Classement thématique série 1848–1945:
II. RELATIONS BILATÉRALES
13. France
13.1. Commerce
13.1.1. Traité de commerce et guerre douanière
Abgedruckt in
Diplomatische Dokumente der Schweiz, Bd. 4, Dok. 48
volume linkBern 1994
Mehr… |▼▶Aufbewahrungsort
Archiv | Schweizerisches Bundesarchiv, Bern | |
▼ ▶ Signatur | CH-BAR#E13#1000/38#151* | |
Alte Signatur | CH-BAR E 13(-)1000/38 32 | |
Dossiertitel | Korrespondenz des Departements des Auswärtigen mit der Schweizer Gesandtschaft in Paris, T. 1 (1891–1891) |
dodis.ch/42458
[...]2 La grande question qui se pose en France en ce qui nous concerne est celle de savoir si la Suisse va, dès maintenant, voter un tarif de représailles contre les propositions de la Commission Méline. J’ai constaté ici deux courants très nets parmi les libre-échangistes français. Les uns voudraient que la Suisse restât sur son terrain actuel, ne fît pas de tarif de combat et enlevât à M. Méline tout prétexte pour soutenir qu’à l’élévation des tarifs étrangers la France doit riposter; ces messieurs ajoutent que l’Assemblée fédérale allant se réunir, tandis que la Chambre française devant statuer en mai seulement, la Suisse aura l’apparence d’être l’agresseur; ils estiment que, pour les négociations, le gouvernement français sera beaucoup plus gêné lorsqu’il soutiendra ses demandes de relèvements, dans le cas où la Suisse resterait modérée quant à son propre tarif; ils croient enfin qu’il sera toujours assez tôt, après un échec des négociations, pour faire des représailles à Berne. D’autres au contraire, et des plus éminents (je n’ose pas prononcer des noms, mais il s’agit de personnages connaissant à fond ces questions et ayant occupé les premières charges de l’Etat) estiment qu’il n’y a pas deux moyens de faire entendre raison à M. Méline et à son troupeau; qu’à tout prix, on doit éviter à Berne d’être naïf; qu’aux coups, il faut opposer des armes faisant mal; qu’avoir l’air de craindre et d’hésiter est le plus sûr moyen d’entretenir dans leurs illusions des gens convaincus que les industries d’exportation sont une quantité négligeable; que le seul remède contre la folie de ces gens est d’ameuter les 3 millions de Français qui vivent de l’exportation; que la Suisse, si elle ne veut pas se renchérir la vie et si elle échoue dans ses négociations avec tous ses voisins, pourra toujours abaisser plus tard son tarif par une coalition entre les consommateurs et les industries d’exportation, mais qu’actuellement, le plus grand service qu’elle puisse rendre à elle-même et à la France est de se cuirasser pour intimider la coalition Méline, en criant très haut aux représailles et en manifestant la résolution de tout braver.
Je n’ai pas de motifs de cacher mon drapeau; dans ma conviction, la Suisse a un intérêt vital à ne pas renchérir au-delà de certaines limites (très restreintes) les conditions de son existence matérielle; elle est obligée de rester un pays de grande exportation, et pour cela, de ne pas augmenter artificiellement le prix de revient de ses produits; si elle ne l’augmente pas, elle pourra remplacer, sur les marchés tiers, une partie des marchandises françaises dans le cas où la France serait assez folle pour aggraver d’un quart le prix de toutes choses à l’intérieur. Seulement le nombre des articles français avec lesquels notre industrie se trouve en concurrence sur les marchés du monde est assez restreint; il y a surtout les soieries, et c’est à peu près tout; les Anglais, au contraire, sont les concurrents de la France pour la bonneterie, les lainages, les savons, le papier, les poteries, les confections et une foule d’autres articles. Le marché français représente au contraire pour la Suisse une somme énorme (142 millions dont 70 environ en produits manufacturés en 1889); la possibilité de nous récupérer sur les marchés extra-européens n’existe pas pour l’horlogerie (la France n’exporte rien dans cet article sauf en Suisse), n’existe pas pour les filés et tissus de coton, n’existe pas pour les fromages, n’existe pas pour les broderies, n’existe pas pour les lainages (que nous ne produisons pas). Quelle garantie avons-nous de pouvoir placer hors d’Europe les 12 millions de fromages, les 6 millions de filés de coton, les 4 millions de machines, les 12 millions de tissus de coton et de broderies, sans parler des 29 millions de soieries que nous fournissons actuellement à la France? J’ai la confiance qu’en Allemagne d’une part, en Hongrie et en Italie de l’autre, on sera si désireux de conquérir en Suisse la place des produits industriels et agricoles français, qu’on nous fera des concessions suffisantes pour compenser en partie pour notre industrie la perte des 70 millions du marché français (produits manufacturés) et des 12 millions de fromages envoyés par nous en France. Mais je tiens à constater que, sauf les soieries, il nous sera très difficile de placer hors d’Europe ce que nous placions en France, parce que nous n’avons pas actuellement, hors d’Europe, la France pour concurrente ni quant à l’horlogerie, ni quant aux broderies, ni quant aux fromages. Quand je me reporte à 1878/81 et aux efforts faits par nous à cette époque pour essayer de faire peur aux négociateurs français à l’aide de notre tarif de 1878 qui n’avait pas encore acquis force de loi3, j’arrive à l’impression qu’un certain nombre de droits de combat sont indispensables pour négocier à Paris. Les 16 millions de bestiaux que la France nous envoie et qui proviennent des départements jurassiens les plus hostiles à nos fromages, les 3 millions de volailles, provenant des mêmes régions, les 8 millions de vins, les 6 millions d’articles de Paris, les 2 millions de bimbeloterie et tabletterie, le million d’ouvrages en paille, les 2 1/2 millions de papier, les 5 millions d’ouvrages en cuir, les 2 millions de poterie et verrerie, les 10 millions de tissus de laine, les 10 millions de soieries, et les 6 millions au moins de vêtements confectionnés, peuvent, à des titres divers, et dans des mesures très variées, faire l’objet de droits de combat et même de droits pouvant être maintenus vis-à- vis de la France si on sait habilement faire des sous-catégories dans les négociations avec nos autres voisins. Nous ne pouvons pas savoir en présence de qui nous nous trouverons à Paris lorsque l’heure des négociations aura sonné, ni quel vent parlementaire soufflera. A plus d’une reprise, il a été question de pousser M.Méline aux Affaires; il y a peu de jours, M. Ribot me disait qu’on l’avait menacé de lui laisser la responsabilité directe et comme M. Méline a très peur de devoir prendre le pouvoir, cela l’a assoupli (probablement dans la question des droits sur les filés de coton). Si nous avons à négocier avec M. Méline et ses amis, j’ai la conviction que de gros droits nous seront indispensables à titre de menace. Si au contraire nous sommes en présence de M. Tirard, ou de MM. Ribot et Roche, nous aurons plus facilement le droit de dire: nous réglerons notre conduite d’après la vôtre; notre tarif surélevé est un parapluie pris sous le bras par précaution un jour de beau temps; on peut avoir une conversation avec un monsieur sans montrer le revolver qu’on a dans sa poche. Mais renoncer à des droits de combat, alors que nous ignorons avec qui et dans quelles conditions nous aurons à traiter, me paraîtrait extrêmement imprudent et me paraîtrait de nature à enlever un très fort argument à tous ceux qui, en France, combattent les folies économiques de M. Méline. Je crains qu’en donnant simplement à entendre que nous userons de représailles en cas d’échec, nous n’inspirions de crainte à personne, pas plus qu’en 1878/81. Encore une fois, le but à atteindre est de sauvegarder nos industries d’exportation par la vie à bon marché en Suisse, et je crois que, pour les relations franco-suisses, il y aurait, en présence de M. Méline et de ses amis, bien peu de chances de conserver à nos industries d’exportation le marché français si nous ne pouvons pas montrer des armes. Il y aurait une grande responsabilité à encourir en nous cantonnant dans le libreéchange ou dans les droits très bas sur les produits français. Jusqu’ici, dans tous mes entretiens, sans distinction, je suis toujours resté sur le terrain le plus modéré, affectant de croire qu’on s’entendrait, que les violents se calmeraient, qu’un rapprochement se ferait; rien n’empêche de continuer ce langage, de demeurer calmes, amicaux, pleins de confiance dans une entente finale; je crois qu’il est de bonne politique de rester sur ce terrain. Mais je crois aussi qu’il pourra devenir nécessaire de montrer qu’il ne nous serait pas impossible de faire sentir la pointe si les dispositions violentes devaient en fin de compte prévaloir ici. Nous ne pouvons pas laisser M. Méline et ses amis croire qu’ils peuvent fermer toutes les portes et que la France continuera à exporter deux milliards de produits manufacturés, qu’il n’y a pas à se gêner, et que les marchés étrangers sont prêts à tout subir. J’espère de toutes mes forces qu’à l’heure des négociations, on se sera assez rapproché pour que les deux tarifs préparatoires soient considérés de part et d’autre comme des épouvantails chinois, mais je ne puis absolument pas garantir qu’un tel rapprochement se sera opéré, ni garantir que nous serons en présence de négociateurs raisonnables. La conclusion me paraît être que nous devons avoir un certain nombre de droits de combat en vue d’éventualités toujours possibles, ou, en d’autres termes, que ce serait encourir une bien grosse responsabilité, pour ceux qui auront à négocier au nom de la Suisse, que de refuser ces droits de combat. D’autre part, comme le but à atteindre reste la vie à bon marché, c’est-à-dire reste d’avoir en Suisse des droits aussi faibles que le comporteront nos nécessités fiscales, j’estime ne pas pouvoir formuler une opinion définitive uniquement en me préoccupant de la situation franco-suisse; en d’autres termes, si Vous estimez que les futures négociations avec l’Allemagne, l’Autriche et l’Italie n’auront pas pour conséquence la disparition de ces droits de combat ou de la plupart d’entre eux, si la crainte de voir la Suisse obligée d’appliquer ces droits devait s’imposer, je n’hésite pas à penser qu’il vaudrait mieux nous contenter du tarif général actuel de 1884; le remède serait beaucoup pire que le mal. En résumé, au point de vue des négociations avec la France, j’estime nettement que des droits élevés sur la douzaine d’articles français mentionnés ci-dessus peuvent devenir absolument indispensables si nous nous trouvons en présence de négociateurs comme MM. Ferry, Méline et consorts et qu’il convient de faire sonner très haut, en dehors des relations officielles, ces relèvements. Mais, au point de vue général de la politique économique de la Suisse, j’estime que ces droits surélevés seraient bien plus dangereux que le maintien du tarif général suisse actuel, si l’on n’avait pas la certitude qu’on arrivera à ne pas les appliquer.
Je viens d’apprendre de très bonne source que le gouvernement britannique, par l’organe du Premier Ministre Lord Salisbury et par l’organe du Ministre du commerce, Sir MichaelHicks Beach, vient, malgré l’irritation violente des industriels anglais et leurs demandes de représailles contre la France, de se prononcer définitivement pour le maintien du libre-échange absolu sur tous les produits non fiscaux (thé, café, alcools, vins, tabacs); cela est d’autant plus remarquable que les deux personnages en question sont protectionnistes dans leur for intérieur. Le Cobden Club va faire imprimer le discours de sir Michaël. Le danger de voir les mesures de représailles appliquées a paru, en fin de compte, plus grand que les bénéfices à espérer de la menace des représailles. La situation de l’Angleterre, je le répète, est très différente de la nôtre; mais il y a là, pour la conduite d’ensemble à adopter, un exemple qui devait vous être signalé.
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