Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 8, doc. 254
volume linkBern 1988
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
Archival classification | CH-BAR#J1.1#1000/1392#196* | |
Dossier title | Nr. 11: 27.12.1922-21.6.1923 (1918–1939) | |
File reference archive | 15-11 |
dodis.ch/44896 Le Chef du Département politique, G. Motta, au Ministre de Suisse à Paris, A. Dunant1
Je voudrais attirer, par quelques lignes, votre attention particulière sur l’importance de la prochaine séance du Conseil de la Société des Nations qui aura lieu à Paris, à partir du 29 courant.
Vous avez sans doute connaissance du mouvement d’opinion très fort qui s’est produit dans la Suisse allemande tendant à demander que le Conseil fédéral intervienne auprès de la Société des Nations en vertu de l’art. 11 du Pacte. Vous connaissez également la décision prise par le Conseil fédéral dans sa dernière séance, à ce sujet.2
L’argument décisif pour l’abstention expectante a été celui-ci. Ou bien le Conseil de la Société vouera toute son attention à la question de la Ruhr (ce qui semblerait bien naturel et par conséquent bien probable) et le but de l’intervention serait pleinement atteint dans la meilleure et plus utile manière. Ou bien le Conseil ne voudra pas s’occuper de la question et cela signifiera qu’il s’est trouvé sur son chemin des obstacles politiques et juridiques qu’il était impuissant à éliminer même si la Suisse lui avait demandé d’intervenir sur la base de l’art. 11 du Pacte.
L’opinion suisse est, d’ailleurs, très divisée. On peut admettre que la majorité de la Suisse allemande désirait une démarche du Conseil fédéral, mais il faut admettre également que l’unanimité de la Suisse française condamnait toute idée d’intervention. Cette intervention n’est pas seulement un mal pour notre politique intérieure, elle aurait par avance paralysé et pire encore détruit la valeur morale et politique du geste du Conseil fédéral.
Je suis donc persuadé que l’expectative était la seule attitude raisonnable.
Cela ne m’empêche pas de considérer que si le Conseil de la S.d.N., réuni à Paris, devait faire semblant de demeurer dans une passivité absolue, cela serait d’un discrédit sérieux pour l’institution de la S.d.N., en Suisse et dans le monde entier.
Je désire donc ardemment que le Conseil montre par un acte ou par un geste qu’il a saisi toute la gravité de la situation internationale et qu’il est prêt, pour sa part, à offrir son concours pour une solution juste et équitable du problème des réparations et des problèmes connexes.
J’ai quelques raisons d’espérer que M. Branting – qui voulait s’arrêter à Berne entre deux trains, si la session du Conseil avait eu lieu à Genève, pour avoir avec moi une conversation confidentielle – voudra bien d’une manière ou d’une autre, provoquer une discussion. Je vous prie de tâcher de le voir d’une manière prudente et de lui dire à titre tout à fait officieux et sans qu’il puisse s’en prévaloir officiellement, que le Conseil fédéral suivrait avec sympathie une initiative tendant à rappeler l’attention du Conseil de la S.d.N. sur le conflit franco-allemand et sur les questions qui s’y rapportent.
Je sais que M. Jean M. de Montenach, votre ancien collaborateur, sera à Paris à l’occasion du Conseil. Il se tiendra sans doute en contact avec vous; il me l’a même déclaré expressément. Vous m’obligerez beaucoup en me tenant au courantd’une manière suivie sur ce qui se passera dans le Conseil au sujet de la question des réparations. Le Conseil fédéral s’est réservé, en effet, toute liberté d’action, si la situation qu’il avait devant les yeux au moment de sa décision, devait se modifier d’une façon considérable.
Nous ignorons, malheureusement, les idées de l’Allemagne vis-à-vis d’une intervention de la S.d.N. Je ne crois pas me tromper beaucoup en admettant que ces idées sont de profonde défiance. Cela complique encore la situation. J’ai même des raisons pour penser que le Gouvernement allemand n’aurait pas envisagé avec plaisir une intervention suisse.
J’ai tenu à vous écrire moi-même, de ma main, pour vous montrer que j’attache une très grande importance à être renseigné d’une manière exacte et rapide.3 Je compte d’ailleurs sur votre dévouement bien éprouvé et auquel je me plais à rendre un sincère hommage.
- 1
- Lettre (Copie): J.l. 1,1/22.↩
- 2
- Cf. no 252.↩
- 3
- Par lettre du 26 janvier, Dunant répondait: Votre lettre personnelle d’hier retient ma plus sérieuse attention; Vous pouvez être certain que je suivrai de très près ce qui se fera ou se dira au Conseil de la S.d.N. qui s’ouvre après-demain à Paris sous la présidence de M. Viviani. Avanthier, j’ai dîné avec ce dernier à l’Elysée et je lui ai demandé tout-à-fait incidemment s’il avait entendu dire que M. Branting eût l’intention d’aborder – au cours du prochain Conseil – la question des réparations. M. Viviani, dont vous connaissez le vocabulaire plutôt fort, m’a tout de suite répondu que si le délégué suédois faisait une incursion dans le domaine de la Ruhr, il ne le laisserait pas parler! M. Viviani a même employé une expression beaucoup plus «coloriée» et a ajouté que la question des réparations ne regarde que les signataires du Traité de Versailles, et personne d’autre. Pendant que l’ancien Président du Conseil me tenait ce ferme langage, un de mes collègues s’entretenait avec le Directeur politique Peretti et recueillait de lui le propos suivant: «nous sommes absolument décidés à être fermes dans la Ruhr et comme nous avons le bon droit pour nous, nous n’accepterons aucune proposition de médiation.» Vous voyez que si M. Branting veut tenter quelque chose, même aussi délicatement que possible, il trouvera un terrain peu propice à y recevoir sa semence. Mais je surveillerai de près ce qu’il fera pendant son séjour à Paris et je Vous promets de Vous tenir au courant. Je suis frappé de constater combien les milieux politiques français affectent d’être satisfaits de la marche des événements dans la Ruhr: on a l’air de trouver que s’il y a des difficultés, elles sont conformes au programme; il y a, dans les sphères gouvernementales, une sereine résolution d’aller jusqu’au bout; et l’on est certain que l’homme qui tomba Lloyd George saura avoir raison de la résistance allemande (E 2001 (B) 11/1).↩