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Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 8, doc. 24
volume linkBern 1988
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
Archival classification | CH-BAR#E2001B#1000/1508#273* | |
Dossier title | Passage à travers la Suisse des troupes à destination de Vilna (1920–1923) | |
File reference archive | B.56.41.17.10 |
dodis.ch/44666
Par note ci-jointe du 21 décembre 19202, l’Ambassade de France a fait connaître au Département Politique que le Conseil de la Société des Nations avait chargé le Gouvernement français de régler la mise en route, le transit et le ravitaillement du détachement international qui doit assurer, sur le territoire contesté entre la Lituanie et la Pologne, le libre exercice de la consultation populaire.
A cet effet, l’Ambassade a demandé, au nom de son Gouvernement, l’autorisation du Conseil Fédéral de faire passer par la Suisse les contingents belge, britannique et espagnol, ainsi que le train hebdomadaire exigé par le ravitaillement du détachement entier.
La note ajoute qu’il ne s’agit que de mesures préparatoires, la Société des Nations ayant suspendu momentanément la mise en route du détachement. Cependant, elle marque que, celle-ci pouvant avoir lieu d’un moment à l’autre, il est nécessaire que tout soit prêt.D’après le rapport général sur la gestion du Conseil de la Société des Nations qui a été présenté à l’Assemblée, pendant sa première session, et les documents communiqués aux délégués à Genève, l’action de la Société des Nations en vue de résoudre le conflit entre la Pologne et la Lituanie s’est développée comme suit.
Par télégramme du 5 septembre 1920, le Gouvernement Polonais a demandé au Conseil d’envisager de prendre des mesures en vue d’éviter la guerre entre la Pologne et la Lituanie. En conformité avec l’article XVII du Pacte, le Gouvernement lituanien a accepté, pour l’examen de ce différend, les obligations imposées aux membres de la Société des Nations. Devant le Conseil, la délégué polonais a fait ressortir que les dangers de guerre résultaient de la présence de troupes lituaniennes à l’ouest de la frontière provisoire, assignée à la Pologne par une Déclaration du Conseil Suprême en date du 8 décembre 1919. Le représentant de la Lituanie fit observer que cette Déclaration était juridiquement dépourvue de caractère obligatoire pour le Gouvernement lituanien et, en outre, qu’aux termes du Traité de paix conclu, le 12 juillet 1920, entre son Gouvernement et celui des Soviets, un autre tracé partiel avait été prévu pour cette frontière. L’intervention immédiate du Conseil parut nécessaire pour faire accepter provisoirement, par les deux parties, une ligne de démarcation entre les deux zones d’occupation.
A la suite d’une résolution du 28 septembre 1920, le Conseil a proposé aux deux Gouvernements de se lier mutuellement par les engagements suivants:
a) Sous réserve de ses droits territoriaux et en attendant le résultat de ses négociations directes avec la Pologne, le Gouvernement lituanien adopte la ligne provisoire de démarcation de frontière fixée par le Conseil Suprême dans sa déclaration du 8 décembre 1919 et s’engage à retirer ses troupes du territoire situé à l’ouest de cette ligne.
b) Sous réserve de ses droits territoriaux, le Gouvernement polonais, pendant la durée de la guerre entre la Pologne et le Gouvernement des Soviets, s’engage à respecter la neutralité du territoire occupé par la Lituanie à l’est de la ligne de démarcation spécifiée ci-dessus, à la condition que la Lituanie obtienne du Gouvernement des Soviets le respect de la même neutralité.
Par la suite, le Conseil a procédé à la nomination d’une Commission de contrôle chargée d’assurer sur place l’observation, par les parties intéressées, des obligations résultant de leurs engagements. La compétence de cette Commission a été reconnue par les deux parties et elle a réussi, le 7 octobre, à faire conclure un armistice sur toute l’étendue du front.
Au moment de sa réunion à Bruxelles, le 20 octobre 1920, le Conseil de la Société s’est trouvé en présence d’une situation entièrement modifiée. Les troupes polonaises avaient chassé l’armée des Soviets de Grodne et de Vilna et un armistice, puis des préliminaires de paix avaient été signés à Riga, entre la Pologne et la Russie. En outre, le 8 octobre, le général Zeligowski était entré à Vilna, à la tête d’une division polonaise, et avait proclamé un Gouvernement, sous le nom de «Commission administrative de la Lituanie centrale». Le Gouvernement polonais n’a pas tardé à désavouer le général Zeligowski. Il n’est pourtant guère douteux que le Gouvernement polonais favorise en sous-main son entreprise.
En présence de ces faits, le Conseil a proposé qu’une consultation populaire fût organisée, sous les auspices et sous le contrôle de la Société des Nations, pour permettre aux habitants du territoire en litige situé à l’est de la ligne fixée par le Conseil Suprême, le 8 décembre 1919, de faire connaître librement leur désir d’être rattachés, soit à la Lituanie, soit à la Pologne. Il était entendu que le Conseil déterminerait les limites du territoire dans lequel ce plébiscite aurait lieu, ainsi que les mesures nécessaires pour assurer le retrait ou le désarmement de toute force militaire occupant le territoire en litige.
Dans le délai fixé par le Conseil, dans sa séance du 28 octobre, les délégués de la Pologne et de la Lituanie donnèrent l’assurance que leurs Gouvernements étaient prêts à assurer ces recommandations et s’abstiendraient de tout acte d’hostilité.
A Genève, comme la situation, dans le territoire contesté, s’aggravait de jour en jour, le Secrétaire Général de la Société proposa à l’Assemblée, en date du 13 novembre 1920, de prescrire les mesures nécessaires pour l’exécution des décisions de Bruxelles.
Le travail de la Commission du plébiscite devrait être garanti par des troupes fournies par les membres de la Société. Le 21 novembre, le Secrétariat Général fut chargé de proposer aux Gouvernements de Danemark, de la Norvège, des Pays-Bas et de la Suède de fournir des contingents de 100 hommes chacun. Finalement, les Etats suivants, outre les quatre précédents, acceptèrent d’envoyer des troupes: la Belgique, l’Espagne, la France et la Grande-Bretagne.
Le 29 novembre, le Conseil décida, sur la proposition du Gouvernement français, de demander à celui-ci de se charger de régler la mise en route, le transport et le ravitaillement des détachements en cause.
Bien que l’on puisse admettre que le Gouvernement lituanien et le Gouvernement polonais sont d’accord pour qu’il soit procédé conformément à la décision du Conseil de la Société, il y a lieu de relever qu’à Genève le délégué lituanien a exprimé des craintes au sujet de l’attitude éventuelle des Soviets, assurant que, dans le traité de paix avec la Russie, la Lituanie s’était engagée à ne pas tolérer de troupes étrangères sur son territoire. Il semble que le Conseil n’ait pas consenti à prendre ce point en considération, ceci sur l’intervention de la Pologne.
D’autre part, à une date qui n’est pas certaine, mais paraît se placer dans la première quinzaine de décembre, le Gouvernement des Soviets a fait une double démarche à Kovno et à Varsovie pour déclarer qu’il considérerait comme un acte inamical, aussi bien de la Pologne que de la Lituanie, d’admettre des troupes de la Société des Nations, que la Russie ne reconnaît pas et avec certains membres de laquelle elle est en état d’hostilité. La note de M. Joffe au Gouvernement polonais relève que le Gouvernement des Soviets considère le général Zeligowskicomme un général polonais, appuyé par la Pologne. Il considère que sa présence si près de la frontière russe est une menace perpétuelle pour la paix et la sûreté de la République des soviets, que son armée constitue une place de rassemblement pour les rebelles anti-bolcheviks et que, vu les rapports étroits entre lui et le Gouvernement polonais, les Soviets doivent rendre le Couvernement polonais responsable de tous les dommages susceptibles de résulter à leur préjudice de l’activité de Zeligow ski.
Puis, M. Joffe dit:
«Mon Gouvernement proteste aussi énergiquement contre l’envoi de contingents armés à Vilna par divers Etats étrangers en mission, à ce que l’on dit, de cet organisme que l’on est convenu d’appeler la Société des Nations, association d’Etats qui n’est pas reconnue par la République des Soviets. La présence de ces détachements armés peut également servir à préparer de nouvelles actions dirigées contre la République des Soviets, comme il est établi que, pour le moment, la responsabilité de tout ce qui se passe dans le territoire en cause incombe en réalité au général Zeligowski.»
En conséquence, la République des Soviets rend le Gouvernement polonais responsable de toutes les démarches dommageables à son endroit qui pourraient être tentées par Zeligowski et les considérera comme émanant du Gouvernement polonais lui-même.
Le Gouvernement polonais a répondu à cette note:
1° qu’en signant les préliminaires de paix de Riga, la délégation bolcheviste s’est engagée à se désintéresser du conflit entre la Pologne et la Lituanie;
2° que le danger que l’armée de Zeligowski ou toute autre pourrait présenter est illusoire, puisqu’un rideau de troupes polonaises se trouve entre le territoire de la Lituanie centrale et la Russie.
3° que la présence, dans la zone soumise au plébiscite, d’un détachement de la Société des Nations dont la mission est parfaitement déterminée ne saurait porter ombrage au Gouvernement de Moscou.
On peut admettre, soit que le Gouvernement des Soviets conteste la déclaration de la Pologne, soit que les Soviets n’ont pas l’intention de tenir les engagements qu’ils peuvent avoir pris à Riga.
D’autre part, on ne paraît pas connaître la réponse de la Lituanie à la démarche des Soviets. Cependant, les déclarations de son représentant à Genève permettent de supposer qu’elle n’est pas entièrement convaincue de l’exactitude de la thèse polonaise.
Ces données autorisent à mettre, jusqu’à un certain point, en doute que le mutuel consentement de la Pologne et de la Lituanie au principe du plébiscite soit vraiment donné sans réserve. Il y a lieu de remarquer, en outre, qu’en ce qui concerne le désarmement de l’armée de Zeligowski, forte encore de 20000 hommes, et qui est prévu par le Conseil de la Société des Nations, la Pologne s’est bornée à promettre son «appui moral». Elle a déclaré, soit à la Diète, soit à la Société des Nations même, qu’elle ne collaborerait pas à l’éloignement des troupes de Zeligowski du territoire qu’elles occupent.
La difficulté de la situation n’a pas échappé aux Gouvernements occidentaux et, à teneur des nouvelles de la presse, il semble que les Gouvernements éprouvent quelques hésitations à envoyer leurs détachements à Vilna. Le «Times», en particulier, dit «qu’il est évident que les diverses Puissances, qui envoient des contingents, ne désirent risquer une collision de leurs troupes ni avec Zeligowski ni avec personne d’autre». Du reste, le «Times» affirme que l’affaire pourrait parfaitement s’arranger, sans la Société des Nations, si les parties en présence témoignaient de la moindre bonne volonté.
Enfin, il a été constaté au Parlement néerlandais qu’il paraissait peu probable que la Pologne et la Lituanie désirent encore l’immixtion de la Société des Nations dans l’affaire de Vilna. Cela étant, avant de faire voter la loi relative à l’envoi d’un contingent hollandais en Lituanie, le Gouvernement néerlandais aurait décidé de demander au Secrétariat général des renseignements sur la situation présente de l’affaire, tant en ce qui concerne le plébiscite que l’envoi de troupes.
Tout ceci laisse entrevoir que l’examen par nous de la demande formulée par la note française pourrait n’avoir, en fin de compte, qu’une portée académique.Pour déterminer la réponse que la Suisse doit faire à cette demande, il y a lieu, tout d’abord, de considérer les questions d’ordre juridique qu’elle soulève.
En ce qui concerne la nature de l’expédition de la mission confiée aux contingents en cause, constatons qu’il s’agit d’une mission éminemment pacifique. Sur ce point, il convient cependant de mentionner la réponse curieuse donnée par le Secrétariat général au Danemark, qui avait demandé pourquoi on n’avait pas invité la Suisse à fournir, elle aussi, un contingent. Le Secrétariat général répondit que la neutralité de la Suisse exclut toute participation de sa part aux opérations militaires de la Ligue.
En donnant une semblable réponse, le Secrétariat général interprète d’une façon très large la notion d’«opérations militaires» et, par conséquent, celle du terrain d’application de l’article XVI du Pacte. La démarche du Gouvernement français témoigne qu’il ne partage pas, sur ce point, et avec raison, selon nous, l’opinion du Secrétariat général.
Il est de fait que les troupes envoyées à Vilna n’ont pas d’autre mission que celle d’exercer la police. Le but des efforts du Conseil de la Société des Nations est de prévenir la guerre entre la Lituanie et la Pologne, et il est évident que ces efforts ont ici le but le plus haut qui ait été assigné à la Société des Nations.
Le fait de permettre ou de refuser le passage de troupes sur son territoire est l’exercice d’un droit souverain d’un Etat. La Suisse est donc libre, juridiquement, d’accepter ou de refuser la demande que, par l’intermédiaire de la France, lui adresse la Société des Nations. Mais, dans la Déclaration de Londres3, relative à l’application de l’article XVI du Pacte, se trouve cette phrase: «Les membres de la Société des Nations ont le droit de s’attendre à ce que le peuple suisse ne veuille pas s’abstenir lorsqu’il s’agit de défendre les hauts principes de la Société. C’est dans ce cens que le Conseil de la Société a pris connaissance des déclarations faites par le Gouvernement suisse... d’après lesquelles la Suisse reconnaît et proclame les devoirs de solidarité qui résultent pour elle du fait qu’elle sera membre de la Société des Nations...»
Or, si l’accession à la Société des Nations n’implique pas, pour la Suisse, l’obligation juridique d’admettre sur son territoire, en quelle occurence que ce soit, la force armée d’autres membres de la Société, ce serait certainement un acte de mauvaise grâce de créer des difficultés à la Société dans ses efforts pour sauvegarder, dans une partie de l’Europe, une libre consultation populaire, en application du principe de libre détermination. Le passage d’une troupe de police dans de pareilles conditions ne porte aucune atteinte quelconque aux principes de la neutralité, qu’il s’agisse de la neutralité traditionnelle de la Suisse ou de la neutralité, d’ailleurs identique, qui lui a été reconnue dans le Traité de Versailles et dans la Déclaration de Londres.
Le Département estime donc qu’en principe, la demande qui lui a été adressée par l’Ambassade de France devrait être acceptée puisque, d’une part, elle ne porte aucune atteinte à la neutralité de la Suisse et que, d’autre part, elle sert les plus hauts intérêts de l’humanité pour la sauvegarde desquels la Société des Nations a été fondée.
Cependant, il n’est pas impossible qu’à un moment donné, par suite, soit de la résistance opposée par les troupes du général Zeligowski, soit de l’intervention, des Soviets, soit même par suite d’intrigues du côté polonais ou lituanien, l’activité du détachement international change de caractère et que celui-ci, fût-ce même en vue d’assurer sa défense, soit obligé d’avoir recours aux armes et qu’il surgisse ainsi un conflit armé.4 Les Puissances feront sans doute ce qui pourra dépendre d’elles pour prévenir un semblable conflit, et il n’est point impossible qu’elles suspendent la mise en route des contingents aussi longtemps que cette éventualité subsisterait.
Il est évident qu’en cas de conflit armé, les Puissances seront obligées d’intervenir, tant pour sauvegarder la sécurité des détachements qu’elles auront envoyés que pour les renforcer, le cas échéant, et même prendre des mesures de rigueur à l’égard des agresseurs, quels qu’ils soient. Si de tels événements se produisaient, la nature de l’expédition se trouverait modifiée. Le détachement international perdrait son caractère de troupe de police et devrait vraisemblablement être considéré comme unè troupe en état d’hostilité. Il ne semble pas qu’il y ait lieu de se demander si, en droit international, on pourrait parler d’une guerre entre la Société des Nations et les agresseurs du détachement ou s’il existerait seulement ce que l’on pourrait nommer un «conflit armé». Il s’agirait, en tout cas, d’une action militaire, qui rentre, soit dans les prévisions de la Déclaration de Londres: La Suisse «ne sera pas tenue de participer à une action militaire ou d’admettre le passage de troupes étrangères ou la préparation d’entreprises militaires sur son territoire», soit dans les «opérations militaires de la Société» dont parlait le Secrétariat général au Gouvernement danois.
Dans cette éventualité, la question de la neutralité de la Suisse inévitablement se poserait; l’on rentrerait dans l’application de la Déclaration de Londres et la Suisse serait tenue d’observer rigoureusement toutes les obligations qui lui sont imposées par sa neutralité perpétuelle. La Suisse serait ainsi obligée de refuser d’accorder plus longtemps le passage, soit aux contingents, soit aux troupes chargées de les relever ou de les renforcer, soit aux approvisionnements qui devraient leur être envoyés. Il est vrai qu’il pourrait être, le cas échéant, difficile d’apprécier exactement le moment où le caractère des troupes de la Société des Nations changerait et la portée exacte de cette modification. On ne saurait, en effet, séparer l’idée d’une opération de police de celle d’un certain emploi de la force, et il s’agit en l’espèce d’une question de plus ou de moins, certainement délicate à apprécier.Du point de vue politique, on peut relever les diverses considérations qui suivent:
La Suisse a reconnu, sans restrictions, les devoirs de solidarité qui lui incombent du fait qu’elle participe à la Société des Nations. Il serait contraire à la politique traditionnelle de la Suisse, comme aux raisons mêmes de son entrée dans la Société, de renier, à la première occasion, les engagements, même moraux, qui lui incombent et de se désintéresser d’une consultation populaire, basée sur une organisation plébiscitaire qu’elle pratique elle-même et qu’elle considère comme de l’essence de la démocratie.
On pourrait observer que la voie de terre de l’occident de l’Europe à la Lituanie par la Suisse n’est pas nécessairement la plus courte et saisir ce prétexte pour demander au Gouvernement français d’examiner s’il ne serait pas indiqué de faire suivre aux contingents une autre voie.5.
Cependant, il y a lieu de remarquer que l’Allemagne ne fait pas partie de la Société des Nations et que, par conséquent, sa liberté d’accepter ou de refuser le passage des troupes est absolu, que le passage de ces troupes nécessiterait peutêtre de longues négociations dont on ne saurait prévoir l’issue. Du côté de l’Italie, la situation intérieure et l’opposition nettement marquée des Soviets à l’ensemble de l’entreprise permettraient de craindre des complications, et il est indiscutable qu’au point de vue géographique, la voie de l’Italie ferait un détour exagéré. Reste la voie de mer. On peut penser que le port de Dantzig servant au ravitaillement de l’armée polonaise, les Alliés de la Pologne et la Pologne elle-même ne tiennent pas à diminuer, si peu que ce soit, son rendement, qui est en faveur exclusivement de la Pologne. D’autre part, l’Autriche, qui fait elle-même partie de la Société des Nations, est hors d’état de s’opposer au passage des contingents et, en cas d’expédition militaire, est obligée, par l’article XVI du Pacte, de collaborer avec la Société. Ainsi, la voie Suisse-Autriche est effectivement la voie de terre la plus facile à suivre.
Ainsi qu’on l’a dit plus haut, la Suisse est libre de refuser le passage qu’on lui demande. Un refus de sa part risquerait cependant de l’exposer à des difficultés, soit avec la Société des Nations, soit avec le Gouvernement français ou quelque autre Gouvernement participant à l’action.
On a vu également pourquoi la Suisse devrait faire des réserves pour le cas où, par suite de faits nouveaux, le caractère du détachement international envoyé à Vilna se trouverait transformé. C’est pourquoi il semble nécessaire, vu l’instabilité de la situation politique en Pologne et en Lituanie, que, pour se lier, la Suisse demande encore une fois à la Société des Nations l’assurance qu’aussi bien la Pologne que la Lituanie, les deux parties intéressées, sont d’accord avec le principe même du plébiscite et l’envoi sur place du détachement international. Ce serait là une démarche analogue à celle qu’a faite le Gouvernement hollandais et qui a été rappelée plus haut.
Quant aux difficultés d’ordre interne suisse que le passage de troupes étrangères pourra soulever, on les rappelle pour mémoire. Le Conseil Fédéral en tiendra compte dans la mesure qu’il jugera indiquée. En résumé, le Département aboutit aux conclusions suivantes:
1°. En principe, il y aurait lieu d’accorder le passage demandé par le Gouvernement français au nom de la Société des Nations pour les détachements étrangers destinés à Vilna et pour les trains transportant leur ravitaillement.
2°. Avant de se prononcer d’une manière définitive, il convient cependant de faire savoir à l’Ambassade de France:
a) que la Suisse désire recevoir du Secrétariat général de la Société des Nations la confirmation formelle que la Pologne et la Lituanie demeurent d’accord sur le principe du plébiscite et de l’envoi sur place du détachement de la Société des Nations;
b) que, pour le cas où, par suite des circonstances, même indépendantes de sa volonté, l’activité du détachement à Vilna cesserait d’être une activité de pure police destinée à un but pacifique, la Suisse se verrait contrainte d’observer strictement les règles qui résultent de sa neutralité.
Nous proposons donc que le Conseil Fédéral prenne une décision dans le sens des conclusions qui précèdent.6
- 1
- (Copie): E 2001 (B) 8/27. Passage de troupes de la Société des Nations à destination de Vilna. Le texte de cette proposition remplace un projet de proposition daté du 26 janvier, qui n’a pas été transmis au Conseil fédéral, dans lequel le Département politique se contente de proposer d’accorder en principe le passage à travers la Suisse au détachement en cause, les modalités de ce passage devant encore être fixées ultérieurement. En effet, dans une lettre au Département fédéral des chemins de fer du 28 décembre 1920, invité à régler les questions techniques du passage des troupes et des trains de ravitaillement à travers la Suisse, le Département politique indique: Nous n’avons aucune objection d’ordre politique à soulever contre l’opération projetée et la manière dont le Gouvernement français en envisage l’exécution. (E 201 (B) 8/27). C’est à la suite d’articles de presse et surtout de l’interpellation du Conseiller aux Etats Brügger, du 26 janvier, demandant au Conseil fédéral de donner des renseignements concernant les passages de troupes étrangères sur le territoire suisse signalés par la presse que le Département politique procède à un exam en détaillé de la question. Le Conseil fédéral délibère de la question dans sa séance du 28 janvier, mais suspend la discussion dans l’attente du rapport du Département politique (E 1005 2/1).↩
- 2
- Non reproduite, cf. E 2001 (B) 8/27.↩
- 3
- Cf. DDS7/2, no 247.↩
- 4
- On retrouve ici certains éléments de l’avis que donne le Chef du Département militaire fédéral, K. Scheurer, dans sa lettre au Département politique du 26 janvier 1921: Wir vernehmen, dass wir vor der Frage stehen, ob wir Truppen verschiedener Staaten, die in Ost- Europa im Namen des Völkerbundes für die Aufrechterhaltung der Ordnung sorgen sollen, den Durchpass durch die Schweiz gewähren wollen. Wie es scheint, sind Sie der Ansicht, dass die Erlaubnis ohne Schaden gegeben werden könne. Wir möchten dieser Auffassung gegenüber doch einige Bedenken erheben. Wir laufen Gefahr, dass wir Schwierigkeiten im Innern bekommen. Wenn die Sozialdemokraten und die Kommunisten sich gegen den Durchpass aussprechen, werden die Eisenbahner geneigt sein, die Mithilfe beim Transport zu verweigern. Wir geraten in eine Lage, die um so misslicher ist, als neben den revolutionierenden Teilen unseres Volkes sicher auch viele durchaus ordnungsliebende Bürger mit dem Bundesrat nicht einverstanden sein werden. Nach aussen müssen wir befürchten, in unliebsame Verwicklungen gezogen zu werden. Allerdings haben die Truppen friedliche Aufträge. Es hängt aber nicht nur von ihnen ab, ob sie wirklich auf friedlichem Weg ans Ziel gelangen werden. Jedenfalls darf die Möglichkeit eines Konfliktes mit Russland nicht übersehen werden. Unseres Wissens hat sich die Soviet-Regierung bereits gegen den Einmarsch von Völkerbundstruppen in Litauen ausgesprochen. Dass sie die Ansammlung solcher Truppen in der Gegend von Wilna, die heute ja noch stark umstritten ist, nicht gerne sieht, liegt auf der Hand, und dass sie jede Gelegenheit, dem Völkerbund Schwierigkeiten zu bereiten und ihren eigenen Leute sowohl als den Nachbarn ihre Macht zu zeigen, benützen wird, ist von ihrem Standpunkte aus so begreiflich, dass man ein anderes Verhalten normalerweise gar nicht von ihr erwarten darf. Wenn aber die Völkerbundstruppen kämpfen müssen, so sind es nicht mehr friedliche Abordnungen ihrer verschiedenen Staaten; gerade dann werden sie aber die möglichst kurze und rasche Verbindung mit ihrem Lande notwendig haben, und wenn sie auf ihrem Hinweg durch unser Land gegangen sind, so werden sie ihren Nach- und Rückschub gerne die gleiche Strasse gehen lassen. Was heute Bequemlichkeit ist, kann unter dem Drucke des Feindes leicht zur Notwendigkeit werden, wenigstens in den Augen der Staaten, deren Truppen im Feuer und Gefahr stehen. Entweder müssen wir dann den Durchpass verweigern und dann werden wir den Unwillen der beiteiligten Staaten auf uns ziehen, oder wir werden den Durchpass gestatten und dann kommen wir in offene Feindschaft mit Russland, das uns ohne weiteres als Teilnehmer am Krieg behandeln kann. An Sorgen im Innern wird es uns in beiden Fällen erst recht nicht fehlen. Wir sind jedenfalls der Ansicht, dass die ganze Frage ihre grossen Schwierigkeiten hat und sehr schwer zu beantworten ist. Wir möchten deshalb nicht verfehlen, Ihnen unsere Erwägungen, die Ihnen vielleicht nicht so wichtig erscheinen wie uns, zur Berücksichtigung für den Entscheid zu unterbreiten (E 2001 (B) 8/27).↩
- 5
- Ce passage correspond à la conclusion de l’avis que le professeur Max Huber communique par téléphone au Département politique, le 28 janvier 1921: 1° Le fait de permettre ou de refuser le passage de troupes par son territoire est l’exercice des droits souverains d’un Etat. 2° L’accession à la S.d.N. n’implique pas pour la Suisse l’obligation juridique d’admettre sur son territoire, en quelque occurrence que ce soit, les forces armées d’autres membres de la Société. En vertu du Pacte, une pareille obligation ne pourrait découler pour les membres de la Société que des dispositions d’ordre militaire de l’art. 16 qui ne sont pas applicables dans le cas de la Suisse. 3° Ce serait un acte de mauvaise grâce de faire des difficultés à la S.d.N. dans ses efforts de sauvegarder, dans une partie de l’Europe, une libre consultation populaire comme application du principe de libre détermination. On pourrait, en conséquence, consentir au passage de troupes de police de la Société, sous la condition que les parties en litige, en l’espèce la Pologne et la Lituanie, soient entièrement d’accord avec la présence de ces troupes sur le territoire contesté. Il serait nécessaire d’insister beaucoup sur le fait que ce passage ne pourrait être permis qu’en présence d’un véritable accord mutuel entre les parties intéressées. Il est important de savoir si les parties consentent encore actuellement, de leur plein gré, à l’envoi de ces troupes de police et s’ils n’agissent pas uniquement sous une très forte pression (M. Huber a pensé ici à des cas futurs qui peuvent se produire.). 4° Il est en tout cas nécessaire de préciser explicitement que, du moment que le caractère d’une troupe de police ne serait plus exclusivement maintenue, la Suisse devrait considérer la situation comme entièrement changée et qu’elle ne pourrait plus admettre ni de passage de troupes ni de convois de ravitaillement, etc. 5° Il pourrait être, à un moment donné, extrêmement difficile de donner une exacte appréciation d’une modification survenue dans le caractère des troupes envoyées par la S.d.N. Pour cette raison, le Département pourrait exprimer le désir que les troupes de la S.d.N. empruntent un territoire autre que celui de la Suisse pour leur passage. Ceci ne paraît présenter, à première vue, aucune grave difficulté pratique, étant donné que le passage par territoire suisse semble constituer un véritable détour pour ces troupes (E 2001 (B) 8/27).↩
- 6
- Dans sa séance du 7 février 1921, le Conseil fédéral prit connaissance des démarches entreprises par le Chef du Département politique et de l’état de la question depuis le dépôt du rapport du 31 janvier: Inzwischen teilte der Vorsteher des politischen Departements dem franz. Botschafter mit, die dem Begehren zu Grunde liegenden tatsächlichen Verhältnisse bedürfen noch näherer Abklärung und es erscheine nicht notwendig, das belgische, englische und spanische Kontingent durch die Schweiz zu transportieren; er wies ausserdem auf die Erregung hin, die sich der öffentlichen Meinung in der Schweiz infolge der Gerüchte von einem solchen Truppendurchlass bemächtigt hat, und bezeichnete es als wahrscheinlich, dass der Bundesrat zu einer Ablehnung des Begehrens gelangen werde, wenn ihm dieser Entscheid nicht durch den Rückzug des Begehrens erspart werde. Auf Grund der Vorbesprechung in der Sitzung des Bundesrates vom 4. Februar 1921 liess der Vorsteher des politischen Departementes sodann den Botschafter wissen, der Bundesrat werde genötigt sein, wenn das Begehren nicht vorher zurückgezogen werde, anlässlich der Behandlung der diese Angelegenheit betreffenden Interpellation Brügger im Ständerat am Montag abend zu erklären, dass er das Begehren ablehne. Heute teilt der Vorsteher des politischen Departementes mit, das Begehren sei nicht zurückgezogen worden. Aus einem in den Zeitungen veröffentlichten Brief des litauischen Ministers des Äussern an Léon Bourgeois ergebe sich aber zur Evidenz, dass zwischen Polen und Litauen noch keineswegs ein völliges Einvernehmen über die Volksabstimmung im Gebiet von Litauen herrsche und dass namentlich Litauen die Befürchtung hege, die Regierung der russischen Sovietrepublik werde die Anwesenheit internationaler Truppen im Gebiet von Wilna zum Vorwand nehmen, um die Feindseligkeiten gegen Litauen wieder zu eröffnen. Auf Grund der veränderten Verhältnisse unterbreitet der Vorsteher des politischen Departementes dem Bundesrat den Entwurf einer Antwort auf die Interpellation Brügger, wonach der Bundesrat das Begehren um Durchlass der für Wilna bestimmten Völkerbundstruppen und ihres Verpflegungsnachschubes durch die Schweiz ablehnt. Der Rat genehmigt hierauf die vom Vorsteher des politischen Departementes vorgelegte Antwort auf die Interpellation Brügger, durch welche der ursprüngliche Antrag des politischen Departementes in dieser Angelegenheit hinfällig wird (E 1004) 1/298). Voici l’esquisse de la déclaration faite au nom du Conseil fédéral, le 7 février 1921, en réponse à l’interpellation Brügger: Le Conseil Fédéral arrive rebus sic stantibus à une conclusion négative. 1. Il constate que la note lituanienne du 30 janvier démontre qu’un accord entre le Pologne et la Lituanie n’a pu encore se réaliser. a) La Lituanie demande sa reconnaissance de jure avant le plébiscite. b) Elle fait dépendre son attitude du consentement que la Russie des Soviets devrait donner à la présence des troupes internationales sur le territoire contesté. 2. Le Conseil Fédéral trouve que la mise en route par la Suisse du détachement international ne semble pas répondre à une nécessité (E 2001 (B) 8/27).↩
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Vilnius Affair (1921)