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Documents Diplomatiques Suisses, vol. 8, doc. 162
volume linkBern 1988
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Archives | Archives fédérales suisses, Berne | |
Cote d'archives | CH-BAR#E7350#1000/1104#157* | |
Titre du dossier | Verhandlungen mit dem Ausland betr. Kohlenlieferungen in die Schweiz: Deutschland, England, Belgien und Frankreich (1914–1918) | |
Référence archives | 5.3.05 |
dodis.ch/44804
Le Ministre de Suisse à Paris, A. Dunant, au Chef du Département de l’Economie publique, E. Schulthess1
Par votre office 14/1 du 20 de ce mois2, vous avez bien voulu me mettre au courant des démarches effectuées à Berlin par M. de Planta sur la base de la réponse de la Commission des Réparations dont mon télégramme du 16 reproduisait la teneur.3 Il ressort de votre communication que le Commissaire des Charbons du Reich n’autorise qu’une exécution partielle et tout-à-fait insuffisante du contrat Becker pendant le mois de janvier et qu’il déclare ne pouvoir même prendre l’engagement d’en faire autant pendant les mois suivants. Il invoque Pimpossiblilité d’exécuter intégralement le programme des charbons de réparation, exécution dont la C.R. a, dit-il, fait une condition de l’autorisation donnée à l’Allemagne d’exporter dès à présent des charbons. En présence de cette interprétation de l’avis de la C.R., interprétation qui ne cadre pas avec celle que vous avez cru pouvoir donner à mon télégramme, vous avez bien voulu me charger de tirer l’affaire au clair dans de nouvelles démarches auprès de la C.R. et d’obtenir de celle-ci qu’elle déclare autoriser sans réserve aucune l’intégralité des livraisons prévues dans le contrat Becker. Vous avez, en outre, exprimé le désir de posséder une copie de la réponse que nous a faite la C.R.
Vous voudrez bien trouver ci-joint copie de cette réponse4, que, vous le voyez, mon télégramme précité reproduisait presque littéralement. Elle nous avait paru une confirmation sinon très explicite, du moins suffisamment évidente – grâce, surtout, à son deuxième alinéa – de l’exposé que M. Mosca, Directeur du Bureau des Charbons, nous avait fait verbalement de la décision de la C.R. et que j’avais reproduit dans mon rapport du 6 janvier.5
Dans de nouveaux entretiens, nous venons d’attirer l’attention de M. Mosca sur l’interprétation donnée, à nos dépens, par les autorités allemandes à la décision qui leur a été communiquée par la C.R. – Nous lui avons demandé si l’autorisation qui leur a été donnée d’exporter jusqu’à fin avril ne pourrait pas leur être confirmée dans des termes qui les privent de la possibilité de se dérober à l’exécution du contrat Becker en invoquant, dès à présent, l’impossibilité d’exécuter le programme des charbons de réparation; il faudrait, pour cela, avons-nous dit à M. Mosca, qu’il ressortît bien nettement des termes de la notification, que la sanction prévue en cas d’exécution incomplète dudit programme d’ici au 30 avril, soit l’interdiction d’exporter, ne devait être appliquée ç \vl après\& 30 avril, que rien ne pouvait donc s’opposer d’ici là à ce que fût livré à la Suisse tout le charbon qui lui est dû par l’Allemagne.
M. Mosca nous a dit alors que par la rédaction de la communication déjà faite à l’Allemagne il avait été satisfait d’avance au désir que nous exprimions; et pour nous en convaincre, il nous a donné connaissance des termes mêmes de cette communication; il s’est excusé de ne pouvoir nous en remettre une copie, mais comme il a bien voulu nous la lire deux fois, nous sommes en mesure, sinon de garantir l’identité de chaque mot avec celui du texte original, du moins d’affirmer que la version qui en est donnée ci-après en reproduit très exactement le sens et la portée. La note à l’Allemagne dit ceci:
«Après avoir pris connaissance des explications du délégué du Gouvernement allemand, la Commission des Réparations a décidé d’autoriser l’Allemagne à exporter toutes quantités de charbons. Cette autorisation est accordée sur l’assurance donnée par le délégué du Gouvernement allemand que les livraisons prévues au programme des réparations arrêté au 3/5 janvier seront intégralement exécutées. Si, à la date du 30 avril, il devait être constaté que ces assurances n’ont pas été suivies d’exécution, l’autorisation accordée se trouverait dès ce moment annulée.»
Vous remarquerez dans ce texte l’«assurance donnée par le délégué du Gouvernement allemand.» Vous remarquerez également que ce texte implique aussi clairement que possible la décision de la C.R. de renoncer jusqu’au 30 avril à tout contrôle des exportations de charbon allemand. «C’est là, – dit M. Mosca – ce qui nous a autorisés à vous dire que nous avions «fait confiance» à l’Allemagne et que l’exécution du contrat Becker dépendait exclusivement de la volonté du Gouvernement allemand, qui a pleine latitude d’exporter jusqu’au 30 avril tout ce qu’il veut.
Maintenant, si l’Allemagne tient à pouvoir, lorsqu’elle se présentera le 30 avril devant la C.R. avec un compte de livraisons déficitaire, invoquer à sa décharge le fait qu’elle a refusé toute exportation aux neutres pour pouvoir mieux s’acquitter vis-à-vis de l’Entente, c’est là un scrupule qu’il ne peut pas appartenir à la C.R. de faire tomber. La C.R. a pour tâche unique d’assurer les réparations. Un avis de sa part qui n’aurait pas d’autre but que d’inciter le Gouvernement allemand à autoriser telle exportation en lui rappelant que sa liberté à cet égard n’est, jusqu’au 30 avril, restreinte par aucune condition quelconque, un tel avis irait à fin contraire du résultat que doit poursuivre cette Commission; il ne pourrait être interprété par l’Allemagne que comme une autorisation de prélever sur les quantités à livrer à l’Entente ce qu’il faut pour satisfaire le neutre. C’est d’ailleurs, sans doute, ce que l’Allemagne fera, pour peu qu’elle vous livre quelque chose, mais il ne saurait être dans le rôle de la C.R. de l’y encourager. Le plus que la C.R. a pu faire pour tenir compte des besoins de la Suisse et d’autres neutres, c’est cet essai de laisser à l’Allemagne, pendant un certain temps, l’entière responsabilité de l’exécution des réparations en charbon, sans recourir elle-même (la C.R.), avant que la nécessité n’en soit démontrée, à des mesures qui lèsent les intérêts des neutres; c’est ce crédit de quatre mois fait à l’Allemagne, quatre mois pendant lesquels nous avons décidé de fermer les yeux, laissant l’Allemagne absolument libre d’exporter ce qu’elle veut, quitte à ne plus pouvoir, ensuite, exporter du tout, si, pendant cette période, elle n’a pas tenu ses engagements vis-à-vis de nous.
Laissez-moi vous dire encore que si, aujourd’hui déjà, l’Allemagne vous refuse son charbon, il est à nos yeux trop certain que ce n’est pas pour nous en donner davantage, mais bien pour le destiner à sa propre consommation ou à des exportations plus lucratives que celles qu’elle s’est obligée à vous faire.
A mon avis, si, comme il paraît, vous ne disposez d’aucun moyen de coercition contre l’Allemagne, vous n’obtiendrez l’exécution de votre contrat qu’en le modifiant dans un sens plus avantageux pour elle; sitôt que le prix offert de son charbon commencerait à l’intéresser, vous pouvez être sûr que le scrupule qu’elle vous oppose aujourd’hui tomberait et que vous auriez votre charbon.»
Des propos que je viens de rapporter il ressort que, contrairement à ce qu’elle allègue, si l’Allemagne est convaincue, à la date du 30 avril, de livraisons déficitaires à l’Entente, sa situation morale vis-à-vis de la C.R. ne se trouvera guère améliorée, aux yeux de celle-ci, du fait qu’elle nous aurait refusé pendant ces quatre mois les charbons qui nous sont dus. Mais c’est là, j’en conviens, un argument dont il nous est difficile de faire usage!
Nous ne pouvons cependant perdre de vue l’importance pour nous de ce fait et de la conclusion pratique qui s’en dégage: la sanction que l’Allemagne encourt en cas de livraisons déficitaires à l’Entente sera la même, qu’elle nous livre aujourd’hui ou qu’elle ne nous livre pas, et cette sanction: l’interdiction qui lui sera faite de continuer à exporter (si, comme il est à craindre, nous ne parvenons pas à en éviter l’application), bien que dirigée contre l’Allemagne, n’atteindra, en fait, pas l’Allemagne, mais nous atteindra, nous, à travers elle. Si donc l’Allemagne déclare dès à présent, que ses livraisons à l’Entente seront déficitaires, c’est une raison de plus pour nous d’insister auprès d’elle pour qu’elle nous livre, pendant qu’elle le peut, tout ce qu’elle nous doit.
Une allusion ayant été faite au cas de la Hollande, à qui l’Allemagne continue à livrer et qui paraît à l’abri de toute difficulté, M. Mosca a confirmé le fait en spécifiant que la Hollande n’entre pas en concurrence avec la C.R. parce qu’elle a, sur les 90000 tonnes de charbon qu’elle reçoit de l’Allemagne, un privilège né de l’emprunt consenti par elle depuis l’Armistice pour le ravitaillement de l’Allemagne.
Nous avons alors demandé si, par analogie, il ne devrait pas être reconnu à la Suisse un privilège sur les charbons que lui attribuent les contrats Becker, en raison du concours prêté par la finance suisse à la mise en état d’exploitation des deux mines d’où proviennent ces charbons. Non, a répondu M. Mosca, car, dans le cas de la Hollande trois conditions sont réalisées, qui ne le sont pas dans le cas de la Suisse:
1° Dans le premier cas il s’agit d’un accord entre Gouvernements; dans le second, d’un contrat privé; or, la C.R. ignore les contrats privés.
2° L’arrangement germano – hollandais a été soumis à l’homologation de la C.R. avant toute exécution; le contrat Becker ne l’a pas été et n’aurait pu l’être en tant que contrat privé.
3° L’homologation par la C.R. d’un contrat intéressant l’exportation de charbons allemands est en tout cas soumise à la condition que les prix stipulés soient ceux du marché mondial; la Commission ne pourrait homologuer un accord stipulant le paiement au prix de revient. La Hollande paie pour le charbon qu’elle reçoit d’Allemagne le même prix qu’elle paierait aux Etats-Unis ou ailleurs.
Par tout ce qui précède vous aurez pu vous convaincre, M. le Conseiller Fédéral, qu’il n’y a plus rien à tenter ici, si ce n’est sur une nouvelle base de discussion. Si donc vous ne trouvez pas dans le présent rapport, notamment dans la teneur de la note remise par la C.R. à l’Allemagne, de quoi vaincre la résistance de cette dernière, le moment paraîtrait venu d’examiner si une solution durable ne devrait pas être cherchée auprès de la C.R., en essayant d’intéresser celle-ci à l’exécution du contrat Becker, soit en lui proposant, par exemple, de lui verser une partie du profit réalisé par la Continentale Handels A. G. sur le prix de faveur qui lui est garanti contractuellement. M. Dubler, Directeur de la Continentale Handels A.G. nous avait déjà, lors des visites qu’il nous fit autour du nouvel-an, spontanément fait une suggestion dans ce sens; mais il va sans dire que nous nous garderons, comme nous l’avons fait jusqu’à présent, d’en toucher un mot ici sans instructions de votre part.6
- 1
- Lettre: E EVD 20/56+57.↩
- 2
- Cf. no 161.↩
- 3
- Pour un résumé de ce télégramme, cf. no 161.↩
- 4
- Non reproduite.↩
- 5
- Non reproduit.↩
- 6
- Dans une lettre du 30 janvier au M inistre de Suisse à Berlin (une copie a été remise également au Ministre Dunant), le Conseiller fédéral Schulthess précisa la position suisse: [...] Unser Standpunkt scheint uns in der Angelegenheit folgender sein zu müssen: Es besteht zwischen deutschen und schweizerischen Vertragskontrahenten ein privater Vertrag, der die Billigung der deutschen Regierung und die Unterstützung der schweizerischen besitzt. Die Quantitäten dieses Vertrages spielen für die Reparationsleistung eine ganz untergeordnete Rolle; deswegen allein wird Deutschland kaum in den Fall kommen, seine Reparationslieferungen nicht erfüllen zu können. Daneben hat es einen grossen Inlandbedarf infolge seiner fieberhaft arbeitenden Industrie, der es die Kohlen lieber zuführt als dass es sie ins Ausland zu reduziertem Preise abgibt. Nachdem es nun tatsächlich von der Reparationskommission die Erlaubnis zur Bedienung der Schweiz hat und eine Sicherheit dafür wohl doch nicht besteht, dass die Erfüllung der Reparationsleistungen unmöglich ist, scheint uns, dass eine Belieferung der Schweiz nach Vertrag zu erfolgen hat. Wir wissen auch nicht, ob an andere neutrale Staaten Kohlen geliefert werden. Jedenfalls würde es sich sonderbar ausnehmen, wenn andere Lieferungen stattfinden, die vertragliche Präsidentschaftslieferungen aber unterbleiben oder stark eingeschränkt werden, weil sie Deutschland im Preis ein gewisses Opfer auferlegen. Wir sind überzeugt, dass Sie den schweizerischen Standpunkt weiter energisch wahren werden, und wir hoffen auf Grund Ihrer Depesche, die uns soeben zukommt, auf Entgegenkommen der deutschen Regierung rechnen zu dürfen (E 2200 Paris 1/1780).↩