Classement thématique série 1848–1945:
II. RELATIONS BILATÉRALES
2. Allemagne
2.1. Traité de commerce
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 4, doc. 59
volume linkBern 1994
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2200.53-06#1000/1751#816* | |
Old classification | CH-BAR E 2200.53-06(-)1000/1751 118 | |
Dossier title | Österreichisch-schweizerische Verträge (1888–1891) | |
File reference archive | III |
dodis.ch/42469
Ce matin, à 10 heures, M. le conseiller privé Huber, l’un des négociateurs allemands à Vienne, s’est présenté à mon département sous les auspices de M. de Bülow. Il m’a dit avoir été envoyé ici pour appuyer les démarches que les deux gouvernements de l’Allemagne et de l’Autriche-Hongrie ont fait faire auprès du Conseil fédéral par leur ministre à Berne dans le but d’activer la marche des négociations. Il était spécialement chargé de nous fournir les détails et explications que nous pourrions désirer. Sa mission n’a rien de secret et il est autorisé à me faire toutes communications utiles non seulement pour moi personnellement, mais aussi pour le Conseil fédéral.
J’ai dit à M. Huber que puisqu’il en était ainsi je désirais que mes collègues des péages et de l’agriculture fussent réunis en conférence. M. Huber y consentit.
Cette conférence a eu lieu à 4 heures après midi à mon département. Après avoir rappelé d’une manière générale le but de sa mission, M. Huber nous a exposé que la lenteur extraordinaire des négociations avait fait naître chez les commissaires allemands et autrichiens des doutes sérieux sur notre désir de conclure.
Tandis que ces derniers se sont ouverts franchement sur les concessions qu’ils étaient en mesure de faire immédiatement ou de nous faire entrevoir, les commissaires suisses se sont montrés extrêmement boutonnés; ils n’ont accueilli la plupart des propositions qu’avec une réserve excessive, et quant au tarif suisse, ils n’ont pris un grand nombre de demandes qu’ad referendum et pour d’autres, n’ont fait entrevoir que des concessions tout à fait insuffisantes. Nous avons dû, dit M. Huber, nous demander si vos commissaires agissent ainsi en vertu de vos instructions, ou s’ils font un usage beaucoup trop restrictif de celles que vous leur avez données. Nous avons eu l’impression que peut-être vous désiriez faire durer les négociations jusqu’après la solution de votre question référendaire, mais je dois vous dire qu’une marche si lente serait absolument contraire au but que nous poursuivons. Nous croyons qu’il est dans votre intérêt comme dans le nôtre de conclure de nouveaux traités dans un esprit de libéralisme économique, mais si vous avez une autre manière de voir nous désirerions le savoir, attendu que nous n’avons pas de temps à perdre pour la négociation de nos traités avec l’Italie, la Serbie, la Roumanie, la Belgique, les Pays-Bas, les Etats scandinaves, traités qui doivent être tous conclus avant le mois de novembre. C’est pour vous dire ces choses que je suis venu à Berne, profitant d’un intervalle de quelques jours entre la première et la seconde lecture de notre traité. Je ne saurais donc trop insister dans la prière que je vous adresse de me mettre en situation de pouvoir dire aux deux gouvernements que je représente ici quelles sont vos intentions réelles à cet égard.
M. Huber est entré ensuite dans des détails circonstanciés sur l’état actuel des négociations. Il a fait ressortir la valeur des concessions déjà faites par les deux pays, sans parler de celles qui sont en perspective. Il a cité un grand nombre de chiffres qu’il est inutile de relever ici, attendu que les rapports de nos commissaires contiennent des indications sur lesquelles notre opinion doit plutôt se baser. Il y a cependant lieu de relever que M. Huber prétend que les chiffres de nos négociateurs sont moins exacts que les siens, attendu que ceux-ci prennent pour base la statistique suisse d’exportation, qui contient des marchandises en transit, tandis que M. Huber établit ses calculs sur la statistique allemande et autrichienne d’importation, qui, défalcation faite du transit, doit être plus exacte.
Suivant M. Huber, nous aurions obtenu déjà actuellement à l’entrée en Allemagne, sur une importation de cent-quatre-vingt-un millions de produits, des réductions qui s’élèvent en moyenne à 25% des droits autonomes et qui portent sur quarante millions; en outre, l’Allemagne s’interdit des relèvements de droits pour septante-cinq millions, ce qui fait que nous recevons satisfaction déjà actuellement pour cent quinze millions de nos importations dans ce pays, somme qui sera encore augmentée par les concessions futures, notamment celle sur le fromage.
L’Allemagnea ainsi joué, on peut le dire, presque tous ses atouts. La délégation suisse est dans la situation commode de connaître le jeu de ses adversaires, tandis qu’elle-même n’a pas encore démasqué ses positions. La première lecture a commencé par les tarifs allemand et autrichien, ce qui était un désavantage pour la délégation des deux pays, mais il faut bien que quelqu’un commence. Seulement, à chacun son tour. La seconde lecture doit commencer, c’est convenu, par le tarif suisse. Si les commissaires de ce pays continuent à se tenir sur la même réserve, la négociation ne fera aucun progrès, et nous devrons peutêtre renoncer à l’espoir de nous mettre d’accord avec vous.
Mes collègues m’ayant prié de répondre en leur nom, j’ai rappelé qu’une communication analogue, mais beaucoup plus succinte, nous avait été faite la veille par MM. de Bülow et de Seiller. La réponse que j’ai donnée à ces Messieurs, et qui a reçu l’approbation du Conseil fédéral, est sans doute connue de M. Huber. Un point mentionné dans ces communications diplomatiques, et dont M. Huber n’a pas parlé, c’est la déclaration faite par les deux gouvernements que le mouvement référendaire qui se produit en Suisse n’exerce aucune influence sur leurs dispositions. Je tiens à dire que si, à Vienne, on a pu nous supposer l’arrière-pensée de tramer les choses en longueur jusqu’après l’issue du référendum, nous avons pu craindre aussi de notre côté que les commissaires des autres pays ne spéculassent sur notre situation pour élever les exigences vis-à-vis de notre tarif. J’ai déclaré hier à MM. de B.[ülow]et de S.[eiller]que nos lenteurs n’avaient rien de prémédité, mais tenaient à la distance où nous sommes de Vienne, et à la difficulté de traiter rapidement ces questions pendant la session des Chambres. En réitérant donc la déclaration donnée hier à ces Messieurs, je serais heureux d’entendre aussi confirmer par M. Huber les assurances dont il s’agit.
M. Huber a constaté de la manière la plus catégorique que les deux gouvernements qu’il représente, ne se laissent en aucune manière influencer par nos difficultés intérieures. Ils ont accepté à contre-cœur, il est vrai, mais enfin ils ont accepté notre nouveau tarif comme base de négociations, et ils sont disposés à en tenir compte dans toute la mesure conciliable avec leurs intérêts. Si nous voulions, dit-il, spéculer sur nos difficultés intérieures, nous n’aurions qu’à rompre les négociations en déclarant non pas que votre tarif n’a pas de base solide, mais que les droits élevés qu’il renferme sont un obstacle à toute entente. Nous pouvons nous tromper, mais il nous semble cependant que si nous prenions une telle attitude, tous les partisans des traités de commerce chez vous, en particulier les grands industriels, travailleraient de toutes leurs forces à faire rejeter votre tarif. Nous ne l’avons pas fait parce que nous avons l’espoir d’arriver à obtenir les concessions nécessaires sur votre tarif. Mais nous ne devons pas vous cacher combien les relèvements contenus dans ce tarif sont inopportuns. Vous êtes devenus protectionnistes au moment où les autres pays qui ont goûté de ce funeste système commencent à y renoncer. Votre tarif est un anachronisme, et il nous rend la tâche des plus difficile, attendu que nous aurons de la peine à faire comprendre à nos parlements qu’en échange de toutes les concessions qui vous sont accordées, nous n’ayons à montrer à l’entrée en Suisse que des relèvements sur nos produits.
En prenant acte de la déclaration de M. Huber que le référendum n’exerçait aucune influence sur la marche des négociations et sur les demandes présentées par les deux pays, nous avons répondu qu’avec tous nos relèvements nous restions encore bien au-dessous des taux, mêmes les plus réduits, qui nous seraient accordés.
Nous avons constaté que le commun désir des trois pays était donc d’arriver le plus vite possible à une entente acceptable, et nous avons exprimé l’opinion qu’il fallait rechercher ensemble les moyens d’activer les négociations.
J’ai alors pris la défense de nos commissaires en faisant ressortir que nous avons été surpris, eux et nous, de voir l’Allemagne et l’Autriche nous demander de lier un aussi grand nombre de positions, soit sur des articles qui n’ont pas d’importance pour ces deux pays, soit sur d’autres que nous devons réserver pour négocier avec la France et l’Italie. Voilà pourquoi nos négociateurs ont dû prendre tant de questions ad referendum, ce qui allonge aussi l’étude ici. Sans nous prononcer définitivement sur ces demandes, il nous paraît que l’on devrait les limiter en tenant compte aussi des articles que nous devons réserver pour nos finances.
M. Huber a répondu que leur désir était d’assurer la plus grande stabilité, même sur des articles de minime importance. Quant aux articles dont nous avons besoin pour nos finances, nous sommes loin de les avoir épuisés (thé, café, pétrole, tabac), et ceux-là peuvent être parfaitement réservés. Enfin, quant à ceux nécessaires pour les négociations avec d’autres pays, il y a la ressource d’un protocole destiné à rester secret jusqu’à la signature du traité. Ce moyen sera employé par les deux pays pour les négociations avec l’Italie.
J’ai demandé des indications précises au sujet de ce protocole secret. Il serait entendu que le tarif paraphé contiendrait, sur les articles en question, le taux qu’il conviendrait d’y mettre pour que ce tarif qui serait communiqué par exemple à l’Italie, serve de base aux négociations. Si par exemple, nous avions mis dans ce tarif 5 francs pour le vin et dans le protocole secret 4 francs, les Italiens traiteraient sur la base de 5 francs sans connaître la concession ultérieure que nous avons faite à l’Autriche.
Nous nous sommes réservé, mes collègues et moi, l’examen de ces questions, dont la solution exercera une influence sur l’accélération des négociations.
Comme autre moyen de les activer, j’ai demandé que la semaine prochaine les commissaires arrêtassent le texte des traités. Pendant ce temps, nous pourrons faire parvenir aux nôtres, nos instructions sur les tarifs. M. Huber pense que la seconde lecture du texte pourra avoir lieu mercredi et jeudi, et désirerait que l’on pût continuer vendredi avec les tarifs, le tarif suisse venant en premier. Nous avons déclaré que nous ferions notre possible pour qu’il en soit ainsi, en fixant la date du lundi 29 comme la plus éloignée pour que nos négociateurs soient en mesure de passer à la seconde lecture des tarifs.
Il a été reconnu, de part et d’autre, comme très désirable que dans la seconde lecture on liquide toutes les positions de minime importance et d’importance médiocre, de telle sorte qu’à la troisième lecture, il ne reste plus en question que les positions de première importance. M. Huber nous a assuré que les Autrichiens, auxquels j’ai reproché d’être aussi boutonnés que les commissaires suisses, se prononceraient définitivement sur un grand nombre de points dans la seconde lecture.
Il est du reste bien entendu que toutes les concessions faites de part et d’autre sur quelque point que ce soit, n’ont pas encore un caractère absolument définitif, et que chaque partie peut se réserver d’y revenir, si elle n’obtient pas satisfaction sur d’autres points.
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Quant à l’entrée en Suisse, M. Huber n’a pas exprimé de vues spéciales, sauf sur les «Fourniere», sur lesquels une réduction est indispensable, et sur les cuirs, question très difficile, a-t-il dit, mais d’une manière générale, il a déclaré très catégoriquement que quelque intérêt que l’Allemagne ait à nous avoir dans son plan de campagne, elle ne pourra, non plus que l’Autriche, conclure avec nous si, sur des positions importantes, nous leur refusons des réductions absolument nécessaires pour la ratification dans les parlements.
Voilà, résumé aussi fidèlement que possible, ce qui a été dit d’essentiel dans cette conférence. Vers sept heures, M. Huber a pris congé de nous en nous déclarant qu’il allait retourner à Vienne emportant la satisfaction d’avoir constaté que nos retards ne sont pas volontaires et l’espoir que nous pourrons arriver à une entente.3