Abgedruckt in
Diplomatische Dokumente der Schweiz, Bd. 4, Dok. 162
volume linkBern 1994
Mehr… |▼▶Aufbewahrungsort
Archiv | Schweizerisches Bundesarchiv, Bern | |
▼ ▶ Signatur | CH-BAR#E2300#1000/716#734* | |
Alte Signatur | CH-BAR E 2300(-)1000/716 335 | |
Dossiertitel | Paris, Politische Berichte und Briefe, Militärberichte, Band 48 (1895–1895) |
dodis.ch/42572 Le Ministre de Suisse à Paris, Ch. Lardy, au Chef du Département des Affaires étrangères, A. Lachenal1
Mon rapport du 9 avril2 Vous annonçait que l’Angleterre ne ferait aucune objection au sujet de la cession au Japon d’une partie de la presqu’île de Port-Arthur, estimant que l’ouverture plus considérable de la Chine au commerce britannique permettait de ne pas se préoccuper outre mesure de l’installation définitive des Japonais sur la rive Nord du détroit de Petchili. J’ajoutais que la difficulté sérieuse résultant de cette cession paraissait devoir porter surtout sur la Russie, à laquelle il semblait qu’on voulût en laisser porter seule le poids.
Cette dernière information ne s’est pas confirmée dans les apparences officielles mais on peut se demander si elle ne reste pas plus exacte qu’elle en a l’air.
Il est exact que l’Allemagne et la France ont appuyé les réclamations de la Russie contre l’annexion de la presqu’île de Port-Arthur par les Japonais, mais l’Ambassadeur d’Allemagne m’a dit que son gouvernement intervenait dans cette affaire dans le double but d’être diplomatiquement aimable envers la Russie et surtout «d’empêcher les choses d’aller trop loin et de veiller à ce qu’il ne soit pas tiré de coups de canon; en étant dans l’affaire, l’Allemagne sera tenue au courant et pourra l’empêcher de devenir grave.»Quant à la France, M. Hanotaux déclare que la République ne peut pas faire autrement que d’appuyer la politique russe; ce n’est pas très fier, mais cela répond au sentiment public parisien. Pour ma part, je doute fort, que l’on désire engager du côté français une action militaire et maritime quelque peu sérieuse en Extrême-Orient, à l’heure actuelle; les Français ont dépensé 300 millions contre la Chine avec des succès militaires minimes, pour s’installer au Tonkin et ils y regarderont à deux fois et à dix fois avant de pousser les choses à l’extrême vis-à-vis, non pas des Chinois, mais de leurs vainqueurs les Japonais. Il ne faut pas oublier que chaque homme coûte une mise de fonds de 3000 fr. avant de pouvoir tirer un coup de fusil dans les mers de Chine si chaque homme doit être pourvu des services réglementaires en munitions, matériel de santé et autres impedimenta inévitables. Pour ceux qui ont vécu à l’époque du siège de Sébastopol il est facile de se rendre compte des difficultés formidables d’une entreprise de ce genre et Sébastopol n’est pas au Japon.
On comprend fort bien que l’Angleterre hésite devant des sacrifices aussi formidables dans le seul but de faire restituer à la Chine la presqu’île de Port-Arthur. D’ailleurs l’expérience montre que la cause d’une guerre n’en détermine qu’en partie le but et que ce but se modifie au fur et à mesure des sacrifices faits au cours de la guerre ou des résultats obtenus pendant la guerre. En entrant dans une coalition, si on devait en arriver à des actes d’hostilité, on pourrait craindre que chacune des parties ne voulût se payer en nature. Le moindre risque des Anglais serait alors de voir les Russes s’emparer de la Corée ou de Port-Arthur; il est probable qu’ils aiment autant voir dans cette région des Coréens ou des Japonais que des Russes. Si on devait en arriver à des bouleversements de ce genre les Anglais donnent à entendre qu’ils prendraient des compensations dans ce qu’ils appellent la «bonne Chine» c’est-à-dire le pays riche et chaud au sud de Schanghai; mais ils préfèrent infiniment pouvoir l’exploiter commercialement sans avoir à la gouverner; ils n’ont d’ailleurs pas tant d’objections à une certaine hostilité dans l’Extrême-Orient entre les Russes et une puissance capable de les occuper et de leur tenir tête plus que ne l’ont fait les Chinois; si les Russes sont mal avec les Japonais, ils s’occuperont peut-être moins de regarder du côté de l’Inde.
Il y a donc dans tout cela de très grosses questions en jeu et l’échiquier peut se compliquer si la France jette dans les jambes de l’Angleterre un congrès pour l’Egypte; mais, je le répète, je ne crois pas possible que l’on sorte des manifestations diplomatiques. Il y a un certain danger dans le fait que la Russie a un tout jeune empereur et un nouveau ministre des Affaires étrangères, lesquels peuvent être accessibles aux récriminations d’usage en pareil cas, «que les choses se passeraient mieux si les vieux étaient encore là», mais, comme le dit l’Ambassadeur d’Allemagne, une action modératrice sera exercée à Pétersbourg par les deux puissances qui se sont associées aux réclamations russes. Il est incontestable, et cela m’a été dit de très bonne source, même allemande, que la colère de l’Empereur Guillaume II lors de la nomination inopinée de Lobanof comme ministre des Affaires étrangères a fait reculer sérieusement l’Allemagne sur la pente qu’elle avait lentement gravie depuis quelques mois en vue de reprendre des rapports amicaux avec la Russie. En s’associant aux représentations russes à Tokio, l’Empereur Guillaume essaye de réparer la faute personnelle qu’il a commise.
Dans tout cela je vois de la diplomatie mais pas de coups de canon, ce qui est l’essentiel pour nous.
Il n’en reste pas moins que les Anglais, après avoir marché pendant tout l’hiver avec les Russes sur la double base: «pas de cessions territoriales sur le continent asiatique au profit des Japonais et pas d’avantages commerciaux concédés par la Chine aux seuls Japonais», que les Anglais, dis-je, se rappellent aujourd’hui seulement de la seconde phrase et oublient la première, ce qui n’est pas chevaleresque. Il est vrai qu’au début l’Europe a accueilli presque en les ridiculisant les propositions d’intervention de l’Angleterre alors qu’on ne se trouvait pas dans la même situation qu’aujourd’hui vis-à-vis de faits accomplis.3
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Japanisch-Chinesischer Krieg (1894–1895)