Classement thématique série 1848–1945:
II. LES RELATIONS BILATERALES ET LA VIE DES ETATS
II.12. France
II.12.1. La question des zones franches de Haute-Savoie et du Pays de Gex
Imprimé dans
Documents Diplomatiques Suisses, vol. 8, doc. 293
volume linkBern 1988
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Archives | Archives fédérales suisses, Berne | |
▼ ▶ Cote d'archives | CH-BAR#E2#1000/44#1678* | |
Ancienne cote | CH-BAR E 2(-)1000/44 293 | |
Titre du dossier | Schiedsordnung vom 30.10.1924 betr. die Freizonen von Hochsavoyen und Gex (1923–1923) | |
Référence archives | B.137.2 |
dodis.ch/44935
En confirmation de mes télégrammes 25 et 262 d’hier et pour satisfaire au désir que m’a exprimé votre dépêche no 48 de cet après-midi3, j’ai l’honneur de vous faire savoir que la situation m’a paru suffisamment sérieuse pour demander à M. le Président du Conseil d’être reçu par lui afin de développer verbalement les arguments contenus dans notre note du 17 octobre.4
M. Poincaré m’a accueilli si aimablement que j’ai eu une minute de faux espoir; j’ai tout d’abord expliqué que, contrairement à certaines informations de presse, je ne venais nullement apporter de nouvelles propositions, mais simplement appuyer la thèse développée par le Conseil fédéral dans la note que j’avais remise mercredi à M. Peretti de la Rocca. A ce moment, M. Poincaré m’a interrompu pour me dire que son collaborateur immédiat lui avait relaté notre entretien et qu’il n’avait rien à ajouter ou à retrancher aux déclarations de M. Peretti, interprète de sa pensée (voir mes télégrammes 22 et 23 du 17 octobre).5 Cachant la déception que me causait une affirmation aussi nette, je tins à aborder les deux alternatives qu’a posées votre communication au Gouvernement français et j’exposai à M. Poincaré que, si l’application de la loi du 16 février pouvait être suspendue, le Conseil fédéral serait disposé à poursuivre la négociation et à présenter les propositions à l’élaboration desquelles la Chambre de Commerce de Genève a mis tant de soins; à cela, le Président du Conseil, qui continuait à s’exprimer sur le ton le plus courtois (contraste avec l’énervement manifesté par M. Peretti), m’a objecté qu’il était constitutionnellement impossible de suspendre la mise en vigueur du décret paru au «Journal Officiel» du 12 courant pour appliquer ladite loi et que le Gouvernement ne saurait modifier le délai que lui a laissé le Parlement, délai qui, semble-t-il, ne peut dépasser la période d’une session à l’autre (ceci ne nous fut jamais dit); d’ailleurs – poursuivit M. Poincaré – le Gouvernement fédéral avait été prévenu à différentes reprises du désir de la France de voir régler la question avant la rentrée d’automne des Chambres.
J’ouvre une parenthèse pour constater qu’en effet j’ai été plusieurs fois amené à vous signaler, depuis le vote référendaire, l’impatience croissante du Gouvernement français (voir mes rapports des 17 et 30 mai6);en outre lorsqu’il me remit les propositions françaises du 27 juillet, M. de Lacroix m’avait fait part du désir du Cabinet de Paris d’arriver à une entente avec nous pour l’automne (voir mon rapport du 27 juillet7)et, à la suite d’un entretien avec le même M. de Lacroix, M. le Chargé d’Affaires de Week vous avait écrit le 13 août8 que les intentions du Gouvernement de la République étaient d’appliquer dès la rentrée parlementaire la loi votée par le Parlement. Mais vous avez, M. le Conseiller fédéral, répondu dans votre conversation du 16 août avec M. l’Ambassadeur Allizé en exposant que vous espériez pouvoir faire une proposition en automne et en demandant que nous ne soyons pas bousculés; vous aviez eu la prudence d’ajouter (voir votre lettre du 23 août à M. de Week)9 que l’application de la loi française sans entente préalable avec nous serait une violation des traités; j’ignore dans quels termes M. Allizé a rapporté vos propos au Quai d’Orsay. Enfin, en septembre, M. Dinichert avait annoncé à M. Allizé que les travaux avançaient à Genève et que dans le courant d’octobre, le Conseil fédéral serait en mesure de soumettre à Paris un projet de convention. Dans ces conversations personne, du côté français, ne paraît avoir jamais fait allusion au délai d’un mois dont il avait été question en 1919 dans des conditions toutes différentes.
M. Poincaré insinua qu’à Genève on n’avait peut-être pas eu connaissance de l’insistance française à recevoir nos propositions; je répliquai que vous vous étiez personnellement entretenu de la question, pendant votre séjour de septembre à Genève, avec le Président et le Secrétaire Général de la Chambre de Commerce, que j’avais eu, moi aussi, à la mi-septembre, une conversation avec ces messieurs, et que jamais rien n’avait laissé entrevoir la publication du décret un mois avant la rentrée du Parlement français; j’ai ajouté que, sans vouloir le moins du monde m’immiscer dans une question interne, je n’arrivais pas à comprendre pourquoi, vis-à-vis des Chambres, le chef du Gouvernement avait tenu à ce que le cordon douanier fût chose faite dès le 10 novembre, c’est-à-dire avant la date probable de la réunion du Parlement (13 novembre) alors qu’il eût pu suffire, bien entendu au seul point de vue français, de publier le décret le 12 novembre pour couper court à des interventions parlementaires qui auraient pu se produire dès le lendemain; je suis même allé plus loin et j’ai dit à M. Poincaré: «du reste, au risque de vous froisser»... M. Poincaré m’interrompant:» venant de votre part, mon cher Ministre, rien ne me froissera»; moi, continuant: «nous avons été bousculés». Le Président du Conseil s’en défendit absolument en faisant valoir que, respectueux de la décision du Parlement et talonné par le voeu unanime du Conseil général de la Haute-Savoie, il avait dû tenir compte de ces manifestations au même titre que le Conseil fédéral observe le résultat du referendum; M. Poincaré ne m’a d’ailleurs pas célé que même ceux qui, porte-parole d’intérêts zoniers, avaient formulé naguère des réserves, avaient maintenant changé d’opinion, et que les populations savoyarde et gessienne étaient pour le transfert à la frontière du cordon douanier; je vous ferai observer qu’elles vont toucher pendant trente ans l’indemnité prévue par la loi de 40 frs. par tête d’habitant (y compris les morts de la guerre), et cela explique bien des choses; en outre d’ores et déjà des mesures ferroviaires paraissent avoir été prises pour détourner vers Lyon les produits des zones.
Voyant que je ne pouvais rien obtenir pour la suspension de l’application de la loi du 16 février, j’abordai le second point: celui de l’arbitrage, et je n’y fus pas plus heureux, bien qu’à diverses reprises j’aie repris le sujet et fait valoir notre point de vue. Mais, aux objections que m’avait déjà présentées M. Peretti (il n’y a pas conflit, la négociation diplomatique n’est point terminée et la France attendait les propositions suisses), le Président du Conseil en ajouta deux autres: l’arbitrage ne saurait être admis pour des motifs d’ordre général (le Président du Sénat m’avait déjà tenu le même langage) et parce que le douanier français à la frontière française est une question de souveraineté nationale. Je n’ai pas pu amener M. Poincaré à changer son avis très positivement exprimé à ce sujet. Vous vous souvenez du reste qu’à maintes reprises, nous avions été prévenus que le Gouvernement français n’accepterait pas de procédure arbitrale et lors de mon entretien du 11 avril dernier avec M.le Président de la République, j’en avais recueilli la déclaration catégorique de la bouche même de M. Millerand (voir mon télégramme no 61 du même jour et mon rapport du lendemain).10 L’effort personnel que j’ai fait hier en faveur d’une réponse favorable à votre proposition d’arbitrage n’a pas eu le succès que, malgré ces avertissements, je m’étais imaginé pouvoir peut-être obtenir.
Et comme je devais lui paraître assez découragé, M. Poincaré ajouta que, dans la réponse écrite qu’il m’adressera d’ici 3 ou 4 jours, il se proposait de revenir sur sa suggestion de continuer la négociation et de prendre connaissance de nos propositions; mais je rappelai que notre note du 17 octobre11 déclare que nous ne pouvons pas négocier sans la suspension du malencontreux décret; M. le Président du Conseil eut cette répartie: «Oh! alors, si c’est une question d’amour-propre», sur quoi j’insistai encore dans le sens de notre manière de voir.
Mais l’entretien n’était pas terminé; M. Poincaré tint à relever – comme l’avait fait M. Peretti – le fait d’avoir publié à Berne, sans entente préalable entre les deux Gouvernements, les notes échangées récemment dans l’affaire des zones; il me déclara que, sauf avec l’Allemagne (et il eut un geste de regret comme pour s’excuser de ce rapprochement), le Cabinet de Paris se met toujours d’accord avec les autres Gouvernements pour établir s’il y a opporunité à publier des correspondances diplomatiques et, le cas échéant, ce qu’il faut en livrer à la publicité.
En outre le Président du Conseil, revenant sur les droits de la démocratie, exprima l’avis que notre disposition constitutionnelle concernant le referendum pour les traités de durée supérieure à 15 ans nous réserverait probablement encore d’autres préoccupations internationales, parce que maint Etat hésitera à s’engager avec nous sous réserve d’une semblable stipulation; il a émis l’avis que cela pouvait conduire d’une manière générale à des situations impossibles comparables – sans qu’il y ait de rapport – à celle des Etats-Unis qui après être venus à Versailles signer un traité de paix, ne l’ont pas ratifié.
Enfin, mon interlocuteur fit une allusion aux échos qui lui étaient parvenus de conversations privées que MM. Borgeaud et Albert Picot, venus ici au nom d’associations genevoises pour la Société des Nations, avaient déjà eues avec quelques personnalités parisiennes (entr’autres le recteur Appell, M. Hanotaux, etc.) et au cours desquelles le danger avait été évoqué que pourrait courir, dans l’opinion publique suisse, le prestige de la Société des Nations, si l’arbitrage venait à être refusé par la France, membre au même titre que la Suisse de la SdN: j’ai répondu que le Conseil fédéral était complètement étranger au voyage et aux démarches de nos compatriotes.
En résumé, si j’ai trouvé le Président du Conseil parfaitement aimable dans la forme et protestant à diverses reprises de ses sentiments amicaux envers la Suisse, il est demeuré immuable sur ses positions et persistant à désirer la négociation que la mesure «conservatoire» de la France ne devait nullement interrompre; et, en me reconduisant, il m’a encore répété son intention de revenir sur ce point dans sa réponse, malgré ce qui est dit dans notre note à ce sujet.
L’opinion de M. Poincaré se modifiera-t-elle au cours de la rédaction de la réponse qui nous sera incessamment adressée? Je n’ose guère l’espérer bien que, dans la presse française, plusieurs voix s’élèvent qui conseillent d’accepter l’arbitrage (voir entr’autres les «Débats» et «le Journal»); mais seront-elles entendues?
Avant le vote référendaire du 18 février, j’avais été de ceux qui préconisaient l’acceptation de la Convention du 7 août 1921, parce que je savais pertinemment que nous n’aurions rien de mieux et qu’il était préférable d’avoir un accord, dût- il ne satisfaire personne, plutôt que de se trouver devant l’inconnu; aujourd’hui que l’acte unilatéral de la France nous met dans l’impasse la plus angoissante, je pense aux promoteurs du referendum et je me dis qu’eux aussi portent leur part de responsabilité.
Un mot encore: j’ai le sentiment que les sphères politiques françaises ne se sont pas suffisamment rendu compte de l’émotion intense que causerait en Suisse la publication précipitée du décret; cette émotion si profonde et si légitime ne parvient qu’atténuée à Paris.
Trois de mes collègues étrangers que j’ai eu l’occasion de rencontrer m’ont témoigné l’intérêt qu’ils vouent à cette question: le Ministre de Suède, qui fut naguère à Berne, m’a spontanément déclaré combien il comprend notre point de vue; l’Ambassadeur de Belgique m’a dit: «Vous n’obtiendrez rien d’eux (sic)»; quant au Ministre des Pays-Bas, qui a été plusieurs années Ministre des Affaires étrangères à La Haye, et est un esprit très avisé (vous connaissez personnellement M. Loudon), il partage aussi notre manière de voir, mais se demande toutefois si la négociation diplomatique ne devrait pas se poursuivre au moins jusqu’au 10 novembre12, c’est-à-dire tant que la menace constituée par le décret n’est pas mise à exécution.
Il est bien entendu que je vous télégraphierai, aussitôt reçue, la réponse officielle du Gouvernement français.13
- 1
- Lettre: E 2/1678.↩
- 2
- Non reproduits.↩
- 3
- Non reproduite.↩
- 4
- Cf. no 292, Annexe 2.↩
- 5
- Non reproduits.↩
- 6
- Non reproduits.↩
- 7
- cf. no 283.↩
- 8
- Non reproduit.↩
- 9
- Non reproduit.↩
- 10
- Cf. no 267.↩
- 11
- Cf. n“ 292, Annexe 2.↩
- 12
- Point d’exclamation en marge de ce passage.↩
- 13
- 11.En effet, dans sa note du 25 octobre, Poincaré répondait à la note du Gouvernement suisse du 17 octobre: si ces propositions (celles du Gouvernement suisse) sont prêtes, le Gouvernement français les accueillera avec plaisir et les mettra immédiatement à l’étude dans l’esprit le plus amical et le plus conciliant (E 2/1678). Le 31 octobre, Dunant transmit la réponse du Conseil fédéral disant que le Conseil fédéral se réjouirait de cette déclaration s’il était sûr que le Gouvernement de la République ne se refuse plus, comme il l’a fait invariablement jusqu’ici, à discuter aussi des propositions qui ne prévoient pas l’établissement du cordon douanier à la frontière politique. Un éclaircissement préalable du Gouvernement français sur ce point essentiel est d’autant plus indiqué que la loi du 16 février 1923 est basé sur le principe contraire. Le Gouver- nement suisse sollicitait divers éclaircissements à propos de certains passages de la note française et de son silence à propos de la propositions d’arbitrage. Sur la préparation du texte de la réponse suisse, cf. aussi Procès-verbal de la Séance du Conseil fédéral du 29 octobre. E 1004 1/289.↩
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