Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 4, doc. 274
volume linkBern 1994
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E21#1000/131#14027* | |
Old classification | CH-BAR E 21(-)1000/131 491 | |
Dossier title | Internationale Konferenz in Rom betr. Anarchistenbekämpfung, 1898 (1898–1912) | |
File reference archive | 06.2.4.1 |
dodis.ch/42684
Le Conseiller de Légation de Suisse à Vienne, F. Dumartheray, au Président de la Confédération et Chef du Département politique, E. Ruffy1
Les nombreux Souverains et délégués étrangers, venus pour les funérailles de l’Impératrice sont déjà tous repartis. Les drapeaux noirs disparaissent peu à peu et le dernier des 3 requiems officiels a été célébré ce matin; Vienne reprend donc sa physionomie habituelle.
Mais si tout le bruit fait autour de ces funérailles se dissipe peu à peu, je ne saurais pas vous dissimuler que le souvenir des manifestations de sympathie et d’horreur venus de Suisse s’efface aussi lentement. Le courant sympathique, qui s’était établi un moment en notre faveur se ralentit et le fait concret revient à la surface avec toutes ses déductions politiques et avant tout la constatation que le péril anarchiste devient de plus en plus imminent et qu’il faut y parer sans retard et par tous les moyens. Il n’y a pas de doute pour moi que ce revirement doit être attribué en grande partie aux agissements et aux insinuations perfides de d’Italie soutenue énergiquement par l’Allemagne. › Je dois avouer d’ailleurs que les autres ‹grandes puissances, › du moins d’après ce que j’en vois à Vienne, ne font nullement mine de vouloir nous soutenir. On a besoin d’un bouc émissaire et ce sont précisément ceux qui sont le plus sujets à caution qui crient le plus haut contre nous, afin de détourner d’eux l’attention. Lafontaine aurait mieux que jamais son application: Haro sur le baudet! J’en ai eu hier la preuve dans une conversation que j’ai eue avec ^’Ambassadeur d’Angleterre, Sir Horace Rumbold› et dans laquelle j’ai dû faire appel à tout mon sang-froid. Loin d’attribuer pour ma part une grande portée personnelle à la manière de voir de ‹Sir Horace Rumbold› dont la limite d’âge prescrite par les lois de son pays pour entrer en pension est imminente et dont le caractère irascible est européennement connu, je suis forcé de reconnaître qu’ici sa qualité ‹d’Ambassadeur d’Angleterre› donne une autorité malheureusement indéniable. Je tiens donc à vous citer in extenso sa manière de juger la situation parce que, abstraction faite de la violence, peutêtre voulue de son langage, elle résume malheureusement l’opinion générale, tant des diplomates que des Autrichiens. Voici ses paroles: «N’êtes-vous pas révolté de sentir votre pays le complice de ce crime odieux? Ne sentez-vous pas quel défi vous jetez à l’Europe, quelle insulte à l’Empereur, à l’Autriche, en traitant comme vous le faites cet infâme assassin, en lui donnant dans la presse une publicité, je dirais même une célébrité, aussi scandaleuse que malsaine? Si vous n’avez pas un moyen légal de punir spécialement un crime aussi atroce ‹ayez au moins le tact› (sic) de voiler les lacunes déplorables de vos codes et de ne pas proclamer cyniquement la faveur bénévole de vos lois pour les criminels.»
«L’Angleterre n’a pas de réfugiés politiques en Suisse. Les ‹fénians› s’en vont ‹en Amérique› mais la situation n’en est pas moins grave pour nous par le fait que nous sommes garants de votre neutralité, et si les 4 grands Etats qui vous entourent et qui luttent contre les progrès de l’anarchisme, croyaient nécessaire d’user sur vous d’une pression «même armée» (sic), je ne crois pas que dans les circonstances présentes l’Angleterre s’y oppose. Passe encore que vous vous plaisiez à être le repère du rebut de l’Europe, que vous ne redoutiez pas pour vous le contact de cette engeance, mais que sous prétexte de droit d’asile vous reconnaissiez la qualité politique aux plus infâmes malfaiteurs, que vous les protégiez contre les revendications de leurs Etats respectifs, c’est trop; vous allez trop loin, vous les laissez proclamer et publier chez vous le meurtre de chefs d’Etat, le renversement des trônes et des gouvernements et le bouleversement des sociétés; vous laissez paraître leurs journaux, réunir leurs assemblées et, avec ça, vos lois trop bénévoles leur assurent la vie malgré tout et les peines les plus minimes que les codes criminels de l’Europe enregistrent. Non contents de cela vous les traitez, comme dans ce moment ce misérable Lucheni. Cela apparaît particulièrement odieux dans ce cas. Vous laissez les journaux raconter comme il se vante de son crime, on le laisse écrire, on publie les lettres qu’il reçoit et qu’il écrit. Au bas mot c’est un manque de convenances qui fait un contraste poignant avec la mansuétude extraordinaire de l’Empereur, et de son gouvernement qui suit bon gré mal gré son exemple. Ah! oui, vous devez agir et promptement et radicalement. Dites-vous bien que cette mansuétude ne peut pas durer, on la reproche déjà à l’Empereur comme une faiblesse. N’attendez pas la pression, car personne ne vous soutiendra. Chez nous aussi on se rend compte que le droit d’asile est une conception arriérée, qui avait sa raison d’être, très noblement libérale vis-à-vis des réfugiés politiques, en 48 par exemple, mais qui ne peut avoir aucune application quand il s’agit d’anarchistes.
D’ailleurs, chez nous le droit d’asile, par la façon dont nous l’appliquons, devient un bienfait pour l’Europe. En raison de notre police merveilleuse – la première du monde – nous servons de souricière à ces criminels.»
Devant ce réquisitoire aussi injuste que violent, j’ai répondu que je regrettais de ne pas connaître suffisamment la législation ‹de l’Angleterre› sur cette matière, mais que chez nous où de pareils attentats ne s’étaient encore jamais produits, nous avions des lois – bénévoles peut-être – mais que le développement culturel de notre pays nous permettait de considérer comme un progrès, et que nous devions nous y tenir. Que pour ce qui en était des récits déplacés des journaux, j’étais le premier à les récrier hautement à tous les points de vue, que je ne doutais pas une minute que ce ne soit l’opinion unanime en Suisse, mais que ‹PAngleterre› plus que tout autre pays devait connaître la plaie du «reporter» – institution anglaise d’ailleurs – et ne pouvait en bonne conscience nous rendre responsables de ce manque de convenances, que nous étions les premiers à déplorer. Je citais encore l’attitude du Gouvernement fédéral vis-à-vis de l’Italie, en mai dernier, et le discours de M. le Président de la Confédération à la session des chambres fédérales en juillet. Enfin j’ajoutai que j’étais heureux de penser que si la ‹ libérale Angleterre) nous jugeait si impitoyablement, nous rencontrions du moins auprès du Gouvernement de S.M. l’Empereur une appréciation plus objective et plus équitable de la situation. Que sans doute elle était à attribuer en partie à l’influence bienveillante de Sa Majesté à notre égard, mais certainement aussi à une connaissance plus exacte des faits de la part du Gouvernement I. et R.
J’avais dans ma poche le rapport de la direction de police de Zürich dans la question des Leumundszeugnisse (daté du 13 février 1898)2 et je lui citais, dates en mains, les ouvertures faites par nous auprès des Gouvernements austro-hongrois et italien, en vue [de]renforcer nos mesures de précautions. J’ajoutai, naturellement sans nommer personne que ce serait de la mauvaise foi que de feindre d’oublier nos démarches d’alors. Ces faits, qui étaient inconnus de mon interlocuteur, ont semblé lui faire impression, il m’a fait répéter les dates et a ajouté: «oh! d’ailleurs ce que je vous en dis: c’est ma manière de voir. Vous me l’avez demandée, je vous la donne comme je la pense, mais je n’entends nullement parler au nom du ‹Foreign Office›, n’ayant pas d’instructions dans cette question.»
Je me rends compte, Monsieur le Président, qu’en vous citant cette manière de voir très alarmiste, je risque fort de vous apparaître comme un apôtre de réaction. Je crois néanmoins qu’il est de mon devoir de vous en faire part. Il se peut fort bien que la situation ne soit pas aussi grave qu’elle paraît, vue de Vienne, où, il va sans dire, que chacun des diplomates étrangers trouve son intérêt personnel à se faire bien voir ici en surenchérissant en indignation. Pourtant l’opinion de ‹Rumbold› atténuée par la volonté formelle de l’Empereur, par l’amitié de quelques-uns, par le caractère poli et dissimulé des Autrichiens aussi bien que par la prudence diplomatique n’en est pas moins générale. Je tiens d’ailleurs de source certaine que, malgré les démentis réitérés de ‹la Kölnische Zeitung, l’Allemagne pousse l’Italie, et que la France› ne veut pas se compromettre. Il ne s’agit plus d’équité ni de droit, mais de l’intérêt de quelques ‹grandes puissances) qui veulent les unes se disculper ou du moins essayer, et les autres ne pas laisser échapper une occasion longtemps attendue de sévir. Aussi peut-on tout attendre surtout dans cette fin de siècle où les grandes puissances semblent depuis un certain temps vouloir consacrer l’adage que la force prime le droit. C’est pour cette raison que je préfère être trop alarmiste que pas assez.
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