au règlement judiciaire des litiges qui viendraient à s’élever entre la Suisse et le Brésil
Procès-verbal de la séance du 16 novembre 19231
Le Département politique soumet au Conseil fédéral un rapport et des propositions concernant la conclusion d’un traité relatif au règlement judiciaire des litiges qui viendraient à s’élever entre la Suisse et le Brésil. Comme à la plupart des Etats faisant partie de la Société des Nations qui n’ont pas reconnu la juridiction obligatoire de la Cour permanente de Justice internationale dans les limites de l’article 36, alinéa 2, de son Statut2, le Département politique avait fait savoir au Gouvernement brésilien que le Conseil fédéral était prêt à conclure avec lui un traité général d’arbitrage se rattachant, autant que possible, à la disposition de l’article 36 susvisé et instituant, parallèlement à la procédure arbitrale, une procédure d’enquête et de conciliation.
Le Gouvernement brésilien a réservé un accueil en partie favorable à ces ouvertures. Il a remis à la Légation de Suisse à Rio-de-Janeiro un projet3, rédigé en langues portugaise et française, de la convention qu’il serait disposé, pour sa part, à conclure avec la Suisse.
Le projet brésilien passe sous silence la procédure de conciliation. Comme la question de l’institution d’une procédure de ce genre avait été nettement posée au Ministère brésilien des Affaires étrangères, on peut en conclure que le Gouvernement du Brésil n’éprouve pas une prédilection marquée pour cette procédure et qu’il préfère n’en pas introduire le principe dans la convention envisagée. C’est tout au plus s’il y fait une allusion dans l’article premier de son projet («ou par tout autre moyen de résoudre amicalement des litiges internationaux»). Il importe, toutefois, de reconnaître que, vu la portée très générale de l’article premier, qui embrasse tous les litiges de quelque nature qu’ils soient, le système de la conciliation ne rendrait pas tous les services qu’on peut attendre. On peut donc fort bien s’en passer dans les rapports avec le Brésil, d’autant plus que l’organisation d’une commission permanente de conciliation avec un pays aussi lointain pourrait conduire à des difficultés pratiques hors de proportion avec l’importance des différends à résoudre.
Le Gouvernement brésilien est, cependant, d’accord – c’est ce qui confère à son projet un intérêt tout particulier – de soumettre à la Cour permanente de Justice internationale tous les litiges, de quelque nature qu’ils soient, qui viendraient à s’élever entre les deux pays et n’auraient pu être résolus, soit par la voie diplomatique, soit par toute autre voie de conciliation. La règle ne souffre qu’une exception: seront exclus de la juridiction obligatoire de la Cour permanente de Justice les différends qui porteraient sur des questions affectant des principes constitutionnels de l’un ou de l’autre des deux Etats.
Cette réserve est importante; du moins, elle peut le devenir. Elle est de nature à fournir à un Etat un prétexte commode pour se dérober, lorsqu’il y verrait un avantage, à une procédure judiciaire. Le rapport du Conseil fédéral aux Chambres fédérales concernant les traités internationaux d’arbitrage, du 11 décembre 19194, a combattu cette restriction du principe de l’arbitrage obligatoire. «Une telle exception, exposait-il, est injustifiée, la distinction à faire entre la constitution et la loi ordinaire étant une question de droit interne qu’un Etat étranger n’a ni le droit ni le devoir de soulever. La Suisse n’a jamais fait d’elle-même une réserve de ce genre et elle ne pourrait y songer qu’en vertu du principe de la réciprocité.»
Si peu justifiée que soit pareille réserve, elle ne doit néanmoins pas constituer une pierre d’achoppement pour le traité qu’on nous offre de conclure. Ce serait lui accorder une importance exagérée. Quant à essayer d’amener le Gouvernement brésilien à y renoncer, l’entreprise serait malaisée et même vouée d’avance, de l’avis du Département politique, à un échec quasi certain. Le Brésil, comme d’ailleurs la plupart des Etats de l’Amériquedu Sud, attache une valeur toute particulière à tout ce qui peut assurer, vis-à-vis de l’étranger, l’intangibilité de certains principes découlant de sa constitution, tels que ceux, par exemple, qui règlent le droit de nationalité. Il suffira de rappeler que l’Argentine, avec laquelle des pourparlers pour la conclusion d’un traité d’arbitrage sont également engagés, avait déclaré d’emblée, qu’elle ne saurait se lier par un traité dont le champ d’application ne s’arrêterait pas aux «questions qui affectent les préceptes de la constitution politique des Etats». L’idée de dresser une véritable muraille de Chine entre l’arbitrage et le domaine réservé à la constitution n’est donc pas d’inspiration uniquement brésilienne. La réserve en cause a, au contraire, toute la valeur d’un principe fondamental de droit américain.
Certes, des onze traités d’arbitrage que le Brésil a conclus, à notre connaissance, avec des Etats étrangers, deux seulement (traité avec l’Italie du 22 septembre 1911 et traité avec le Danemark du 27 novembre 1911) formulent la réserve des principes constitutionnels. Mais ces deux traités, qui, entre parenthèses, sont les derniers conclus avec le Brésil (tous les autres datent de 1909 et 1910), sont les seuls qui ne renferment pas la clause des intérêts vitaux, de l’honneur et de l’indépendance des Etats contractants. Avec cette clause, la réserve touchant aux principes constitutionnels devenait superflue, car, chaque Etat demeurant libre d’apprécier si tel litige affecte ou non ses intérêts vitaux, son honneur ou son indépendance, le Brésil eût toujours pu faire jouer cette réserve, vu son extrême élasticité, chaque fois qu’une contestation eût mis en cause l’application d’un principe de sa constitution. La clause des intérêts vitaux, de l’indépendance ou de l’honneur abandonée, comme c’est le cas dans les traités d’arbitrage avec l’Italie et le Danemark ce serait le cas dans le traité avec la Suisse, les principes constitutionnels devaient immanquablement faire, à eux seuls, l’objet d’une réserve expresse et formelle.
Quoi qu’il en soit, le cas pourrait assez facilement se présenter où l’un des deux Etats se prévaudrait, sans que la Partie adverse y vît une raison plausible, de la clause des principes constitutionnels, d’où contestation sur la question de savoir si le traité est applicable ou non. Il serait de l’intérêt des Parties de prévenir des discussions irritantes, voire interminables sur ce point. Aussi pourrait-on prévoir, par une disposition expresse du traité, qu’en cas de divergence de vues sur l’applicabilité de la réserve des principes constitutionnels, cette question préjudicielle serait également soumise à la décision de la Cour permanente de Justice internationale. Il demeurerait, toutefois, entendu que, si le Brésil voyait dans une disposition de ce genre une atteinte à la liberté d’appréciation qu’il tient à conserver à tout prix, la Suisse n’insisterait pas sur sa proposition, la meilleure garantie de l’application loyale d’un traité étant encore la bonne foi dont les Parties font preuve dans l’exécution de leurs obligations réciproques.
Si, conformément à l’article premier du projet brésilien, tous les litiges, de quelque nature qu’ils soient, exception faite pour ceux qui mettent en jeu des principes constitutionnels, sont susceptibles d’un règlement judiciaire, on peut se demander s’il ne conviendrait pas de formuler tout au moins une réserve pour les différends qui mettraient en balance les «intérêts vitaux» de l’un ou de l’autre Etat. Vis-à-vis d’un Etat aussi lointain que le Brésil et avec lequel la Suisse entretient des rapports qui, en raison de cet éloignement même, ne peuvent guère, sur telle question donnée, s’envenimer – pour mettre les choses au pire – au point de menacer l’indépendance politique de l’un des deux pays, il n’apparaît pas qu’il soit besoin de s’armer d’une précaution de ce genre contre un pouvoir appréciateur excessif de la Cour permanente de Justice internationale. Celle-ci offre de telles garanties d’impartialité et d’équité qu’on peut fort bien, sans crainte de voir se retourner un jour contre soi le libéralisme qu’on professe en matière d’arbitrage, affronter les arrêts de La Haye sur tous les litiges qui viendraient à surgir entre la Suisse et le Brésil.Ces points posés, le rapport du Département politique examine le projet brésilien, et constate tout de suite qu’il paraîtrait difficile de l’accepter tel quel. En l’étudiant de très près, le Département politique a dû constater que le projet brésilien doit être remanié aussi bien quant au fond que quant à la forme et cette constatation a amené le Département à élaborer un contre-projet, destiné à être transmis au Gouvernement du Brésil. Le Département soumet ce contre-projet à l’approbation du Conseil fédéral.
Conformément à la proposition du Département politique, il est décidé:
1°) d’approuver le contre-projet, présenté par le Département politique, de traité relatif au règlement judiciaire des litiges qui viendraient à s’élever entre la Suisse et le Brésil;
2°) de charger la Légation de Suisse à Rio-de-Janeiro de le soumettre au Gouvernement brésilien.5
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