Classement thématique série 1848–1945:
XVI. LA REPRÉSENTATION DIPLOMATIQUE DE LA SUISSE À L'ÉTRANGER
Imprimé dans
Documents Diplomatiques Suisses, vol. 7-II, doc. 29
volume linkBern 1984
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Archives | Archives fédérales suisses, Berne | |
▼ ▶ Cote d'archives | CH-BAR#E7350#1000/1104#32* | |
Ancienne cote | CH-BAR E 7350(-)1000/1104 27 | |
Titre du dossier | Handelsvertretungen im Ausland (1914–1918) | |
Référence archives | 2.3 |
dodis.ch/44240 CONSEIL FÉDÉRAL1
Proposition du Chef du Département politique, F. Calonder
Le 11 juin, le Département politique a eu l’honneur de proposer au Conseil fédéral la création de deux légations en Scandinavie et en Pologne. Une décision à ce sujet a été renvoyée2 au moment où la question de principe de l’extension à donner à la représentation diplomatique de la Suisse aurait été préalablement tranchée. Cette décision engage donc aujourd’hui le Département politique à exposer, d’une façon aussi complète que possible, au Conseil fédéral, quelles sont les raisons qui lui font un devoir impérieux de solliciter, dans l’intérêt de la Suisse, la création immédiate de représentations diplomatiques nouvelles.
La guerre qui vient de se terminer a bouleversé complètement la situation géographique et économique de l’Europe et spécialement celle des pays qui sont situés à l’Est et au Sud-Est du continent. La Suisse a un très grand intérêt à fonder sans tarder une légation dans les régions scandinaves, mais il y a une urgence encore plus grande pour elle d’établir sans aucun retard des relations politiques et économiques avec tous ces pays nouveaux, considérés à tort comme des Etats de second ordre, bien que tous soient beaucoup plus considérables et plus populeux que la Suisse. Il s’agit de l’ancienne et puissante Pologne, reconstituée sur des bases entièrement nouvelles, de la Bohême et de la Serbie agrandies, dont l’importance a doublé sinon triplé et enfin de la Grèce en train de se transformer en un Etat économique puissant par suite de son extension sur les côtes de l’Asie Mineure.
Il y a là quatre Etats représentant entre eux une population totale qui ne sera certainement pas inférieure à 60 millions d’habitants, pays riches en produits agricoles et miniers et d’une vitalité politique très grande. N’y a-t-il pas intérêt pour la Suisse à profiter sans tarder de la sympathie dont elle jouit auprès de ces Etats nouveaux pour y occuper une place qui est encore à prendre, mais que tendent à accaparer à leur profit les autres nations, actuellement représentées diplomatiquement dans ces pays. Les raisons qui militent en faveur de représentations diplomatiques sont diverses.
Si l’on aborde l’intérêt commercial et économique de la Suisse à la création des représentations nouvelles, il y a lieu de tenir compte de la tendance manifestée par les grandes Puissances à limiter leurs échanges avec la Confédération à un moment cependant où cette dernière dispose de stocks qu’elle a un intérêt pressant à écouler. Les Alliés manifestent une tendance marquée à monopoliser en leur faveur le commerce de l’Allemagne et des autres nations européennes.
Pour parer à l’influence des grandes nations, la Suisse doit absolument provoquer la création de relations économiques avec les petits pays du centre et de l’est de l’Europe qui lui serviront de contrepoids et de régulateurs. Il ne suffira pas pour elle d’écouler les produits dont elle est surchargée en ce moment, mais il faudra établir des relations pour l’avenir en tenant compte des ressources très grandes de pays tels que la Serbie, la Grèce, la Tchécoslovaquie et la Pologne, qui iront en se développant rapidement. Pour cela un Consul ne suffira pas, il faudra un agent plus officiel qui parviendra à pénétrer sans peine auprès des administrations compétentes où il arrivera plus facilement à lutter d’influence avec les représentants de même rang des autres nations européennes pour des demandes de concessions ou autres facilités que ces Etats sont en mesure d’accorder aux étrangers. Ce serait une erreur de confier une semblable activité aux légations suisses déjà existantes qui sont trop chargées par leurs occupations actuelles pour envisager des tâches nouvelles. Il serait en outre difficile et même politiquement inopportun de leur rattacher des représentations auprès des Etats qui viennent de se former dans l’étendue de leurs anciennes circonscriptions. C’est ainsi qu’on se représenterait difficilement une légation chargée de traiter simultanément avec l’Autriche allemande, la Tchécoslovaquie et la Hongrie, qui ont des tendances et des intérêts complètement divergents.
Le régime des droits privés passe dans les pays nouveaux par une transformation radicale qui demande à être suivie de très près si l’on veut assurer la protection d’intérêts suisses très légitimes qui risquent de se trouver menacés au cours de cette crise. Les questions qui se posent soulèvent des problèmes de droit international pour la solution desquels un Consul commerçant n’aurait ni la compétence ni l’autorité nécessaires. C’est ainsi qu’en Yougoslavie par exemple, se posent des questions multiples telles que celles qui résultent du séquestre et de la liquidation des entreprises mixtes (cas de la Société de Trifail, à laquelle sont intéressés de nombreux actionnaires suisses); la nationalisation des sociétés d’assurances risque de supprimer à cette branche de la finance suisse un important marché, la lutte contre l’absentéisme et les réformes agraires ont déjà porté atteinte à des intérêts suisses importants. C’est ainsi qu’un Suisse est obligé de se défaire d’un domaine de 40 hectares comprenant une source thermale et un sanatorium de 130 lits, tandis qu’un autre risque d’être dépossédé d’un domaine forestier de 5000 hectares destiné à la distillation du bois. Le Département s’efforce de résoudre ces difficultés par l’obligeant intermédiaire de la Légation de Serbie à Berne, mais un semblable procédé est entièrement contraire aux règles de la courtoisie internationale et ne manquerait pas à la longue d’avoir de sérieux inconvénients.
Ce n’est un mystère pour personne qu'en matière ferroviaire^ grandes Puissances qui entourent la Suisse ont tendance à détourner les lignes internationales qui passent par son territoire: les Allemands feraient passer leur express d’Orient au nord de la Suisse; les Français emprunteraient la ligne du 45ème parallèle qui évite les passages alpestres et passe par l’Italie et, depuis quelques mois, l’Allemagne et l’Italie s’efforcent de développer leurs relations commerciales par la ligne du Brenner, au détriment du Gothard et du Simplon. La Suisse ne peut lutter contre le danger très grand que constituent pour elle ces tendances qu’en agissant sur les Etats destinataires de l’Orient de l’Europe et en parvenant à les intéresser à un problème qui a pour l’indépendance de leur ravitaillement et la liberté de leurs communications une importance au moins égale à celle que nous y attachons. Les conversations que nécessite la solution d’un pareil problème sont d’une nature si délicate que l’on admet difficilement qu’un Consul jouirait du crédit nécessaire pour les mener à bien.
Il convient de ne pas oublier que les questions deforme tiennent une place bien plus considérable dans les pays orientaux que dans une république démocratique telle que la Suisse. Ces pays ont tendance à s’en tenir strictement à la définition du droit international qui ne voit dans un Consul que le chef de la colonie étrangère et ne peut admettre qu’un Etat soit «représenté» autrement que par une Mission de caractère diplomatique.
L’étendue des fonctions qui peuvent lui incomber est donc plus large que celle du Consul, puisque le diplomate peut sans aucun inconvénient être chargé de s’occuper d’affaires consulaires, tandis que le Consul à qui une tâche politique aurait été confiée par son Gouvernement risque d’être éconduit s’il quitte le terrain qui paraît lui être assigné. Les nations nouvelles sont en effet particulièrement sensibles aux questions d’ordre international; la plupart d’entre elles ont accrédité à Berne des légations et paraissent sur le point de voir d’un mauvais œil que la Suisse ne leur rende pas leur politesse.
Actuellement moins que jamais la Suisse ne peut négliger sa situation morale à l’étranger. La guerre a démontré le danger que constitue l’encerclement de la Suisse par des nations puissantes. Il est indispensable qu’elle trouve dans d’autres Etats de l’Europe le contrepoids nécessaire à la prépondérance des grands pays dans les relations internationales. C’est ainsi qu’elle rencontrerait en Belgique et aux Pays-Bas le même intérêt que le sien à contrebalancer l’influence de la France et de l’Angleterre. La Pologne et la Tchécoslovaquie pourront parfois neutraliser avec elles l’Allemagne et enfin la Serbie et la Grèce serviront de contrepoids à l’irrédentisme italien. La Suisse ne pourra arriver à tirer parti de ces tendances qui lui seront favorables qu’en entretenant avec ces pays de second rang, dont l’intérêt coïncidera si souvent avec le sien, des relations particulièrement étroites. Le fait que ces Etats sont représentés à Berne est tout à fait insuffisant dans ce but.
La Suisse, destinée à devenir le siège de la Société des Nations, devra y conquérir la place que son organisation et son développement historique légitiment et être représentée dans le sein du Conseil. Elle pourra y parvenir en groupant autour d’elle toutes les nations européennes de second ordre dont les intérêts et les aspirations sont les siens et qu’elle est en mesure d’inspirer dans le sens d’une représentation équitable de toutes les nations.
C’est la raison pour laquelle, au moment où ces pays nouveaux, d’une vitalité si grande, ne cessent de faire savoir par leurs représentants à Berne combien ils désireraient traiter des intérêts communs avec des représentants qualifiés de la Suisse, en laissant passer un moment aussi favorable, la Confédération négligerait une occasion qui ne se retrouvera pas et qu’elle regrettera certainement plus tard d’avoir laissé échapper. La question qui se pose aujourd’hui est la suivante: La Confédération estime-t-elle que l’influence immédiate qu’elle pourrait acquérir auprès des quatre nations susmentionnées, représentant une totalité de plus de 60 millions d’habitants, ne vaut pas un sacrifice financier annuel de quelques centaines de mille francs environ qui serait largement récupéré par les débouchés économiques et l’influence politique qu’elle aura acquise à l’est et au sud-est du continent européen?
Le Département politique rappelle qu’en ce moment, il se voit dans l’obligation de remplacer ses consuls à Varsovie, Prague et Belgrade, le premier pour abus de confiance, le second parce qu’en raison de ses attaches germanophiles, il a perdu tout crédit auprès du Gouvernement tchécoslovaque, le troisième enfin parce qu’il refuse d’obtempérer aux ordres qui lui sont donnés par son Gouvernement. Il est peu probable qu’il sera possible de leur substituer des commerçants suisses choisis sur place et il faudra envisager leur remplacement par des Consuls de carrière. Or, il paraît certain que les dépenses nécessitées par de tels représentants ne sont pas suffisamment inférieures à celles qu’occasionnerait l’envoi d’un Chargé d’Affaires avec caractère diplomatique pour qu’il y ait intérêt à se priver de ces derniers.
Si l’on parvenait à se décider à créer des légations, il faudrait forcément se contenter de Consulats généraux, mais ce serait une solution insuffisante. En effet, un Consul général ne pourra jamais, et particulièrement dans les cas difficiles, rendre les services que l’on peut attendre d’agents diplomatiques. Cette vérité est tellement évidente qu’il n’y a pas lieu d’insister davantage sur ce point.
C’est pour ces raisons que le Département politique demande au Conseil fédéral, en invoquant les motifs politiques sus-énoncés, de lui faciliter sa lourde tâche en décidant la création de représentations diplomatiques en Pologne, en Tchécoslovaquie, en Yougoslavie et en Grèce. Ces postes nouveaux lui sont indispensables pour assurer les intérêts essentiels et multiples du peuple suisse dans ces pays nouvellement créés.
Il va sans dire que la qualification des personnes chargées de représenter la Confédération dans les postes nouveaux est essentielle et que le Département politique serait le premier à renoncer à ses propositions s’il ne devait pas se trouver en mesure de désigner au Conseil fédéral des candidats capables. Il se réserve donc de présenter les noms des personnes qui lui paraissent qualifiées pour occuper les quatre nouveaux postes envisagés par lui.
Ce rapport doit servir de base pour la discussion générale au Conseil fédéral et le Chef du Département se réserve de compléter et de préciser cet exposé, ainsi que de formuler oralement ses propositions définitives.3
- 1
- EVD Zentrale 1914-1918/26-28109/Gx. Création de légations nouvelles en Europe. Paraphe: KW.↩
- 2
- Cf. E 1005 2/1.↩
- 3
- Par décision présidentielle du 2 septembre 1919 (cf. E 1004 1/272, no 3077) la délibération de cette question a été ajournée jusqu’à ce qu’une commission d’experts ait pris position sur la base d’un rapport de H. Heer (cf. no 43). Après avoir abordé l’affaire le 15 septembre (cf. no 81), le Conseil fédéral décida dans sa séance du 20 septembre (cf. E 1004 1/272, no 3240) de charger le Département politique de l’élaboration d’un message à l’Assemblée fédérale sur le problème de la représentation diplomatique de la Suisse à Stockholm, Varsovie, Prague, Belgrade et Athènes; pour cet Exposé du Conseil fédéral à l’Assemblée fédérale concernant la création des nouvelles Légations de Suisse à l’étranger du 11 décembre 1919, vo/rFF, 1919, vol. V, pp. 1019–1042.↩
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Image de la Suisse à l'étranger