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Documenti Diplomatici Svizzeri, vol. 7-I, doc. 180
volume linkBern 1979
Dettagli… |▼▶Collocazione
Archivio | Archivio federale svizzero, Berna | |
Segnatura | CH-BAR#E2001B#1000/1501#3083* | |
Titolo dossier | Friedenskonferenz, Rapports de Mr. Rappard (1919–1919) | |
Riferimento archivio | B.56.221.05 |
dodis.ch/43925
Comme je vous l’avais dit au téléphone dimanche, je comptais rentrer à Genève mercredi pour assister à la conférence de la Croix-Rouge internationale. J’ai dû abandonner ce projet, le Président Wilson m’ayant fixé un rendez-vous pour ce soir à 8 h.2 Je ne pourrai donc rentrer en Suisse que vendredi matin.
J’ai profité des deux jours que je viens de passer ici pour voir plusieurs de nos amis américains et notamment le colonel House. Il m’a fait, à titre tout a fait confidentiel, l’exposé du projet de la Société des Nations, tel qu’il a été établi au cours des conférences de la commission alliée jusqu’à ce jour. Il a même eu l’amabilité de me montrer ce texte et de me le laisser consulter, à tête reposée, pendant une dizaine de minutes. Il m’a recommandé de ne pas en prendre une copie et de ne communiquer le contenu qu’à vous personnellement. Il a tant insisté sur la nécessité d’une discrétion absolue que je me permets de vous transmettre très respectueusement ses recommandations à cet égard.
Le texte que le colonel House m’a soumis et que je reverrai encore sous sa forme amendée demain, avant de rentrer, comportait hier 12 articles.3 L’organisation pour la Société des Nations est dans ses grandes lignes la suivante:
Il y a tout d’abord une conférence des délégués, composés des ambassadeurs et des ministres des puissances, membres de la Société des Nations, et d’autres plénipotentiaires (accrédités auprès du gouvernement sur le territoire duquel se réunit la conférence). Cette conférence ne semble pas être destinée à se réunir souvent; elle n’est pas investie de pouvoirs bien considérables.
En second lieu la Ligue possède comme organe directeur un conseil exécutif. Ce conseil est composé des représentants des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne, de la France, de l’Italie, du Japon et de deux ou quatre (la question n’est pas encore tranchée) représentants des petits Alliés. Ce conseil doit se réunir au moins une fois par an. La première séance sera convoquée par le Président des Etats-Unis.
En troisième lieu la Ligue possède un secrétariat ou chancellerie permanente, placée sous la responsabilité du chancelier ou secrétaire de la Ligue choisi par le conseil exécutif.
Pour le début tout au moins cette soi-disant Société des Nations ne sera donc que la cristallisation de l’alliance présente. Il est prévu cependant qu’elle devra accroître peu à peu le nombre de ses membres et il n’est pas exclu que les Neutres ou certains d’entre eux, telle que la Suisse, ne soient invités à y adhérer incessamment. Pour l’admission à la Ligue de puissances non-signataires du traité de paix, il est prévu qu’il faudra l’approbation des deux tiers au moins des nations représentées à la conférence des délégués.
Le principal but de la Ligue, tel qu’il est défini dans ces 12 articles, est d’assurer la paix. Pour cela il est prévu que le conseil exécutif exercera un contrôle sur la puissance militaire des nations qui composent la Ligue. Un tableau de désarmement partiel serait dressé et l’adoption en serait fortement recommandée. Il est prévu aussi que toute fabrication d’armes et de munition de guerre devra être interdite aux particuliers et réservée aux gouvernements.
Lorsque un conflit ou un différend surgira entre les membres de la Ligue que les négociations diplomatiques ne suffiraient pas à aplanir, il est prévu que les puissances en cause devront constituer un tribunal d’arbitrage ou solliciter une enquête par le conseil exécutif. Ils s’engageront à renoncer pendant trois mois, au moins, à toute action militaire l’une à l’égard de l’autre. Si l’une de ces puissances contrevient à cette prescription, ou si elle n’accepte pas la décision arbitrale ou les conclusions que le conseil exécutif tirera de son enquête, ce dernier délibérera et pourra inviter les membres de la Ligue à prêter leur concours économique et militaire pour exécuter la décision intervenue et pour imposer la volonté commune aux récalcitrants. Mais rien n’obligera absolument le conseil exécutif à prendre cette décision et rien n’obligera non plus les membres de la Ligue à répondre à son invitation.
Comme vous le voyez, il s’agit d’un projet infiniment moins radical que le nôtre et qui sera pour tous les partisans convaincus d’une véritable Société des Nations, une grave déception. Son extension limitée, son organisation rudimentaire, ses compétences mal définies et en tout cas restreintes, font de cette Ligue un organisme qui ne mérite guère le nom de Société des Nations.
Je n’ai pas pu cacher ce sentiment au colonel House, en lui affirmant que pour notre part nous eussions été disposés à aller beaucoup plus loin. Il m’a répondu qu’il comprenait fort bien mon sentiment, mais qu’il fallait voir dans la Ligue, telle qu’elle était prévue par cet avant-projet, un organisme destiné à se développer. Les grandes puissances, ajouta-t-il, et même plusieurs des autres, avaient un sentiment beaucoup trop conscient et trop jaloux de leur souveraineté pour qu’il soit possible de leur imposer une organisation plus serrée.
Comparé à notre projet et à tous ceux qui lui ressemblent, celui de la conférence de Paris présente, à côté de beaucoup d’inconvénients, un avantage pour nous. Il va sans dire que rien n’empêche la participation d’un état qui se déclare perpétuellement neutre à une ligue de ce genre, puisqu’en aucun cas la participation à des mesures militaires ne pourrait lui être imposée.
Tel qu’il est aujourd’hui, ce projet ne dit rien ni de la législation internationale du travail, ni de la politique douanière, ni de la politique coloniale, ni d’aucun autre sujet d’ordre général. Ces diverses matières semblent avoir été peu à peu éliminées des projets primitifs au cours des délibérations; des commissions spéciales les examinent cependant. Il est encore incertain si les conclusions de ces commissions seront incorporées à la charte de la Société des Nations ou seulement au traité de paix.
Le projet tel qu’il m’a été soumis, témoigne à la fois de la hâte, avec laquelle ont été menées les négociations, des compromis qui ont dû être effectués et, je dois ajouter aussi, de l’inexpérience des rédacteurs.
Comme vous le voyez d’après les journaux, le Président Wilson compte quitter l’Europe à la fin de cette semaine. Un grand effort a été fait pour que ce projet puisse être publié avant son départ. On ignore encore à l’heure qu’il est si cette publication pourra avoir lieu. Peut-être le saurez-vous par la presse quand cette lettre vous parviendra. En tout cas je prendrai encore les dernières informations auprès du colonel House jeudi soir avant de partir et je vous les communiquerai dès mon arrivée à Genève.
J’ai remis au colonel House et à quelques-uns de ses collaborateurs le mémorandum du Conseil fédéral et notre projet de Société des Nations, que M. le Ministre Dunant a d’ailleurs distribué dans les ambassades et légations.4
Il règne dans tous les milieux intéressés une telle agitation et une hâte si fébrile que je doute beaucoup que ces documents reçoivent dès maintenant l’attention qu’ils méritent. La forme que l’on songe à donner à la Ligue des Nations diminue d’ailleurs beaucoup leur importance.
Quant à la participation de la Suisse aux travaux de la conférence concernant les sujets qui nous intéressent, elle me paraît encore très incertaine. M. Dunant a reçu, il y a 8 jours, de M. Dutasta des déclarations très rassurantes à ce sujet. Je les ai soumises au colonel House, qui m’a répondu qu’il ne voyait pas trop auprès de qui la Suisse pouvait déléguer le plénipotentiaire dont parlait M. Dutasta, si ce n’était auprès des commissions chargées de l’étude de questions particulières. Ce plénipotentiaire pourrait y être entendu comme un témoin ou comme un avocat, mais il ne pourrait guère être admis à participer aux délibérations et aux décisions de ces commissions.
Je ne manque pas, à chacune de mes entrevues, de revenir sur ce sujet et j’insisterai encore aussi fortement que possible auprès du Président Wilson sur la nécessité d’une représentation officielle.
Mais le problème reste toujours le même et il ne me paraît guère susceptible d’une solution satisfaisante pour nous. Nous ne pouvons, en tant que neutres, être admis au plenum de la conférence de la paix, qui d’ailleurs ne fera probablement que confirmer les conclusions de ces commissions spéciales. Or, siéger dans des commissions constituées par une conférence dont on ne fait pas partie, me paraît presque impossible.
Sur la question du Rhin, je ne puis que vous confirmer le télégramme que je vous ai fait adresser hier. Les délégués français semblent déterminés à obtenir le barrage entre Bâle et Strasbourg. Le colonel House et plusieurs autres négociateurs américains, ainsi que Sir William Wiseman (qui semble jouer auprès de M. Lloyd George un peu le rôle que le colonel House joue auprès du Président Wilson) m’ont tous confirmé cette attitude de la France, tout en déclarant qu’en principe ils devaient soutenir les revendications de leurs Alliés pour autant qu’elles étaient compatibles avec les principes généraux qu’ils avaient posés. Ils m’ont laissé entrevoir qu’ils n’étaient pas indifférents à la justice de notre ambition en cette matière. Ce sera peut-être la première de celles sur lesquelles nous serons appelés à faire entendre notre voix et voilà pourquoi il importe grandement que nous soyons absolument prêts d’un jour à l’autre à envoyer nos experts auprès de la commission des grandes voies navigables qui étudie ce problème.
Je joins à cette lettre une copie d’un court rapport que j’adresse par le même courrier à M. le Conseiller fédéral Schulthess.5 J’y joins aussi une copie que m’a remise le colonel House de la lettre qu’il adressa à la Légation des Etats-Unis à Berne au sujet de notre représentation ici il y a plus d’un mois. Il m’est pénible de vous soumettre cette dernière, puisqu’il y est question de moi-même, mais après vous en avoir entretenu, il me paraît utile que vous ayez connaissance de cette missive.
Comme j’ai prolongé mon séjour ici à Paris cette semaine, et qu’il y aura sans doute une certaine accalmie dans les délibérations après le départ du Président Wilson, je me propose de rester en Suisse la semaine prochaine et de ne revenir ici que dans une douzaine de jours. Si vous êtes d’accord avec cette proposition, je pourrai me rendre à Berne lundi ou mardi prochain pour compléter oralement ce trop rapide et pourtant trop long exposé et pour prendre vos nouvelles instructions ainsi peut-être [que celles de M. le Conseiller fédéral Schulthess.
P.S. J’ajoute deux mots à la plume. Le colonel House m’a confié, en me recommandant d’empêcher à tout prix cette nouvelle de parvenir aux oreilles des ennemis d’outre-Rhin, que l’Allemagne et ses alliés ne seraient pas admis dans la Ligue pour le moment. La date de leur admission dépendra essentiellement de l’organisation militaire adoptée par le nouveau gouvernement allemand.
Je sors de déjeuner avec des Américains et Anglais. Par eux j’ai appris que le projet actuel est surtout le fruit des Anglais. L’avant-projet primitif, présenté par le Président Wilson et le colonel House allait plus loin sur certains points. Sur la question de la sanction, les Américains se sont cependant montrés plus réservés et moins hardis que tous leurs Alliés. Ils ont sans cesse la Constitution et le Sénat des Etats-Unis à la bouche lorsqu’on leur demande plus d’internationalisme.
Il semble, d’après les informations recueillies aujourd’hui, que le projet devra être publié coûte que coûte avant le départ du Président Wilson, ceci surtout pour des raisons de politique intérieure américaine. J’ai peur de l’accueil qui lui sera fait dans les milieux avancés en Europe.
On prévoit encore que le conseil exécutif devra créer une cour permanente de justice. Voilà tout ce qui est dit à ce sujet.
- 1
- Rapport: E 2001 (B) 1/82.↩
- 2
- On n’a pas trouvé de rapport de Rappard sur cette conversation. Mais il l’évoque très brièvement dans une lettre du 13 février au Ministre de Suisse à Washington, H. Sulzer, cf. no 181.↩
- 3
- Il s’agit manifestement d’une esquisse du projet de Pacte de la Conférence des Préliminaires de Paix qui sera rendu public dans son intégralité le 14 février, reproduit en annexe au no 183.↩
- 4
- Cf. no i 177, 178. Pour la liste des délégations auxquelles ces documents ont été remis, cf. E 2200 Paris 1/1514.↩
- 5
- Il s’agit du rapport daté du 12 février 1919, dans lequel Rappard demande à Schulthess de préparer un bref mémorandum définissant l’attitude de la Suisse dans la question de la législation internationale du travail, cf. J.1.149, Mission Paris 1919,1 + III.↩
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Conferenza di pace di Parigi (1919)