Classement thématique série 1848–1945:
I. SITUATION INTERNATIONALE
1. Alliances et relations entre puissances
1.1. Maintien de la paix
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 4, doc. 1
volume linkBern 1994
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2300#1000/716#729* | |
Old classification | CH-BAR E 2300(-)1000/716 334 | |
Dossier title | Paris, Politische Berichte und Briefe, Militärberichte, Band 43 (1890–1890) |
dodis.ch/42411 Le Ministre de Suisse à Paris, Ch. Lardy, au Président de la Confédération, L. Ruchonnet1
[...]2 En m’acquittant de mon devoir de photographe ou de sténographe à l’égard de la réception présidentielle française, je voudrais avoir le temps d’ajouter quelques considérations sur l’année qui s’achève; j’ose à peine espérer pouvoir le faire, au milieu des réceptions des divers Comités de nos sociétés suisses de Paris. Il est certain qu’il y a un an, nous étions tous fort anxieux de savoir comment s’achèverait l’année du centenaire. Nous avions le Ministère Floquet, c.-à-d. un cabinet composé de gens fort honorables, de républicains absolument éprouvés, mais aussi de Parisiens idéologues, enclins à prendre une belle période pour une réalité et un discours pour un acte, de radicaux de la capitale facilement ignorants des besoins de la province; nous nous trouvions aussi en face de la conspiration boulangiste et d’un cabinet sincèrement convaincu du manque de racines électorales de l’ex-général, mais en même temps incapable d’opposer des actes à la propagande essentiellement pratique du général. M. Floquet, après l’élection de Boulanger à Paris le 27 janvier, a senti qu’il devait se retirer; il a très patriotiquement fait le sacrifice de ses préférences pour le scrutin de liste, et c’est lui qui a fait voter le scrutin d’arrondissement. En même temps, l’Exposition universelle3 s’ouvrait, et M. Carnot, par son sentiment du devoir, par la patience et le dévouement avec lesquels il se consacrait à sa fastidieuse mission décorative réussissait à conquérir, à Paris et dans tous les départements qu’il a visités, l’estime générale. L’exposition a eu aussi ce grand mérite négatif d’empêcher une foule de sous-centenaires dangereux ou tout au moins inopportuns.
En même temps, le nouveau Ministre de l’Intérieur, M. Constans, que M. Ferry avait «garanti» en mars dernier, et qui a justifié cette garantie fort honorable pour lui, manipulait ou brutalisait les électeurs de façon à assurer une imposante majorité aux républicains; cette majorité est beaucoup plus parlementaire que nationale; la proportion de 2/3: J/3 dans la Chambre est en réalité, dans le pays, de 6/i0 contre 4/10; il faut et il faudra une grande prudence, beaucoup de fermeté et de souplesse pour l’agrandir; si on ne progresse pas on est certain de courir au devant de graves dangers. Mais il est admis que le monde administratif, si facilement vacillant dans ce pays, est redevenu solidement républicain, ce qui est beaucoup dans un pays où 1 électeur sur 6 hommes émarge au budget. La République a donc devant elle du temps et de la confiance. Puisse-t-elle en profiter pour gouverner avec bon sens et sans exagérations; il semble à peu près certain qu’on ne l’attaquera pas, qu’on n’attaquera même pas le cabinet Tirard avec férocité; il tombera un jour ou l’autre, sur une question économique, parce que la Chambre actuelle est ardemment protectionniste; seulement le chef des protectionnistes, M. Méline, est mou, n’est pas avide de pouvoir, et ne dirige pas d’une main ferme l’attaque. MM. Tirard et Rouvier, connaissant les allures paisibles de M. Méline, essaient d’amuser le parlement par l’enquête économique, le Conseil supérieur du commerce, le Conseil supérieur de l’agriculture, etc. etc.; ils cherchent à gagner du temps, à montrer aux nouveaux élus combien ces questions économiques sont complexes et sont graves au point de vue de la politique extérieure proprement dite. On joue au plus fin entre les protectionnistes modérés et les protectionnistes folâtres (il n’est pas question de libre échangistes). Je crains bien, pour la France, que les ardents ne l’emportent et que le cabinet actuel ne doive se retirer devant eux, pour le plus grand désavantage des bons rapports de la France avec l’Europe en général et avec nous en particulier; serace dans ce mois-ci ou seulement un peu plus tard? On l’ignore, mais c’est de ce côté que le cabinet tombera.
Quant à la politique extérieure, on continue ici à la considérer comme pacifique, moins parce que les éléments de discorde ont disparu que par suite de la difficulté technique de faire la guerre. Tant que le nouveau fusil n’a pas été mis entre les mains des millions de soldats européens, tant qu’on n’aura pas créé un nouveau service d’éclaireurs pour l’infanterie et peut-être toute une tactique nouvelle de l’infanterie, la poudre sans fumée restera une garantie de paix de premier ordre. En d’autres termes, on croit à la paix pour des motifs d’ordre exclusivement militaire; on y croit pour la période pendant laquelle ces motifs d’ordre technique resteront prépondérants, mais on est d’accord pour admettre que tout cela est et reste précaire, en raison des causes profondes de mécontentement qui travaillent l’Europe. Combien de guerres n’ont eu d’autre cause que le besoin de certains souverains de faire tuer du monde et de détourner les esprits de l’examen de certaines question intérieures d’ordre politique ou social? L’état de l’industrie minière en Allemagne, l’état de l’agriculture en Italie, l’état général de la société russe, semblent impliquer l’approche d’un de ces moments fatidiques où les Souverains font la guerre pour sauver leur trône; encore une fois, si des questions techniques, ultra-techniques, n’existaient pas, on pourrait dire que les monarques ont besoin de la guerre. J’espère de toute mon âme que, pendant Votre Présidence, les considérations pacifiques prévaudront autour de nous; j’ai la conviction presqu’absolue que les conseils des militaires l’emporteront, et les militaires sont ultra-pacifiques, à cette heure, parce qu’ils ignorent comment ils devront se battre. Je crois donc pouvoir saluer l’année de votre présidence comme une année de calme et de paix, mais aussi comme une année de préparation à des événements d’ordre militaire et social dont nous pouvons difficilement calculer toute la portée.
- 1
- Rapport politique: E 2300 Paris 43.↩
- 2
- Lardy parle de la réception du Nouvel-An chez le Président de la République française.↩
- 3
- Cf. E 14/25-28 et96.↩
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