dodis.ch/42478 Le Ministre de Suisse à
Paris, Ch.
Lardy, au Chef du Département des Affaires étrangères,
N. Droz1
Contrairement à ce que m’avait assuré l’Ambassadeur d’Allemagne à Paris, l’Empereur de Russie n’a fait aucune visite à l’Empereur Guillaume en rentrant du Danemark à Livadia. Le Comte Münster me dit que cela n’est pas inquiétant, que cela vaut même mieux, car «on aurait pu se dire des choses désagréables». Le fait n’en est pas moins acquis que le Czar n’a nullement tenu à donner au monde la preuve, espérée par le Cte Münster, de ses intentions essentiellement pacifiques envers l’Allemagne. Je vous écrivais le 20 octobre que la concordance des déclarations ultra-pacifiques des agents de la Triple Alliance avait tout l’air d’une consigne; l’absence de visite du Czar à Berlin confirme cette impression et l’Ambassadeur d’Angleterre a tout à fait la même manière de voir; il a reçu communication, à la fin d’octobre, d’une foule de télégrammes de toutes les capitales relatant un langage identique de la part des agents italiens, allemands et autrichiens; on lui paraît décidé à Berlin à faire «bonne mine à mauvais jeu».
M. Ribot m’a dit hier qu’on avait compté à Berlin sur cette visite d’AlexandreIII; qu’il n’y avait pas lieu pour la France de regretter que cette visite n’ait pas été faite, mais qu’il n’y avait pour la paix «aucun danger immédiat», attendu que, si cette visite avait fait défaut, cela tenait surtout à ce que le Czar avait été froissé des attaques berlinoises contre les finances russes et le récent emprunt.
Autre indice à noter: l’interdiction absolue de l’exportation des avoines russes. L’avoine est très parente du cheval, et on n’a jamais considéré l’interdiction d’exporter les chevaux comme un grand indice pacifique.
Autre indice à noter: Après m’avoir parlé du passage du Czar sans arrêt à travers l’Allemagne, M. Ribot a immédiatement ajouté: «D’autre part, nous aurons à Paris dans quinze jours la visite de M. de Giers, et nous verrons». Ces mots «nous verrons» sont-ils une allusion à la possibilité d’une alliance défensive franco-russe, alliance défensive dont M. de Mohrenheim a parlé à un de mes collègues comme étant désirée par lui Mohrenheim (il n’a pas dit «désiré par son gouvernement»)? Il est très naturel que M. Ribot souligne les deux faits, mais ni l’un ni l’autre de ces faits n’est de nature à confirmer les assurances et espérances ultra-optimistes de la Triple Alliance (pour autant que son langage est sincère).
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