dodis.ch/42592 Le Ministre de Suisse à
Paris, Ch.
Lardy, au Chef du Département des Affaires étrangères,
A. Lachenal1
Hier soir après un entretien avec M. Hanotaux sur les questions commerciales franco-suisses, entretien qui fait l’objet d’un rapport spécial2, le Ministre des Affaires étrangères de la République française m’a dit, en ce qui concerne la politique générale:
1° Qu’il n’avait aucune espèce d’inquiétude au sujet de Y incident entre le Maroc et lAllemagne. Le cabinet de Berlin réclame une satisfaction pour l’assassinat de sujets allemands, comme la France en a réclamé une il y a quelques mois de la République de St-Domingue, pour l’assassinat du Français Caccavelli. Le Comte Münster a déclaré catégoriquement à Paris qu’il ne s’agissait pas d’autre chose, et M. Hanotaux n’a aucun doute a cet égard.
2° Qu’en ce qui concerne Y attitude de la Russie en Chine et en particulier la garantie donnée par la Russie à l’emprunt chinois de 400 millions, le cabinet de Pétersbourg, sachant que les gouvernements de France et d’Allemagne ne se montraient pas rénitents, allait de l’avant avec une grande audace; les banquiers parisiens, sûrs d’un bénéfice de 4%, allaient peut-être plus vite que les gouvernements; mais le mécontentement de la presse allemande est bien moins politique que financier; les banquiers allemands n’auraient pas pu absorber plus de 150 millions et regrettent d’avoir manqué une commission fructueuse. Il y a là beaucoup plus de finance que de politique.
3° Que l’assassinat de Stamboulof paraît devoir garder les proportions d’un lamentable incident.
4° Que l’Angleterre, même si Lord Salisbury obtient une forte majorité, reste un pays de bon sens. Or le bon sens indique que la guerre est impossible pour un lambeau d’Afrique ou un bout de territoire sur le Haut-Mékong. Lord Salisbury s’occupe évidemment beaucoup de politique extérieure et n’a pas l’habitude de communiquer à l’avance ses projets, mais il a prouvé par sa convention africohelgolandienne avec l’Allemagne qu’il savait transiger avec hardiesse; la France peut voir venir et écouter ses propositions; quant à la question d’Egypte, elle dure depuis 20 ans et par conséquent elle peut encore rester posée longtemps.
M. Hanotaux déclare donc qu’il part aujourd’hui en vacances absolument convaincu du maintien du calme en Europe.
Il n’en est pas moins évident que de tous les côtés des gouvernements conservateurs existent ou vont exister (Angleterre, Espagne etc.) en sorte que la République française n’aura pas la même situation ou les mêmes circonstances qu’à l’époque où les libéraux étaient au pouvoir en Angleterre ou ailleurs.La politique extérieure de la France sera plus difficile à conduire, et, au point de vue parlementaire, les dépenses énormes nécessitées par la politique coloniale pourront devenir un facteur d’une réelle importance.