Également: Note concernant le libre accès de la Suisse à la mer. Annexe de
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 6, doc. 448
volume linkBern 1981
more… |▼▶2 repositories
Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2200.36-06#1000/1740#11* | |
Old classification | CH-BAR E 2200.36-06(-)1000/1740 3 | |
Dossier title | Libre accès de la Suisse à la mer (1918–1918) | |
File reference archive | 1 |
dodis.ch/43723
Vous voudrez bien saisir la prochaine occasion qui se présentera à vous pour exprimer au Président Wilson le vif désir de notre Gouvernement d’obtenir une confirmation positive des engagements publics qu’il a pris en 1917 concernant le libre accès de tous les peuples à la mer.
Les instructions, ainsi que le rapport ci-inclus, vous fourniront des indications qui nous paraissent suffisantes pour mettre le Gouvernement de Washington au courant de la situation actuelle de la Suisse et de ses droits.
En lisant ces documents, vous pourrez vous rendre compte que la question du Rhône demande à être traitée tout différemment de celle concernant le Rhin.
L’Amérique étant actuellement l’alliée de la France, se trouve assurément dans une‘situation un peu délicate pour soutenir contre ce pays les intérêts suisses, intérêts qui ne reposent pas sur une base légale et internationale, puisque le Rhône n’est pas un fleuve international, mais un fleuve suisse et français n’étant pas actuellement navigable sans interruption de la Suisse à la mer. Nous ne pouvons donc pas parler de droits positifs en ce qui concerne la navigation de ce fleuve, mais seulement d’intérêts économiques puissants. Il convient d’ajouter que ces intérêts concernent non seulement la Suisse et la France, mais aussi tous les Etats d’Amérique et de l’Europe méridionale qui éprouveront le désir de commercer librement avec la Suisse.
Le Président Wilson pourrait donc nous rendre un service signalé en démontrant aux représentants de la France que les divers pays intéressés doivent s’efforcer de rendre le Rhône navigable jusqu’à la Suisse dans le plus bref délai possible, en dépit des difficultés techniques assez considérables qu’il faudra surmonter; que l’accomplissement de cette œuvre présentera le grand avantage de poser, entre autres, une digue à la pénétration commerciale de l’Allemagne en Suisse, pénétration qui ne manquera pas de se produire le jour où les chalands de cette nation navigueront jusqu’au lac Léman sans y rencontrer de concurrence étrangère.
Il y a là une question d’équilibre commercial qui frappera d’autant plus le Président qu’il sait fort bien que la Suisse, de par sa situation de pays neutre placé au carrefour des grandes artères fluviales et ferroviaires de l’Europe, est appelée à jouer un rôle appréciable dans l’économie future du commerce européen et même mondial.
Ce rôle de la Suisse n’est pas d’imposer sa volonté aux grandes puissances (elle n’a pas les moyens pour cela), mais de les convaincre. Or, il est incontestable que, grâce à ses qualités commerciales remarquables, l’Allemagne reprendra, aussitôt la guerre finie, sa politique d’expansion et que ses adversaires actuels n’auront pas trop de toute leur énergie pour maintenir les avantages qu’aura pu leur assurer une issue favorable de la guerre.
C’est une raison de plus pour eux de ne pas négliger l’appoint que leur apportera la Suisse dans une lutte économique pour la conquête du marché européen.
Les Alliés auront donc un intérêt majeur à développer les moyens de transports économiques de l’Europe centrale aussi bien qu’occidentale pour contrebalancer la puissante organisation ferroviaire et fluviale de la «Mitteleuropa» en se servant pour cela d’un pays que, dans ses projets de navigation fluviale tout au moins, l’Allemagne semble avoir négligé.
Vous voudrez bien également faire observer au Président que le développement de la navigation fluviale du Rhône n’est pas d’un intérêt exclusivement suisse, mais bien au premier chef d’un intérêt français et allié, car c’est au Rhône qu’aboutiront forcément une bonne partie des canaux de navigation qui partiront des grands ports de l’Atlantique pour traverser le plateau français et venir alimenter la France orientale.
Les intérêts commerciaux franco-américains réclament donc impérieusement l’aboutissement rapide d’un projet qui du Rhône, doit faire une route commerciale de grande communication.
Ce n’est pas sans dessein que, dans nos instructions, nous insistions si particulièrement sur la résistance constante opposée par l’Allemagne aux justes prétentions de la Suisse, désireuse de naviguer sans obstacle d’aucune espèce sur le Rhin. Vous n’aurez pas de peine à faire vibrer chez M. Wilson le sentiment qui a inspiré son message au Sénat du mois de janvier 1917.
Nous n’avons pas la présomption de supposer qu’en le rédigeant il ait été renseigné bien exactement sur toutes les difficultés auxquelles nous étions en butte de la part de la puissance voisine, mais il nous semble qu’il ne pourra que lui être agréable de recueillir de votre bouche un exemple typique à l’appui de la thèse qu’il a soutenue avec tant de générosité dans son message au Sénat.
L’opposition si vive à laquelle nous nous sommes heurtés en 1904 et cette année encore de la part de l’Allemagne contribuera sans doute à faire de cet arbitre de la paix future, un défenseur convaincu de nos droits.
Il importe donc de l’intéresser dès à présent, et avant que son esprit ne soit trop complètement absorbé par d’autres préoccupations plus pressantes, à une question qui est pour la Suisse d’un intérêt vital. Si donc vous pouviez arracher au Président Wilson une promesse positive et si possible écrite, sous forme d’un engagement de ne pas conclure la paix sans avoir fait consacrer son programme du libre accès de tous les peuples à la mer, en ce qui concerne la Suisse, vous auriez par là rendu à votre pays un service inappréciable dont nous vous serions profondément reconnaissants. Vous ne négligerez donc rien de ce qui dépendra de vous pour obtenir sur ce point un engagement formel du Président Wilson, auquel vous tâcherez en outre de faire comprendre que si la Suisse a la prétention de naviguer sans aucun obstacle sur le Rhin en temps de paix, la guerre actuelle a démontré qu’elle devait pouvoir le faire également pendant une guerre, au cours de laquelle, en l’absence de toute communication maritime, elle n’arrivera que très difficilement à se ravitailler.
Comme suprême argument, et pour obtenir une promesse efficace, vous pourriez rappeler au chef du Gouvernement américain que, dans le passé, la Suisse a offert aux Etats-Unis la liberté de la pensée en lui donnant le calvinisme et qu’aujourd’hui sa patrie, qui a progressé grâce à ce don inestimable, est en mesure d’acquitter une partie de sa dette en donnant à son tour à la Suisse la liberté des mers qui est indispensable à ce pays pour continuer à vivre.
- 1
- Lettre: E 2200 Washington 10/3.↩