Imprimé dans
Documents Diplomatiques Suisses, vol. 7-I, doc. 154
volume linkBern 1979
Plus… |▼▶Emplacement
Archives | Archives fédérales suisses, Berne | |
Cote d'archives | CH-BAR#E1004.1#1000/9#11369* | |
Titre du dossier | Beschlussprotokoll(-e) 01.02.-01.02.1919 (1919–1919) |
dodis.ch/43899
379. Relaxe de la Légation de Suisse à Pétrograd
Le Département politique a reçu par l’intermédiaire de la Légation de Suède un télégramme de Monsieur Junod ainsi conçu:
«Gouvernement Soviets refuse viser Légation et autorise sortie de Russie seulement aux femmes et enfants suisses. Il prétexte emprisonnement de Russes en Suisse et demande autorisation pour délégué soviet se rendre en Suisse pour prendre leur défense ainsi que liquider propriété domicile Mission soviets et affaires courantes. Ce délégué quitterait Russie avec notre Légation. Avons manifesté indignation soulevée par ces propositions et revendiquons droit absolu pour Légation quitter Russie sans entrer en négociations. Ne pourrait-on pas exercer représailles par pays scandinaves qui détiennent maximalistes notoires tels Litvinow et Vorovsky? Colonie suisse Pétrograd partage résolution pas céder devant menaces contraires droit des gens.
Légation suisse. Junod.»Il y a lieu d’examiner s’il faut tenir compte de cette offre. Ce qui milite en faveur d’une acceptation c’est: 1) Ce compromis paraît le seul moyen pratique de faire venir notre Légation. 2) Il serait possible de n’accorder qu’un permis de séjour temporaire et de faire surveiller sévèrement le fonctionnaire russe en question. 3) Cet Envoyé russe pourrait se rendre compte de visu qu’il n’existe pas en Suisse un seul prisonnier politique russe. Par contre il existe contre l’acceptation de cette proposition les objections suivantes: I. Le gouvernement bolchevique désire que son représentant liquide les affaires courantes, ce qui veut dire qu’il agisse bel et bien en représentant de fait. II. Le but avoué d’une Mission maximaliste en Suisse est de révolutionner la France et l’Italie. Nous ne saurions et nous ne pouvons pas feindre de l’ignorer. En rouvrant une porte, même dérobée, à un agent; maximaliste, nous nous exposons, de la part de l’Entente, à des observations méritées qui peuvent nous causer les plus grands embarras. III. Même si nous accordons seulement à cet agent un permis de séjour temporaire, nous nous exposons à ne pas pouvoir matériellement le renvoyer et à être obligés de l’interner à Savatan, ce qui nous causera avec le gouvernement russe d’innombrables difficultés. Le Département politique n’est pas d’avis d’accepter la proposition russe. Les renseignements de Pétrograd n’indiquent pas qu’un réel péril menace notre Légation et nos compatriotes. Si, toutefois, le Conseil fédéral estimait que le danger est assez grave pour nécessiter impérieusement l’acceptation de la proposition russe contre l’opinion du Département politique, le Département demanderait que, tout au moins, il fût fait les réserves suivantes: a) En même temps que notre Légation et le fonctionnaire russe, tous les Suisses de Pétrograd qui le désirent partiraient pour la Suisse. b) Le fonctionnaire russe ne serait admis en Suisse que pour quinze jours et après un engagement écrit de l’Allemagne et de la Russie de le reprendre. c) Cet homme ne jouirait pas en Suisse de sa liberté de mouvements et serait toujours accompagné. Le Département politique est d’avis que l’acceptation de cette Mission, même avec ces garanties, n’est pas désirable. D’autre part, il n’est pas possible que la Suisse supporte plus longtemps l’affront qui lui est fait par le maintien forcé en Russie de sa Légation, affront qui atteint le Corps Diplomatique mondial dans son ensemble. Aussi est-il désirable que cette question ne reste pas une affaire russo-suisse, mais qu’elle soit considérée comme un conflit entre le gouvernement bolchevique et le Monde civilisé. Le département propose donc d’adresser à tous les gouvernements la note suivante:
«Le Gouvernement de la Confédération suisse désire appeler la bienveillante attention du Gouvernement... sur la situation tout à fait extraordinaire dans laquelle se trouve sa Légation à Pétrograd. L’ancien Ministre de Suisse, Monsieur
Odier et le successeur qui venait de lui être désigné, Monsieur Junod, se trouvent retenus en Russie avec tout le personnel de la Légation, par le gouvernement maximaliste, qui refuse depuis plus d’un mois de viser leurs passeports.
Ce fait presque sans exemple dans les annales du droit international ne saurait
s’expliquer par aucun argument. En effet, lorsque le Conseil fédéral s’est vu obligé
de mettre un terme à la Mission officieuse du gouvernement des Soviets à Berne,
les membres de cette Mission ont quitté la Suisse avec tous leurs bagages sans
être l’objet de perquisitions d’aucune sorte. L’opinion publique étant très montée contre les bolcheviks, la Mission fut escortée jusqu’à la frontière. Jusqu’au jour
où les passeports furent refusés à notre Légation, aucun Russe ne fut empêché de quitter la Suisse.
Dans ces circonstances, rien ne saurait expliquer l’attitude du Gouvernement maximaliste à l’égard des représentants diplomatiques de la Suisse et le Gouvernement de la Confédération ose exprimer l’espoir que tous les Etats civilisés voudront bien manifester, par une protestation énergique, leur solidarité avec la
Suisse dans cette question, qui intéresse au plus haut degré la position du Corps diplomatique de tous les Etats.
Le Gouvernement de la Confédération se permet de rappeler à cette occasion que le Ministre de Suisse à Pétrograd s’est, à diverses reprises, solidarisé avec les revendications d’autres Missions Diplomatiques et a souvent pris l’initiative de
démarches en faveur de ses collègues maltraités. C’est ainsi que, sur l’ordre du
Conseil fédéral ou avec son approbation, le Ministre de Suisse en Russie est intervenu au mois d’août pour obtenir la relaxe des Missions alliées arrêtées à
Moscou et pour leur procurer des sauf-conduits. Au mois de septembre, Monsieur Odier avait protesté contre le pillage de l’Ambassade d’Angleterre à Pétrograd et contre l’assassinat de l’Attaché militaire anglais et avait été chargé de faire son possible pour assurer la sûreté personnelle des Etrangers. Au cours du
même mois deux autres protestations avaient été faites par lui contre les violations de droit public et international dont le gouvernement bolchevique s’était rendu coupable. Enfin au mois de novembre, le Ministre de Suisse a protesté auprès du gouvernement des Soviets contre les menaces que celui-ci adressait au Chargé
d’Affaires d’Espagne pour obliger le gouvernement espagnol à livrer aux Représentants maximalistes à Vienne la maison, les archives et le mobilier de l’Ambassade de Russie en Autriche-Hongrie.
Le Gouvernement de la Confédération serait reconnaissant si le Gouvernement
... voulait bien manifester par une déclaration officielle la réprobation dont il stigmatise la manière de faire du Gouvernement maximaliste, en montrant à ce dernier qu’un procédé pareil ne saurait être toléré.»
Cette note serait adressée à tous les gouvernements reconnus par la Suisse,
c’est-à-dire, pour les Empires Centraux seulement à la Bulgarie et à la Turquie. L’Allemagne et l’Autriche-Hongrie seraient officieusement mises au courant de la démarche faite.
Le Département politique propose:
«A. Le Département politique est chargé d’adresser à tous les gouvernements avec lesquels la Suisse est en relations officielles la note précitée.
B. Au cas où le Conseil fédéral ne se rangerait pas à cet avis: la proposition russe d’envoyer un Agent en Suisse est acceptée aux conditions énumérées sous a, b et c.»
La proposition sous A est acceptée.
- 1
- E 1004 1/270. Etait absent: F. Calonder.↩
Tags