Classement thématique série 1848–1945:
II. LES RELATIONS BILATERALES ET LA VIE DES ETATS
II.3 Argentine
II.3.1 La politique générale et à la SdN
Pubblicato in
Documenti Diplomatici Svizzeri, vol. 8, doc. 21
volume linkBern 1988
Dettagli… |▼▶Collocazione
Archivio | Archivio federale svizzero, Berna | |
Segnatura | CH-BAR#E2001B#1000/1508#206* | |
Titolo dossier | Argentine (1919–1923) | |
Riferimento archivio | B.56.41.15.03 |
dodis.ch/44663
Dans le rapport général adressé au Conseil fédéral par la Délégation Suisse à l’Assemblée de la Société des Nations, dont vous m’avez fait tenir un exemplaire en date du 23 décembre2, je lis à la page 2, à propos de l’attitude de M. Pueyrredon, que ce dernier «sans doute sur les instructions de Buenos Aires, quitta Genève sous le prétexte qu’on n’aurait pas examiné avec l’attention qui leur était due les propositions déposées par sa délégation».
A titre documentaire et bien que cela ne puisse avoir qu’un intérêt rétrospectif, permettez-moi de vous donner ci-dessous, à la base de documents officiels rendus publics par le Gouvernement argentin et à la suite de ce que j’ai appris ici, quelques éclaircissements sur la façon dont cette affaire a été menée.
Il n’y a aucun doute que M. Pueyrredon n’a été que le porte-parole du Président Irigoyen qui s’est fixé d’avance une ligne de conduite dont il ne s’est pas départi un instant, qui de Buenos Aires a tout décidé de lui-même et a donné à son Ministre des instructions péremptoires à coups répétés de télégrammes. Le retrait des Argentins ne peut donc être considéré comme un acte de mauvaise humeur ou de susceptibilité et n’a pas été causé par des influences étrangères.
M. Pueyrredon est parti d’ici avec la mission de réclamer d’emblée et avant tout l’approbation des propositions qu’il a présentées et que vous connaissez, entre autres l’admission de tous les Etats au sein de la Ligue. A peine arrivé à Genève, le Ministre a reçu de M. Irigoyen un câble du 17 novembre lui enjoignant de ne s’engager dans aucune discussion partielle et préalable avant que la proposition «fondamentale» argentine n’ait été approuvée. M. Pueyrredon rendit le Président attentif au fait que cela ne serait guère possible car, d’après l’usage en vigueur dans les conférences internationales chacune de ses propositions devait préalablement être soumise à l’examen des commissions respectives. Le 20 novembre, le Président réitéra à sa délégation l’ordre formel «d'exiger, avant de discuter n’importe quelle question à l’ordre du jour de l’assemblée, l’admission de tous les Etats souverains à la réunion de Genève. Si, pour quelque raison cette motion était ajournée, la délégation argentine devait se retirer immédiatement en faisant savoir que son Gouvernement ne peut continuer à prendre part au Congrès».
Par télégramme du 24 novembre, M. Pueyrredon essaya encore une fois de faire prendre patience au Président en lui disant qu’une déclaration générale de ce genre ne serait probablement pas votée, mais qu’on se prononcera sur l’admission immédiate de tous les Etats souverains qui ont exprimé le désir d’être incorporés dans la Ligue, entre autres de l’Autriche et de la Bulgarie. Seuls resteront à l’écart les Etats-Unis, pour les raisons qui sont connues, l’Allemagne et le Mexique qui n’ont rien demandé pour le moment, ainsi que quelques autres petits pays qui ne constituent pas de véritables Etats souverains. Dans ce cas, la théorie argentine «triompherait» puisque toutes les Nations feraient partie de la Ligue à l’exception des trois qui n’ont pas manifesté l’intention d’y entrer. M. Pueyrredon objecte aussi au retrait immédiat de la délégation, retrait qui risquerait de ne pas être compris et ne serait pas conforme aux normes usuelles que l’on doit observer au sein de telles assemblées. Il conseille au Président d’attendre pour prendre une décision que le vote relatif à l’admission des Etats ait eu lieu.
Dans sa longue réponse du 28 novembre, M. Irigoyen dit que l’admission immédiate et l’égalité absolue de tous les Etats sont les conditions indispensables du succès de la Société des Nations et de son bon fonctionnement. Il juge que les idées directrices de l’Assemblée de Genève prennent un aspect qui diminue sa portée et lui font perdre la signification primitive qu’elle avait au début; il refuse d’attendre les événements ne voulant pas être obligé plus tard de désavouer ses représentants après qu’ils auraient pris part aux travaux de la conférence. Encore une fois il enjoint à M. Pueyrredon d’insister à la première assemblée plénière pour que la discussion immédiate des propositions de l’Argentine ait lieu et lui répète qu’en cas d’ajournement ou de refus il doit se retirer en déclarant sa mission terminée.
Il faut connaître l’idéaliste têtu qu’est M. Irigoyen pour comprendre que ses actes n’ont nullement eu pour cause une susceptibilité excessive, mais que dès le début il s’est formé une opinion de ce que devait être une Ligue des Nations et qu’ayant jugé indispensable que tous les Etats souverains en fissent partie à égalité absolue de droits, il s’est buté à cette idée et a préféré rompre que de patienter comme le lui conseillait son Ministre des Affaires étrangères.
Le 11 décembre, il câbla encore à son délégué (je traduis littéralement): «la présence plus prolongée de la délégation argentine aurait impliqué une déviation des principes soutenus et une profanation de leur intégrité qu’aucune sanction postérieure adoptée par le Gouvernement argentin ne serait parvenue à justifier».
Chacun sait ici que les Ministres du Président sont de simples instuments dans ses mains et qu’il ne s’agit pas de lui résister. Les documents officiels publiés au sujet de la conférence de Genève le prouvent une fois de plus.
M. Irigoyen est persuadé que la majorité du peuple approuve son attitude et je ne suis pas loin de croire qu’il en est ainsi, car les idées qu’il développe sur l’égalité absolue des Etats et sur l’admission de tous sans distinction entre neutres et belligérants sont de celles qui sont le plus accessibles aux masses surtout dans un pays comme l’Argentine qui est un conglomérat de races diverses. Quant au parti de l’opposition, il ne s’est pas fait faute de critiquer amèrement l’attitude du Président dans les grands journaux qui sont ses organes, tels que «La Nacion» et «La Prensa». Vous en aurez sans doute eu des échos en Europe, mais, je le répète, cette partie de la Presse ne représente pas l’opinion de la majorité. En outre les Argentins dont la vanité n’a pas de limites ont été dans le fond très flattés que le rôle joué par leur délégation ait fait tant de bruit dans le monde et je crois qu’on s’apprête à recevoir avec enthousiasme M. Pueyrredon à son arrivée à Buenos Aires.
«Ce qui nous a beaucoup réjoui et surtout surpris – m’a-t-on dit au Ministère – c’est de voir comme M. Pueyrredon a été bien reçu à Paris et à Londres après avoir quitté Genève. On dirait que nous avons fait le jeu de ces deux pays en déclarant les premiers ne plus vouloir avoir rien à faire avec la Conférence de Genève et qu’ils nous en sont reconnaissants».
Le geste de la délégation argentine a pu paraître à Genève hors de propos et même quelque peu enfantin, mais il ne faut pas méconnaître que pour les autres pays de l’Amérique latine il est d’une grande importance et pourrait être imité. A Santiago, par exemple, d’après ce que j’y ai entendu, on est certainement d’accord sinon avec l’attitude du moins avec les idées de M. Irigoyen. Ainsi que je vous l’ai écrit autre part, M. George Matte, Ministre Chilien des Affaires étrangères, m’a dit: «Pour le moment notre délégation restera en Europe et nous continuerons à faire partie de la Ligue des Nations, mais qui sait ce que nous réserve l’avenir». Toutefois, la nomination de M. Huneeus à la tête d’une des principales commissions a été saluée au Chili avec une vive satisfaction et – j’ai pu m’en rendre compte à maintes reprises – on a été très flatté de voir un délégué chilien jouer un rôle important dans le Congrès.
Je me réserve de vous communiquer encore les impressions que je rapporterai de Montevideo sur ces questions lorsque j’y aurai été.